Enfin ! Nul autre mot ne sied pour qualifier le lancement officiel du premier championnat professionnel de football au Maroc le 19 août prochain. En effet, à l'occasion de la première journée du championnat 2011-2012, les clubs marocains seront les derniers d'Afrique du Nord à s'engager sur la voie du professionnalisme footballistique. Plusieurs fois reporté, le championnat Pro-Elite1 est enfin effectif, au prix d'échanges ardus entre la Fédération royale marocaine de football (FRMF), le ministère de la Jeunesse et des sports, et surtout les clubs de la Botola. Jusqu'au dernier moment, le suspens aura été à son comble, poussant même Moncef Belkhayat à déclarer, il y a quelques semaines, que le lancement se ferait même si on ne devait avoir que 5 ou 6 clubs conformes aux normes. Une manière pour le ministre de tutelle de signifier haut et fort aux clubs retardataires dans la mise en œuvre des conditions du cahier des charges, mais aussi aux autorités locales, que le train du professionnalisme allait démarrer avec ou sans eux. Ce sera finalement, et in extremis, avec eux. En effet, l'organe de première instance (OPI) a accordé des licences professionnelles à tous les clubs de la division d'élite, sauf le Moghreb de Tétouan (MAT) qui s'est vu accorder un délai supplémentaire pour revoir sa copie, le temps pour les dirigeants du MAT d'appeler leur «ancien-nouveau» président Abdelamalek Abroun à la rescousse. Le tour est joué et personne ne manque désormais à l'appel, du moins en ce qui concerne la division supérieure. Cahier des charges FIFA Pour ce qui est de la deuxième division, il faudra repasser, même si certains clubs de cette division ont répondu favorablement aux critères du cahier des charges. Mais quelles étaient ces conditions que certains clubs marocains de l'élite n'ont pu remplir que difficilement ? «Nous n'avons pas réinventé la poudre. Nous avons tout simplement appliqué le cahier des charges FIFA de manière adaptée au contexte marocain», se défend-on du coté de la Fédération royale de football. Plus concrètement, le cahier des charges mentionne des critères administratifs, juridiques, financiers et sportifs. Une manière d'entériner le travail de restructuration entamé par l'équipe fédérale actuelle, surtout en ce qui concerne le volet administratif et juridique. Pour le premier, les clubs ont ainsi dû se doter, quand ils n'en avaient pas déjà, d'entraîneurs des équipes premières et juniors, d'un responsable du staff médical, un responsable administratif, un responsable de sécurité, des infrastructures techniques indispensables et des locaux à usage de bureaux équipés. «Une fiche définissant les contours de ces postes a même été établie», précise-t-on de source fédérale, tout en soulignant que les directeurs généraux des clubs de l'élite doivent désormais se prévaloir d'un minimum de bagage et de diplômes pour mener à bien leur mission de gestionnaire. Pour le juridique, les clubs de Pro-Elite1 devront respecter le calendrier établi par la fédération et répondre à son programme en cas de participation continentale, régionale ou arabe. Autre volet important de la restructuration imposée par le cahier des charges, les infrastructures. Les clubs ont dû se prévaloir d'infrastructures aux normes avec notamment deux terrains gazonnés, le gazon artificiel agréé par la FIFA étant admis, réservés à l'équipe première et aux autres catégories, ainsi que d'un stade équipé d'installations d'éclairages conformes aux normes fixées par la CAF, avec une capacité minimale de 6.000 places assises. Par ailleurs, le volet sportif était aussi contraignant, les équipes devant disposer de sept catégories d'équipes de jeunes balayant toutes les catégories d'âge, ainsi que d'équipes féminines séniors et espoirs, en plus d'une école de football réservée aux plus jeunes. Pour l'équipe pro, un effectif maximal de 26 joueurs a été imposé aux clubs, plus deux joueurs supplémentaires en cas de participation aux coupes africaines. Une manière pour la fédération de baliser le terrain à l'autorégulation du marché. 9 millions ou rien ! Toutefois, c'est le volet financier qui a cristallisé toutes les tensions et les appréhensions concernant l'éligibilité des clubs. En effet, les clubs ont eu tout le mal du monde à justifier de garanties financières d'un montant minimal de 9 millions de DH. Ce fut d'autant plus difficile que cette garantie devait être présentée hors subventions et droits TV distribués par la fédération. Cette garantie devra désormais être présentée le 30 juin de chaque année pour un montant fixé chaque saison par la FRMF, montant qui sera forcément corrélé aux derniers rapports financiers présentés par les clubs (voir interview Rachid Ouali Alami). Encore faut-il que nos clubs soient capables de présenter leurs comptabilités le 31 octobre de chaque année. En tout cas, il le faudra bien, sous peine de se voir retirer la licence professionnelle, et surtout de faire fuir les sponsors potentiels, qui ne sont pas particulièrement enclins à user de la vitrine footballistique nationale. Toujours est-il que ce lancement représente un tournant historique pour le football marocain. Le professionnalisme était devenu une évidence, surtout au vu des résultats des clubs marocains dans les compétitions régionales. La victoire du Fath de Rabat (Fus) l'année dernière en coupe de la CAF, en plus d'être une surprise, représentait surtout un fait nouveau après près d'une décennie de disette. Mais au-delà de l'aspect sportif, l'équipe fédérale a un objectif d'une toute autre importance : «faire du football national un moyen de générer un flux économique et financier important». C'est tout le mal qu'on lui souhaite, les trophées et les titres ne pourront que suivre... Entre la réalité de la SA et le fantasme de la Bourse Le texte de loi pour la transformation des clubs marocains en sociétés anonymes est déjà là. Il ne reste plus qu'à élaborer les circulaires applicatives pour que ce texte soit effectif. Toutefois, d'aucuns regrettent que ce texte exclut le modèle associatif. Une situation quelque peu déconcertante quand on sait que des clubs aussi illustres que le FC Barcelone ou le Real Madrid sont structurés sous forme d'associations. Cela ne les empêche pas d'être dirigés de manière moderne en intégrant toutes les meilleures pratiques de gestion, dignes d'une grande entreprise. En l'état actuel des choses, les clubs marocains devront se baser sur un actionnariat plutôt que sur un système d'adhérents. Si certains y voient une bonne manière de parer à beaucoup de dérapages, d'autres fustigent surtout le nombre limité d'adhérents, là ou un club Al Ahly en compte une centaine de milliers. Pour ce qui est d'une hypothétique introduction en Bourse des clubs les mieux structurés du royaume, cela relève plutôt du fantasme au vu de l'état actuel des choses, du moins à court et moyen termes. Même le retour d'expérience des clubs européens ayant procédé à une IPO ne rassurent pas quant à la possibilité des clubs marocains de leur emboîter le pas. «Nous avons mis les responsables locaux devant leurs responsabilités»: Rachid Ouali Alami, Président de la Commission spéciale gestion du football d'élite à la Fédération royale marocaine de football ( FRMF) Les Echos quotidien : Certains clubs ont affiché leurs difficultés à rassembler le budget minimal de 9 millions de DH hors droits TV. Comment avez-vous établi cette exigence minimale ? Rachid Ouali Alami : L'exigence de 9 millions de DH hors droits TV redistribués par la fédération, ne s'est pas faite de manière fortuite, mais elle est établie sur la base des rapports financiers des trois dernières années. D'ailleurs, cette année, les budgets des clubs de l'élite oscillent entre la cinquantaine de millions de DH - 57 MDH pour le WAC et 54 MDH pour le Raja - et 13 et 14 millions de DH pour les petits budgets. La garantie des 9 millions de DH devait être signée, c'est-à-dire sûre, et comprend le sponsoring, les subventions des autorités locales et les prévisions de billetterie. Ce sont des budgets minimalistes et on est encore loin des budgets des clubs égyptiens (300 MDH pour Al Ahly), tunisiens (160 MDH pour l'Espérance de Tunis), algériens ou même soudanais. Quel a été le rôle des autorités locales dans ce budget minimal exigible ? Pour la saison 2009/2010, les autorités locales avaient subventionné l'ensemble des clubs marocains à hauteur de 12 MDH. Cette année, au titre de la saison 2011/2012, les autorités seront amenées à tripler ce montant dans le cadre des licences professionnelles accordées. Des clubs comme le MAS ou le WAF percevaient 500.000 DH chacun, et ce chiffre passera cette saison à 3 MDH chacun. Un club comme le KAC sera soutenu par les autorités locales à hauteur de 6 MDH. Ils ont en fait été obligés de participer, sinon les clubs de leurs villes risquaient de se voir formuler un refus d'octroi de la licence professionnelle. Quel a été le rôle de FRMF dans ce sens ? Nous avons entrepris un travail préalable en partenariat avec le ministère de l'Intérieur, et nous avons mis les responsables locaux devant leurs responsabilités. Ils ont un rôle important à jouer en la matière et si l'on se penche sur le modèle français, nous voyons que les mairies subventionnent leurs clubs de manière substantielle. Car en définitive, le club appartient à la ville. Les budgets des clubs connaîtront-ils une évolution substantielle après le passage au professionnalisme ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Notre objectif de fin de mandat (2014) est de voir les budgets des clubs se situer entre 24 et 80 MDH, avec au moins cinq clubs au-dessus des 50 MDH. Cela donnera aux clubs les moyens de garder les meilleurs joueurs, et engagera le football marocain dans un cercle vertueux. Si on veut remporter des titres, il faut se donner des moyens comparables à ceux de nos concurrents. Qu'est ce qui explique la présence timide des sponsors privés ? Le professionnalisme changera-t-il la donne ? S'ils ne viennent pas en masse, c'est à cause d'un faux préjugé sur l'opacité des clubs marocains. Tous les clubs sont désormais audités, et il est temps que les annonceurs viennent. Ils n'ont qu'à voir ce qui se passe à l'étranger. Nous espérons que les sponsors vont sortir de la logique du mécénat et concevront leur apport en termes de retour sur image, surtout avec des stades de plus en plus pleins, en plus du fait que quasiment tous les matchs sont retransmis à la télé. Ce qui est le plus frappant, c'est l'absence des établissements financiers dans le sponsoring du football au Maroc. Alors qu'en Europe ce sont ces établissements qui sont les principaux partenaires des championnats locaux comme la Barclays pour la Premier League, la BBVA pour la Liga, ou encore ING pour la Ere Divisie. Quid de l'OCP qui subventionne 4 clubs de l'élite ? L'OCP subventionne 4 clubs dans les régions ou il est implanté, permettant ainsi aux autorités locales de réorienter leurs subventions. Nous serions preneurs si d'autres institutions venaient à prendre sous leurs ailes d'autres clubs marocains.