Les députés bouclent la discussion générale du projet du budget 2015 et passent aux budgets des ministères. Le gouvernement espère recevoir des amendements réalistes qui ne touchent pas les fondamentaux du projet. C'est par un exposé oral que l'argentier du pays a clôturé la discussion générale sur les dispositions du projet du budget au sein de la Commission des finances de la 1re Chambre. Mohamed Bousaïd s'est montré à la fois ferme dans sa défense des principes de base de son projet et ouvert à l'égard des remarques émises par les présidents des groupes parlementaires. «Les hypothèses de base du projet de loi des Finances sont fondées et réalistes», a indiqué Bousaïd devant les membres de la commission, tout en appelant les députés à formuler des amendements réalisables lors du vote du projet. Pour sa part, le président de la Commission des finances, Said Khairoune, explique que la majorité et l'opposition disposent chacun d'amendements fondés, dans une allusion directe à l'éventualité de procéder par des amendements groupés. Il est à noter que la majorité et l'opposition se sont mis d'accord sur la suppression de l'article 8 du projet qui interdit la saisie sur les biens de l'Etat en cas de condamnation pécuniaire envers les administrations. Le sujet des élections a été aussi soulevé durant la réunion qui clôture l'examen préliminaire du projet au sein de la commission avec des promesses qui ont été faites par l'argentier du pays pour permettre aux députés d'être mieux impliqués dans les dotations qui seront affectées aux prochaines échéances électorales. Au sujet de la loi organique des Finances, le retard accusé handicape sérieusement les attributions des députés. «Le budget de cette année aurait dû être encadré par une nouvelle loi organique conforme à la nouvelle constitution, favorisant plus de transparence, de rigueur et d'efficience dans la gestion des finances publiques, ce qui n'a pas été le cas en raison du retard pris dans l'adoption de ladite loi», indique un député de l'opposition. En plus de l'adoption de la nomenclature programmatique et de la programmation pluriannuelle, les députés sont toujours dépourvus du droit de suivi et d'évaluation de la performance des règles budgétaires. De leur côté et pour plusieurs représentants de la majorité, le PLF 2015 demeure sans aucune vision économique stratégique puisqu'il ne marque aucune rupture avec les lois précédentes. «Le gouvernement a choisi la facilité en reconduisant le même modèle de développement économique, à savoir stimuler la demande interne, sans qu'il y ait une réelle stratégie pour rééquilibrer la croissance marocaine, tirée essentiellement par la consommation des ménages et les investissements publics», ont indiqué en substance les présidents des 4 groupes de l'opposition. Pour leur part, les présidents des groupes de la majorité au sein de la commission ont insisté sur le caractère innovant de plusieurs dispositions, essentiellement l'encouragement de l'industrie. L'action du gouvernement en 2015 pour l'atteinte des objectifs devra se traduire notamment par la mise en œuvre des réformes et des programmes prioritaires, notamment les chantiers politiques et la mise en œuvre de la régionalisation, sans oublier les chantiers sociaux et l'ancrage de la solidarité, de la cohésion sociale et spatiale. L'attention des députés de la majorité est portée également vers les modes inclus dans le PLF en vue de renforcer l'investissement privé, l'appui à la PME et enfin le lancement du Plan d'accélération industrielle 2014-2020 ayant pour objectif la création de 500.000 emplois à l'horizon 2020 et la hausse de la part du secteur industriel dans le PIB de 9 points pour passer de 14% à 23% en 2020. La majorité insiste dans ce registre sur le rôle du Fonds pour l'accompagnement et le soutien du développement industriel ainsi que la mise en œuvre d'une nouvelle approche pour la mobilisation de l'assiette foncière publique et la création de zones industrielles de haute qualité dédiées à la location. Les budgets sectoriels entamés Le dernier délai pour le dépôt des amendements fixé au 10 novembre. Le vote de la 1re partie du projet portant sur les recettes sera effectué le 12 du mois courant. Les diverses commissions de la 1re Chambre entament actuellement une véritable course contre la montre en vue de rester dans les délais fixés par l'agenda législatif avant de passer aux séances plénières. Les députés ont déjà examiné, à la fin de la semaine écoulée, les budgets du tourisme et de l'agriculture, et entament aujourd'hui l'examen des dotations du ministère de la justice. Boussaid, pour sa part, sera attendu le mercredi en vue de répondre, une dernière fois, aux remarques qui ont été émises par les présidents des groupes parlementaires, avant de passer au dépôt des amendements dont le dernier délai a été fixé au 10 novembre. Le vote de la 1re partie du projet portant sur les recettes sera effectué le 12 de ce mois et reste un délai à ne pas dépasser, selon l'agenda des commissions. À noter que plusieurs membres de la commission, toutes tendances confondues, insistent, durant cette étape d'examen du Budget, sur le véritable «enjeu qui est de faire évoluer le débat autour du Budget et tourner la page des surenchères qui ont marqué les votes précédents», comme l'a souligné un représentant de la majorité. Les membres des 8 commissions chercheront à être plus entreprenants en utilisant l'ensemble des mécanismes prévus par le règlement intérieur du Parlement ou celui de la présentation d'amendements groupés.Un accord de principe existe sur plusieurs mesures qui seront insérées dans la version qui sera transmise à la 2e lecture de la Chambre des conseillers. À rappeler que prés de 90 amendements ont été acceptés durant le vote de 2014 grâce à une entente qui a été trouvée entre les composantes de la Commission des finances et qui avait permis de tracer avec précision le schéma des corrections à apporter à la version finale du projet. En ligne de mire des 8 groupes figurent aussi les mesures prévues pour la convergence des plans sectoriels, les rapports annexes au projet qui renforcent leur droit d'information ainsi que les efforts consentis pour améliorer le ciblage des programmes sociaux. «On est face à un projet très optimiste» Hicham El Moussaoui Economiste et professeur d'économie à la Faculté de Beni Mellal Les ECO : Quelle première lecture faites-vous du PLF 2015? Hicham El Moussaoui : L'observation des hypothèses sur lesquelles le gouvernement s'est basé pour établir ce projet de loi de Finances montre un certain excès d'optimisme qui «flirte» avec le manque de réalisme, ce qui rend ce projet de loi de Finances, à mon sens, pas convaincant économiquement, qu'il s'agisse des hypothèses retenues pour son élaboration ou du contenu des mesures prévues pour atteindre les objectifs fixés. C'est un PLF de transition, essentiellement à forte orientation comptable car établi sous la pression du FMI, en échange de la ligne de précaution et de liquidité de 5 milliards de dollars reconduite cet été. Les objectifs de croissance inclusive, d'emploi et de rééquilibrage social, malgré les annonces du gouvernement Benkirane, ne trouvent pas de réponses satisfaisantes. Le PLF 2015 est un projet sans aucune vision économique stratégique puisqu'il ne marque aucune rupture avec les lois précédentes. Pensez-vous qu'avec l'hypothèse retenue par le gouvernement, on peut espérer atteindre le même taux de croissance qu'en 2013? En 2013, et avec une campagne agricole exceptionnelle (97 millions de quintaux), la croissance a atteint seulement 4,4%. Alors comment peut-on espérer qu'avec l'hypothèse retenue par le gouvernement d'une campagne agricole moyenne en 2015 (pas plus de 70 millions de quintaux), on puisse atteindre le même taux qu'en 2013? Le gouvernement pourrait rétorquer que les demandes interne et externe permettront d'atteindre la croissance escomptée. Or, quand on observe la dégradation de l'indice de confiance des ménages, notamment à cause du taux de chômage qui flirte avec les 10%, les tendances inflationnistes avec l'augmentation du coût de la vie, il est trop optimiste de penser que la demande interne, en l'occurrence la consommation des ménages, fera des miracles. De même, dans un contexte de reprise très fragile de l'économie mondiale et surtout de mollesse de la croissance chez notre principal partenaire, cela n'augure pas de belles perspectives pour nos exportations hors phosphates. Si les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique continueront sur leur lancée, les perspectives des exportations traditionnelles restent moins reluisantes. D'ailleurs, le taux de croissance prévu pour la zone euro ne dépassera pas 1% (plus précisément 0,8%). Et qu'en est-il du déficit budgétaire? Concernant l'objectif du déficit budgétaire de 4,3% en 2015, il me paraît difficilement réalisable, comme celui fixé pour 2014 à 4,9% sur la base d'un taux de croissance de 4%. Dans la perspective d'une croissance inférieure à 4% en 2015, et en dépit de la réduction du budget de la compensation, il est plus raisonnable de tabler sur un déficit budgétaire de 5 à 5,5%. Le niveau de croissance projeté en 2015 ne générera pas assez de recettes pour suivre la progression des dépenses publiques (+1%). Par ailleurs, et en dépit de l'accalmie actuelle sur le marché pétrolier, l'économie marocaine n'est pas à l'abri d'une remontée des cours du baril qui risque de changer la donne. Il va de soi que, dans ces conditions (croissance moyenne et dépenses publiques en légère hausse), le besoin de financement de l'économie marocaine ne sera qu'amplifié avec la conséquence inévitable du recours à l'endettement public qui a déjà atteint un niveau inquiétant celui de 63% du PIB en 2013 et il est prévu qu'il atteigne les 80% en 2014. Quant au chômage, et en l'absence de visibilité pour les opérateurs ainsi que sur les difficultés de trésorerie dont ils souffrent, il sera au mieux maintenu autour des 9%, au pire il stagnera autour des 10% actuels. L'on est face à un projet très optimiste et qui rendra certainement une loi rectificative nécessaire au cours de son exécution. Quels sont les avantages et inconvénients du PLF 2015? On peut dire que les avantages de ce PLF résident essentiellement dans ses intentions, notamment la volonté de rétablir les équilibres macroéconomiques, le renforcement de la compétitivité, la relance de l'investissement, la réduction des disparités sociales et géographiques, et d'accélérer la mise en œuvre de la Constitution, de la régionalisation avancée et des grandes réformes structurantes. Certaines mesures vont dans le bon sens, notamment l'apurement des arriérés des entreprises, l'amélioration des délais de paiement et le maintien de l'effort de remboursement du butoir de la TVA; l'institution d'un nouveau mécanisme en faveur des entreprises nouvellement créées, de sorte que les cinq premiers employés embauchés soient exonérés du paiement de l'impôt sur le revenu à hauteur d'un salaire de 10.000 DH, l'amélioration du système de l'auto-entrepreneur en étendant son champ d'intervention et simplifiant les procédures à travers l'auto-déclaration, la réduction du montant de l'investissement destiné à l'acquisition des biens d'équipement, matériel et outillages bénéficiant de l'exonération totale des droits et taxes exigibles à l'importation de 200 à 150 MDH, l'imputation d'office du reliquat d'IS versé au titre d'un exercice sur les acomptes provisionnels des exercices suivants, l'institution du fonds de développement industriel avec une dotation de 3 MMDH. Toutefois, il s'agit bien de mesures isolées et qui ne s'inscrivent pas dans une vision et une stratégie globale. De même, ces mesures restent largement en deçà des doléances des différents opérateurs dans les différents secteurs économiques. Quand aux inconvénients, ils sont nombreux. Certes, le chef du gouvernement a insisté sur la rationalisation des dépenses de fonctionnement (mutualisation des achats, contrôle a priori du parc automobile, efficacité énergétique), mais, en dépit de leur nécessité, ce ne sont que des économies de chandelle. L'essentiel se situe ailleurs. Peut-on avoir plus de détails? Le PLF 2015 prévoit une masse salariale de 105,509 MMDH, soit 10,8% du PIB, contre environ 86 MMDH en 2011. Pour l'investissement public (l'administration, les établissements publics et les collectivités locales), lui a été consacré une enveloppe de 189 MMDH contre 186,6 MMDH l'année d'avant et 167 MMDH en 2011, avec une augmentation plus significative du budget d'investissement de l'administration, qui est passé de 49,5 MMDH en 2014 à 54,09 MMDH en 2015. Les comptes spéciaux du Trésor et les SEGMA ne sont pas concernés par des mesures de rationalisation de leurs dépenses et d'efficacité au niveau de leurs recettes. Les seuils de réduction des dépenses fiscales ne sont pas non plus déterminés pour lever le voile sur la vraie portée économique des exonérations et sur les déséquilibres qu'elles causent à nos comptes publics. Le Maroc continue de payer les pots cassés des entreprises et établissements publics qui sont encore loin des principes de bonne gestion. Les données analysées par les députés Les débats en commission ont porté sur plusieurs points. C'est le cas pour les charges dont le montant total s'établira à 383MMDH en 2015 contre 367MMDH en 2014, soit une augmentation de 4,33% qui est restée différemment interprétée par les groupes parlementaires. Un focus a été aussi porté sur l'impact de la réforme administrative et du statut de la fonction publique sur les dépenses de personnel, qui vont augmenter de 1,7% pour atteindre 105MMDH. En ce qui concerne les comptes spéciaux du Trésor, les données mises à la disposition des membres de la Commission des finances indiquent que les programmes d'investissement non couverts par des transferts du Budget général s'élèvent à 15MMDH et portent principalement sur le renforcement du réseau routier national, le soutien d'actions relevant des secteurs de l'agriculture, des eaux et forêts, de l'élevage, de l'audiovisuel, de l'habitat et de la justice.