Le 18 novembre 1955, Sidi Mohammed Ben Youssef prononça le discours du trône où il proclama officiellement l'indépendance du Maroc. Il était rentré triomphant deux jours plus tôt de son exil qui a duré deux ans. Naissance d'un mouvement En 1953, lorsque l'exil de Mohammed V a été annoncé, Louis Pankrazi avait 23 ans. Français du Maroc, c'était alors un jeune avocat stagiaire à la conscience politique développée. « Ça ne pouvait pas continuer, il fallait que la politique de la France change. Nous étions contre les excès dans la direction que la France voulait imposer au Maroc. Ce qui devait être un protectorat à la base est devenu une colonie de peuplement », explique-t-il avec fougue. Alors il a signé la « lettre des 75 », cette lettre que les Français « libéraux » ont adressée à leur Président pour qu'il revoie de politique au Maroc. Les libéraux étaient un groupe minoritaire de Français installés au Maroc et opposants à la politique colonialiste de la France et qui a toujours soutenu le retour du sultan au Maroc. Ainsi, le Docteur Delanoë, initiateur de la lettre, crée l'association Conscience française, et décide d'envoyer cette « lettre des 75 », qui fera des émules par la suite, avec « la lettre des 128 ». En juillet 1954, 128 Marocains s'adressèrent du même ton au résident général pour réclamer davantage de libertés. Rue Larbi El Bennaï ! «Nous les libéraux, nous dérangions, nous troublions l'ordre public. On nous a souvent menacés, on a essayé de tuer certains d'entre nous, notamment Legrand et Luigi. Lemaigre-Dubreuil a même été tué dans un attentat «anti-terroriste» qui le visait. On nous accusait de défendre les terroristes marocains», se souvient Pankrazi. Celui-ci a, en effet, défendu des personnes impliquées dans des attentats, notamment l'auteur du déraillement du train de Marrakech, premier geste de violence faisant suite à l'exil du Sultan. L'attentat n'ayant pas fait de morts, Larbi El Bennaï aurait pu s'en tirer en faisant amende honorable. Mais malgré les conseils de Pankrazi, il n'exprima aucun remord. Or, en cette période trouble, le tribunal militaire voulait en faire un exemple pour les rebelles. Il a donc été condamné à mort. Le recours en grâce ayant été rejeté par René Coty, le Président français, il fut fusillé. «Il a refusé qu'on lui bande les yeux, c'était quelqu'un de très courageux. Je ne comprends pas qu'il n'y a pas de rue portant son nom à Marrakech», déplore l'avocat. Retour majestueux En août 1953, la décision de destituer Mohammed Ben Youssef et de l'exiler venait de tomber. Elle s'apprêtait à chambouler le paysage soacial et politique marocain de l'époque. Le peuple marocain, jusque-là plutôt calme, s'embrase et des actes de violence urbaine naissent dans toutes les grandes villes du royaume. Le premier anniversaire de l'exil du Sultan suscite des émeutes d'une rare violence. La France venait de perdre la Guerre d'Indochine et les populations du Maghreb commençaient à se soulever contre l'occupant. De peur de tout perdre, la France se résout à concentrer ses efforts sur l'Algérie et accepte de négocier un retrait du Maroc et de la Tunisie. Le retour du sultan est alors décidé. L'Istiqlal qui avait mené la lutte au nom du retour de Mohammed Ben Youssef espérait obtenir la gestion du pays et contenir le Sultan a une fonction honorifique. Mais l'amour des Marocains pour Mohammed V, considéré comme le réel symbole de l'indépendance, installa la monarchie de façon durable dans le paysage politique marocain.