Depuis quelques mois, la régionalisation revient sur toutes les lèvres. La ministre de l'Energie, de l'eau et de l'environnement, Amina Benkhadra, n'a pas dérogé à la tendance générale et a remis le débat sur la table lors des dernières Assises de l'énergie. En 2009, lorsqu'elle présentait ses ambitions pour le solaire, l'éolien et l'hydraulique, cette régionalisation -encore peu avancée à l'époque- était préétablie par la répartition des potentialités naturelles du territoire. Du nord au sud, la carte d'irradiation de la ventilation et de l'irrigation naturelle du territoire, a permis de créer un certain équilibre entre les différents projets inclus dans le cadre des programmes de production d'énergie électrique. Il ne manquait donc plus que les projets, mais surtout la définition de la manière de les intégrer au niveau local, afin d'en faire bénéficier les régions qui les abriteraient sur le plan économique et social. Aujourd'hui, cette dernière problématique s'impose d'elle-même, avec davantage d'acuité, dans un contexte marqué par la nécessité d'enclencher une croissance décentralisée. L'une des premières initiatives - le projet solaire de Ouarzazate, de 50MW en capacité installée- est déjà en première phase de réalisation. C'est ce qui en fait, d'ailleurs, le principal projet de référence, puisqu'il est pour le moment sur la voie de l'aboutissement. S'il est certes encore prématuré d'en déterminer concrètement les impacts sur l'économie locale, rien n'empêche le cas échéant d'en dégager les portées supposées. À cet exercice, Mustapha Bakkoury, le président du directoire de la MASEN, est en train de s'atteler. La structure dont il assure la direction vient en effet de lancer une étude, avec le partenariat de l'Agence française de développement (AFD). L'objectif est clair, il s'agit «d'avoir une meilleure connaissance des acteurs locaux, aussi bien du côté des autorités que de la société civile, identifier les impacts et opportunités d'emplois et d'infrastructures sur la population sur le plan local», nous explique le responsable. À partir de là, des actions préparatoires seront lancées pour que ces effets soient optimisés. Impacts directs... Néanmoins, quels sont ces effets, justement ? Pour Bakkoury, «ce genre de projets, de par sa taille et sa nature, doit avoir un effet d'entraînement sur les dynamiques de développement économique et social à l'échelle régionale». Le projet de Ouarzazate devrait ainsi avoir deux types d'impacts, de la conception à l'entrée en exploitation. Le premier serait direct et concernerait surtout l'économie de la région. Il devrait être constitué de plusieurs éléments comme la création d'emplois et la création d'une filière locale industrielle. Globalement, les prévisions les moins enthousiastes du ministère de tutelle, parlent de la création de 6.100 nouveaux postes directs dans le CSP (solaire à concentration) à l'horizon 2020. Quant à la création d'une filière industrielle locale, elle sera forcément induite par l'attrait que constituera la centrale solaire lors de sa phase de réalisation. Cet attrait se manifeste à travers de nouvelles implantations d'industrielles de tailles diverses de fabrication de composants solaires et de maintenance des installations. «L'industrie marocaine des énergies renouvelables est relativement encore faible. Il faut absolument que nous puissions être capables de rattraper le train en marche, en se greffant dans la sous-traitance des travaux des consortiums de grands groupes qui ont remporté l'appel d'offres par rapport à ce projet», explique, pour sa part, Youssef Tagmouti, président de la Fédération nationale de l'électricité, de l'électronique et des énergies renouvelables (FENELEC). Par ailleurs, l'implantation d'un tel projet nécessitera aussi parallèlement, la mise à niveau de l'offre infrastructurelle. De nouvelles zones industrielles intégrées dédiée aux énergies renouvelables en général, et aux technologies solaires en particulier, sortiront de terre. C'est le cas par exemple de la future Technopole d'Oujda, dont la vocation sera de regrouper sur un même foncier - techniquement aménagé à cet effet - toutes les enseignes spécialisées dans le secteur des énergies vertes, locales ou étrangères. «Cela, d'autant plus que dans la majeure partie des cas, il s'agit de projets développés dans des territoires qui manquent souvent d'un certain nombre d'atouts infrastructurels, ressources humaines, etc.», complète le président du directoire de MASEN. ...et indirects Le choix des sites semble avoir suivi cette logique, même si la Banque mondiale, l'un des principaux bailleurs de fonds du projet, voit plus loin. «Il faut l'instauration de vraies politiques locales, au lieu de se limiter au soutien des métiers qui vont être développés localement. Il faut souligner aussi l'importance que pourrait apporter une bonne gouvernance locale», martelait Simon Gray, le directeur régional Maghreb de l'institution financière, à la tribune des dernières Assises de l'énergie. Par ailleurs, ces effets directs, à un premier niveau purement économique, devraient en induire d'autres, en l'occurrence d'ordre social. Qui dit création d'emplois, parle aussi de revenus en augmentation relative pour la population locale et, concrètement, d'impact sur les factures énergétiques des foyers. «La population est souvent intéressée par la perspective d'un avantage qu'elle peut retirer du projet, comme une remise sur la facture d'électricité ou une part de propriété», commente Jean Bellavoine, expert international et cadre chez Heliotrop, une enseigne française spécialisée dans l'énergie éolienne. En termes de benchmark, le Danemark peut facilement s'ériger en exemple de la «propriété collective». La rime créée ici, n'est que pur hasard, tout en sachant que ce pays du Vieux Continent a déjà gagné ses lettres de noblesse dans le domaine des énergies renouvelables. En effet, il s'agit de l'une des méthodes les plus efficaces reconnues aujourd'hui pour procurer un bénéfice à la population locale, tout en gagnant son appui au projet qui sera développé. Les formules envisagées par la mise en œuvre de ce concept vont des parts de propriété sans restriction, des parts liées à la consommation d'énergie, aux «parts ciblées» (réservées aux riverains ou aux groupes d'intérêt, par exemple). Les principes de l'ancrage Dans un cadre beaucoup plus global, l'aspect régionalisation dans la mise en œuvre de la nouvelle stratégie énergétique du royaume tourne concrètement autour de plusieurs aspects. De nombreuses conventions ont été en effet signées avec les régions, notamment celles de Souss-Massa-Drâa, Meknès-Tafilalet, Rabat-Salé-Zemmour-Zaër, Tadla-Azilal et l'Oriental. Ces conventions portent, en priorité, sur l'élaboration d'une stratégie (master plan) de mobilisation des énergies renouvelables, d'efficacité énergétique, de protection de l'environnement et de préservation des ressources naturelles. Cela devrait se faire notamment à travers le développement du concept de l'économie circulaire. En second lieu, il s'agit d'identifier des projets d'investissements dans les domaines des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique, une étape déjà franchie à ce jour. D'autre part, l'idée est également de développer des programmes structurants permettant d'intégrer les ER au niveau des régions. Autrement dit, des stratégies énergétiques régionales, fondées sur les potentialités naturelles de chaque territoire régional. Les deux dernières phases portent sur la mobilisation des acteurs régionaux pour l'intégration des ER, une logique de développement du marché et de développement régional durable, ainsi que d'appui à la création de pôles de compétences en énergie et environnement, qui contribueront au développement de ce marché régional. POINT DE VUE: Simon Gray, Directeur Maghreb à la Banque mondiale Il est clair que le royaume doit faire en sorte que les régions qui abriteront ces technologies puissent en bénéficier, ainsi que des retombées des investissements qui y seront réalisés. Face aux exigences d'équité spatiales, la priorité pour les pouvoirs publics est de s'assurer d'éliminer tout facteur qui limite les zones moins développées, en comparaison à celles à plus forte croissance. Notamment en termes de climat d'affaires, d'infrastructures, de services sociaux, mais aussi de formation et de développement des ressources humaines. En une phrase, il faut une croissance économique qui permette à tous les habitants de ce pays de bénéficier des mêmes facilités d'accès aux services sociaux de base et aux infrastructures liées aux projets qui ont été lancés. Les projets à investissement dans le domaine du solaire, sont ceux qui procurent l'occasion de pouvoir mettre en place une industrie locale bien ciblée. Le «miracle» de la com' Dans un rapport intitulé «Sources d'énergie renouvelable, sources de développement durable», l'Observatoire européen leader livre des petites recettes grandeur nature pour l'accompagnement de projets d'énergie renouvelable d'envergure locale. L'une de ces formules magiques tourne autour de la communication et de la sensibilisation de la population locale, étape qui devrait intervenir en amont même de la conception du projet sur le terrain. «Une localisation maladroite et le développement de projets mal adaptés à l'environnement vont non seulement perturber les équilibres locaux, mais également porter atteinte au sentiment généralement favorable que le public éprouve à l'égard des énergies renouvelables», prévient-on dans ce document. Ainsi, l'animation et la mobilisation locale autour du projet devrait jouer un rôle facilitateur pour atteindre l'adhésion de la population. Une information et une mobilisation précoce contribueraient, selon ce rapport, à obtenir d'abord l'appropriation collective du projet et moins d'opposition de la part du public, ainsi qu'une accélération des étapes de mise en œuvre. Il faut ajouter à cette liste le brassage d'idées d'amélioration pour le site, la disposition et la conception du projet. POINT DE VUE: Saïd Chbaâtou, Président de l'Association des régions marocaines Le souci de la régionalisation ne se pose pas vraiment avec une grande acuité, s'agissant des programmes nationaux solaires et éoliens. Il faut savoir que ces derniers ont été lancés sur la base de potentiels naturels, mais aussi techniques de telle ou telle région, et non pas en se fondant sur le principe obligatoire de l'équilibre entre les différentes territoires locaux. Cela est facilement compréhensible d'ailleurs, puisque pour le solaire on n'a pas les mêmes intensités d'ensoleillement d'une région à une autre. Il s'agit d'une répartition géographique qui répond beaucoup plus aux exigences de réussite technique de ces programmes. À l'état actuel d'avancement du projet solaire marocain, par exemple, je pense que ce qui risque d'être un blocage, c'est la disponibilité au niveau local des ressources humaines qualifiées nécessaires. La création de centres de formation ou autres établissements de qualification spécialisés, est bien sûr devenue une nécessité pour répondre à cette demande. Par ailleurs, il faudrait qu'il y ait une globalisation au niveau budgétaire, qui permettrait à chaque région de faire sa combinaison et de promouvoir ses secteurs de prédilection, en fonction bien sûr de ses spécificités.