Tony Allen Batteur Le monde l'a connu comme le batteur phénoménal de Fela Kuti. Aujourd'hui, il a son propre groupe et s'invente un nouveau genre : l'Afro-beat. Il vient d'ailleurs présenter son nouvel album «Film of life» à Casablanca puis à Essaouira. Rencontre avec une légende vivante... Les ECO : Vous avez un rapport particulier avec le Maroc. Cette année, on vous accueille au Jazzablanca et maintenant à Essaouira... Tony Allen : Je fais partie du Maroc maintenant, on a même une maison ici, à Mehdia. J'habite entre le Maroc et la France. C'est bien de revenir à son continent. L'Europe n'est pas ma terre. Ici, je me sens chez moi. En Afrique, je me sens chez moi. Je suis ravie d'être là. Je connais Casablanca, Fès, Meknès, Essaouira. Essaouira où vous offrez au public une fusion. Comment mixer votre musique à celle des Gnaouas ? Fusionner ma musique avec celle des Gnaouas est presque naturel parce que pour moi, c'est une musique africaine. Que l'on soit au nord, à l'est ou à l'ouest de l'Afrique, nous avons pour connexion et pour point en commun les rythmes ! Cela ne me fait pas du tout peur de m'aventurer dans une fusion avec les Gnaouas parce que l'on se comprend déjà. Vous parlez le même langage de l'«Afro-beat» ? Oui. L'afro-beat comme son nom l'indique est inspiré des rythmes d'Afrique mais pas seulement. Il s'agit de «beats» que très peu de batteurs modernes peuvent comprendre car il résulte plus d'expériences que de choses que l'on nous apprend. C'est une mixture entre tout ce que j'ai vécu et ce que je continue à vivre et de tous les rythmes que j'ai pu entendre et jouer comme les rythmes provenant d'Europe, d'Amérique et d'Afrique, bien entendu. C'est un résumé d'une vie... C'est ce que vous avez voulu faire en intitulant votre album «Film of Life» ? Exactement. Cet album est la résultante de ce que j'ai parcouru, ce que j'ai appris et ce qui m'a été donné de découvrir. C'est comme un livre où l'on écrit sa vie, moi, j'ai utilisé la musique pour raconter la mienne. Il y a une idée de mouvement, comme si on était dans un film, le film d'une vie. Une vie pleine de hauts et de bas, comme tout le monde. Je l'ai exploré en musique et je continue car il n'y a pas de limite. J'ai parcouru les époques, les lieux et surtout cet album raconte qu'il est important de gravir tous les échelons pour réussir. Cette réussite, justement, l'avez-vous vu venir ? Jamais. Je ne me suis jamais projeté. Je voulais juste être un des meilleurs batteurs au monde. Un d'entre eux, pas le meilleur ! (Rires). Il était important pour moi d'être différent, de proposer quelque chose et de me démarquer. Mon père jouait de la guitare. Il ne le faisait pas professionnellement. Moi, je savais que la musique était dans notre sang à tous, quelqu'un devait se dévouer pour la faire ressortir et ce fut moi. Ce n'était pas facile parce que la musique n'était pas considérée comme un vrai métier chez moi. L'important, c'est d'assumer ses choix, d'être sûr de soi et de se défendre. C'est ce que j'ai fait. C'est comme cela que vous êtes devenu le batteur d'un des meilleurs musiciens au monde : Fela Kuti ? C'était incroyable. J'ai commencé à faire du jazz avec lui. Il a décidé de changer de style, de passer au highlife, de prendre des risques un an plus tard. C'était toujours imprévisible et incroyable avec lui ! Il fallait le suivre. D'ailleurs, quand je l'ai rencontré, il avait déjà vu 4 très bons batteurs qu'il a trouvés mauvais. Il était exigeant. Et quand il m'a entendu, il m'a demandé où j'avais appris à faire de la batterie ? Il a tout de suite pensé à l'Amérique ou à l'Europe. Moi, j'ai tout appris dans mon pays, le Nigéria. C'est là où j'ai fait tous mes devoirs. Quel est votre processus de création ? Comment une musique vient à vous ? Quand je compose, je visualise toute la chanson, mais c'est mon instrument qui me donne la base, le départ. Je place les rythmes d'abord et ensuite j'écris les guitares, les basses, les accompagnements. Le chant, si chant il y a, vient en dernier. J'ai un groupe formidable, le même depuis 20 ans... Qu'est-ce qu'il vous reste à accomplir ? Beaucoup, heureusement! (Rires). Sinon la vie serait triste, mais je ne suis pas quelqu'un qui anticipe. Je vis au jour le jour, à la recherche de musique et de rencontres. L'important, c'est de ne pas perdre de vue son identité et ses origines. Les miennes sont en Afrique même si je vis loin d'elle, mais ma musique me le rappelle chaque jour !