La santé, jusqu'à récemment considérée comme insolente, du secteur bancaire marocain va-t-elle connaître un coup de frein en raison de la conjugaison des effets de la conjoncture économique actuelle ? C'est ce que prévoit l'agence de notation internationale Fitch Ratings, l'une des plus crédibles au niveau mondial. L'agence vient de publier un rapport succinct sur la situation du secteur bancaire marocain, ainsi que les perspectives à court et long termes. Après avoir analysé l'essor du secteur au niveau interne suivi par une expansion des principales banques du Maroc, notamment en Afrique, Fitch a dressé un constat mitigé du secteur bancaire marocain. Les fondamentaux sont certes solides et permettront au secteur de s'attendre à de perspectives prometteuses, mais à moyen terme, la multiplication des risques va avoir un impact négatif sur la bonne santé du secteur. L'essoufflement de cette dynamique s'est intensifié en 2012 et devrait connaître une période de turbulences en 2013, dans le sillage de la conjoncture économique assez difficile que vit le Maroc. Ainsi, au rang des risques majeurs pour le reste de l'année en cours, les banques marocaines devront s'attendre à une probable dépréciation des créances, en raison d'une hausse des provisions ainsi qu'une réduction de leurs revenus en raison d'un recul de la demande de crédit. «Les banques marocaines sont susceptibles de faire face à des charges de dépréciation des prêts élevés pour le reste de l'année, ainsi qu'à une baisse de leurs recettes sous la pression de la demande de crédit», a relevé Fitch Ratings dans son rapport publié le 2 septembre dernier. La conjugaison de ces facteurs va se traduire par un coup de frein au rythme de croissance que connaît le secteur depuis des années. Cependant, en dépit de la multiplication des risques et de l'ampleur des pressions, l'agence a confirmé s'attendre à «un atterrissage en douceur après plusieurs années fastes». Les raisons de cet optimisme s'expliquent selon les auteurs du rapport par des coûts modérés, une base de dépôts diversifiée, ainsi qu'une faible exposition au marché financier européen, qui isole le secteur des effets qu'engendre la crise de la zone euro. Selon Fitch, cette situation s'explique en grande partie par l'efficacité du cadre réglementaire, qui a également permis de limiter la dette extérieure du pays. C'est pour cette raison d'ailleurs, que les principales institutions bancaires du pays ont vu leurs notations confirmées. Risques et résilience Selon Fitch Ratings, «les prêts douteux ont augmenté de façon importante dans toutes les grandes banques en 2012 et, compte tenu des perspectives économiques plus faibles, nous nous attendons à une détérioration des ratios de qualité des actifs en 2013». De même, l'exposition croissante à l'Afrique sub-saharienne, en particulier pour les trois plus grandes banques, Attijariwafa bank, Groupe Banque Centrale Populaire et BMCE Bank , est également susceptible d' augmenter la pression sur les ratios de qualité des actifs. Le rapport a également fait cas du recul de la demande des crédits, 3% au premier trimestre de l'année en cours, ce qui va se traduire par une diminution des profits pour les banques marocaines, qui «dépendent fortement des prêts intérieurs». La performance des banques marocaines est fortement corrélée à l'économie nationale selon Fitch, qui relève également que le financement est presque exclusivement domestique, en plus du fait que les dépôts des MRE, qui constituent 20% des dépôts, n'ont pas connu de grande saignée vers l'étranger. À cela s'ajoute le fait que les dépôts de clients qui concentrent 75 à 85% des financements non participatifs du secteur permettent de maintenir des coûts de financement relativement bas. Parallèlement, la forte proportion des financements de détails relevée par le rapport est de nature à réduire les risques de vulnérabilité pour toutes les grandes banques. L'agence internationale n'a pas manqué de noter qu'en dépit d'une montée en puissance du refinancement bancaire par la Banque centrale (BAM) depuis 2010, son niveau reste encore modéré. Pour Fitch Ratings, cette politique de la Banque centrale illustre le fait que les autorités gouvernementales sont prêtes à porter secours aux banques en cas de besoin, ce qui constitue un important avantage. Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib. Les ECO : L'agence de notation Fitch Ratings vient de rendre public un rapport dans lequel elle relève la bonne santé du secteur bancaire marocain, en dépit de quelques risques. Quelles appréciations faites-vous de cette évaluation ? Abdellatif Jouahri : C'est une nouvelle positive, car en aucun cas, la notation des banques marocaines n'a été remise en cause. Aussi, cette publication positive conforte les banques dans leurs accès aux marchés financiers à l'international, notamment celles qui ont initié des emprunts en devises. Fitch n'a pas manqué d'évoquer les risques liés à la situation économique qui influe sur l'économie nationale, notamment sur le ralentissement de la production de crédits et la baisse attendue des revenus bancaires... Ce ralentissement dans la production de crédits et des encours reflète la situation atone de l'économie nationale. Il subsiste effectivement quelques risques, mais rien qui remette en cause la solidité de nos banques. L'agence de notation ne manque cependant pas de souligner le rôle important des interventions de la Banque centrale... Absolument! C'est d'ailleurs le message que nous nous efforçons à transmettre aux médias et aux observateurs, sans être systématiquement entendus, malheureusement. Les injections de liquidités auxquelles nous procédons sont primordiales pour maintenir l'image solide des banques marocaines au niveau international. Je tiens également à insister sur le fait que nous surveillons de près l'affectation que font les banques de nos refinancements. Et nous disposons de tous les moyens nécessaires pour faire ce suivi. Cela veut-il dire que BAM va maintenir cette même politique monétaire? Bien sûr. C'est la stratégie que nous jugeons la plus adéquate dans le contexte actuel.