L'hémorragie financière en Afrique, on en parle très souvent, mais rares sont encore les travaux qui prennent la pleine mesure de la manne financière qui passe chaque année entre les doigts des économies africaines, par des voies les unes moins licites que les autres. Cette fois, c'est un conglomérat de 13 ONG internationales qui offrent une visibilité inédite et bien chiffrée sur ces flux financiers qui échappent au continent. 21 MMUSD de dettes C'est l'un des principaux canaux de flux financiers que connaît le continent. Même si une bonne partie de cette dette contractée auprès des puissances a été épongée sur les dernières années, les auteurs du rapport relèvent un «boom» des emprunts opérés par les pays africains sur la même période. Les emprunts des pays africains sur les marchés internationaux pour financer leur croissance ont pratiquement doublé sur les cinq dernières années. Depuis le début de la dernière crise économique, la valeur globale des prêts accordés aux gouvernements africains est passée de 2,9 MMUSD en 2006 à 24,4 MMUSD en 2012, selon les données du rapport. Une bonne partie de ces prêts - soit près du tiers, pour être plus précis - provient des institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale, le second tiers des prêteurs privés y compris les banques, et le dernier tiers des gouvernements étrangers comme le Japon, la Chine, la France et l'Allemagne. 46,3 MMUSD en profits rapatriés Le rapatriement partiel ou total des profits opérés par les grandes compagnies étrangères en Afrique est un gros trou noir de capitaux. Une valeur de plus de 46 MMUSD de bénéfices et profits réalisés par ces compagnies grâce à leurs activités sur le sol africain sont ainsi sortis du continent chaque année vers d'autres cieux. Entre septembre 2011 et mars 2012, 236 deals portant fusions-acquisitions ont été concrétisés sur le continent par des multinationales étrangères. Les secteurs de l'énergie et des mines sont les plus concernés, selon les tendances décrites par les auteurs du rapport. Si ces derniers n'excluent pas aussi les retombées positives des opérations «greenfield» (transfert de technologie, emplois et opportunités de formation), ils estiment tout de même qu'une fois installées, les multinationales ont souvent tendance à développer des influences sur le marché local du crédit ainsi qu'à adopter des positionnements monopolistiques, qui peuvent, à terme, asphyxier les activités du tissu local des PME, notamment sur les marchés peu ou non réglementés. 35,5 MMUSD en flux financiers illicites Entre 2002 et 2011, les flux financiers illicites en provenance du continent ont été de 50% supérieurs à la moyenne mondiale. Selon le rapport de ces 13 ONG internationales, la corruption endémique qui sévit dans une partie des économiques africaines n'est pas le seul facteur à cette situation. Les auteurs citent les conclusions du Global Financial Integrity qui estime que la corruption ne constitue que 3% des flux financiers illicites en Afrique. Les crimes financiers de diverses natures (trafic de stupéfiants, contrefaçon, etc.), seraient à l'origine de 30 à 35% de ces flux, là où les évasions fiscales compteraient pour 60 à 65% du total. Il faut savoir que plus de la moitié du business mondial passe par les paradis fiscaux. Les fuites de capitaux sont davantage favorisées par la prolifération de ces territoires dépourvus d'obligations fiscales. 25,4 MMUSD de réserves en devises étrangères C'est le montant que les gouvernements africains mettent chaque année à disposition des économies avancées, sous forme de réserves en devises étrangères. Ce prêt sert à constituer des réserves en cas de crise économique et financière ou d'autres chocs financiers externes. De 2003 à nos jours, les réserves détenues par les gouvernements africains sont passées de 40 MMUSD à quelque 215 MMUSD. La moyenne annuelle dépasse les 25 MMUSD. Les opérations de prêts sont généralement accompagnées et facilitées par des banques privées, ce qui veut dire que les gouvernements africains ont souvent très peu de maîtrise sur la manière dont cet argent est investi. Les auteurs précisent que les pays africains devront désormais s'assujettir à des taux d'intérêt plus élevés sur leurs opérations d'emprunts, que sur leurs opérations de prêts pour acquérir des réserves en monnaies étrangères. 1,3 MMUSD en pêche illicite Les pays africains côtiers, notamment ceux d'Afrique de l'Ouest, perdent chaque année 1,3 MMUSD à travers l'exploitation illégale et abusive de leurs ressources halieutiques. Dans les nombreux accords de pêche signés avec l'Union européenne, les auteurs du rapport indiquent que les pays africains ne recevraient, en contrepartie, que l'équivalent de 6% de la valeur des ressources que les navires européens prennent de leurs eaux. Il est également estimé que près de la moitié des prises opérées dans les zones maritimes de plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, l'a été dans des conditions illicites et non contrôlées. Les auteurs du rapport citent l'exemple de la Sierra Leone. Ce pays a relevé, entre janvier 2011 et juillet 2012, 252 incidents de pêche illégale. Les côtes africaines font pourtant partie des zones du monde les plus poissonneuses, un potentiel assez significatif pour assurer la prospérité des populations locales et lutter contre la pauvreté. 17 MMUSD de l'exploitation illégale des forêts Dans le sillage de la pêche illégale, le fléau de la surexploitation des ressources forestières du continent demeure réel. Les gouvernements africains on en effet multiplié ces dernières années les accords d'octroi de permis d'exploitation de leurs ressources forestières à de grandes firmes internationales spécialisées. Ces contrats ont mené à de nombreux abus, résultats des mauvaises politiques de gestion forestière et de la corruption qui gangrène ce secteur dans la plupart des pays africains à potentiels. Au Mozambique par exemple, en 2012, l'Etat a perdu plus de 20 MUSD sous forme de taxes d'exploitation et d'exportations impayées. Au même titre que la perte de ressources financières, l'exploitation illégale des forêts africaines entraîne d'inquiétantes dégradations des ressources financières, menaçant ainsi la survie des populations locales. 6 MMUSD de la fuite des cerveaux Le brain drain est l'une des plus vielles problématiques de la croissance africaine. Le rapport indique que le taux d'émigration des cerveaux africains - 10,5% - est quasiment le double de celui de la moyenne mondiale. L'émigration des travailleurs de la santé - l'un des secteurs les plus touchés - ne coûterait pas moins de 2 MMUSD au continent par année. Dans cinq pays en particulier (Sierra Leone, Tanzanie, Mozambique, Angola et Liberia), le taux d'émigration des médecins et autre personnel de santé dépasse la barre des 50%. Autrement dit, un médecin sur deux opte pour l'émigration vers les pays de l'OCDE pour pratiquer ses compétences. Au Mozambique, plus particulièrement, ce chiffre est de 56%. Ces pays sont d'ailleurs les pires élèves du continent et du monde en termes d'indicateurs de développement humain. En Sierra Leone, on compte deux médecins pour 100.000 personnes, là où ce ratio est d'un médecin/100.000 individus en Tanzanie et au Libéria. Pour combler le gap et les besoins en ressources humaines insatisfaits, les pays africains dépenseraient quelque 4 MMUSD pour employer des experts venus de pays avancés. Pour les auteurs du rapport, la fuite des cerveaux constitue une grande perte pour les Etats africains qui consacrent généralement de lourds budgets à leur formation. 10,6 MMUSD des effets du changement climatique C'est ce que coûteraient les efforts d'adaptation aux changements climatiques en Afrique, en dépit du fait que le continent n'en soit pas responsable. Les experts estiment à moins de 4% la contribution de l'Afrique dans le changement climatique que le monde est en train de subir, dû principalement à sa faible industrialisation. Un organisme de recherche sur le climat, le Climaye Vulnerable Forum, a jugé les impacts du changement climatique sur le monde entier, en les qualifiant de «hauts» à «sévères» dans plusieurs régions. L'Afrique serait en effet l'une des régions les plus concernées par ce phénomène, qui en provoque d'autres : sécheresses, intempéries, vagues de canicule, etc. Les gouvernements consacrent donc une bonne partie de leur budget à financer des programmes d'adaptation aux changements climatiques. Selon le rapport, les pays africains consacreront chaque année près de 11 MMUSD à ces efforts d'adaptation d'ici 2020. 26 MMUSD à promouvoir une croissance verte Etant l'une des premières victimes du réchauffement climatique et de ses impacts sur l'environnement, le continent s'est retrouvé dans la nécessité quasi-vitale de promouvoir, à travers toutes ses ressources, une croissance plus respectueuse de l'environnement. 26 MMUSD sont dépensées par les pays africains tous les ans pour ce faire. À l'image des coûts liés aux efforts d'adaptation, la promotion d'une croissance verte dans les économies africaines devrait également générer un coût de plus en plus important au fil des ans. Les auteurs du rapport se fondent sur des chiffres de la Banque africaine de développement qui projettent que ce coût devrait atteindre 52 à 68 MMUSD en 2030.