Le système de comptabilité nationale n'est plus adapté à la réalité économique. Les renseignements fournis par les différents secteurs économiques manquent de fiabilité ou sont inexistants. En réalité, le PIB est sous-estimé de 10%. Le PIB tel qu'il est calculé aujourd'hui, et qui sert d'indicateur-phare pour le Maroc, reflète-t-il de manière fidèle le volume et la valeur des richesses produites par l'économie marocaine ? La réponse est non. Et c'est, courageusement, le Haut commissariat au Plan lui-même qui apporte cet élément de réponse, sachant que, depuis quelques jours, une polémique l'oppose au gouvernement, ce dernier remettant en cause la fiabilité des chiffres et données produits par la direction de la Statistique. Un faux PIB ? Il serait plus juste en fait de parler de PIB sous-estimé. Il est sous-estimé pour deux raisons. D'une part, les éléments le composant et la méthode même de calcul sont inadaptés, d'autre part, et c'est plus inquiétant, les sources d'information ne sont pas toujours fiables. Sur le premier volet, il faut dire que le Maroc a accusé un sérieux retard. En effet, le système de comptabilité nationale (SCN) en vigueur jusqu'à ce jour est celui prôné par les Nations Unies en… 1968. En 1993, l'ONU a adopté un nouveau système en invitant les pays membres de l'organisation à le mettre en place. Or, la préparation pour le Maroc n'a démarré qu'en 1998 et les enquêtes de structures ont été bouclées en 2001. La réforme radicale du système de comptabilité nationale est aujourd'hui entamée. Son entrée en vigueur est attendue pour fin 2005. Les actifs incorporels n'ont jamais été considérés comme production marchande Les premières simulations préparant l'entrée en vigueur du nouveau système sont donc déjà prêtes et, à en croire les chiffres du HCP, il y a des différences de taille. Un exemple : rien qu'en adoptant le nouveau système, le PIB gagnerait d'un coup 9%. De fait, les insuffisances de l'ancienne méthode de calcul du PIB sont nombreuses. La plus importante est que le PIB, tel que calculé par l'ancienne méthode, ne prenait pas en considération certains biens ou services qu'il ne considérait pas comme étant une production marchande. Le plus flagrant est celui des actifs dits incorporels. Ainsi, dans l'ancienne méthode, celle de 1968, la production de logiciels n'était pas considérée comme une production de valeur ajoutée. Les droits d'auteur non plus n'étaient pas pris en compte. L'autre cas est celui des investissements réalisés par une entreprise donnée dans la prospection minière et énergétique, qui n'étaient pas considérés comme investissement tant qu'il n'y avait pas de production de matière au vrai sens du terme. De manière générale, tout ce qui relève de la création n'était pas comptabilisé dans les actifs ou dans la valeur ajoutée. Du coup, la valeur ajoutée globale, à la base du calcul du PIB, se trouvait amputée de plusieurs milliards de DH. Raison pour laquelle le PIB, tel qu'il a été calculé, ne reflétait pas le volume et la valeur des richesses réellement produites par les différents agents économiques du pays. Reste que la mise en œuvre de la nouvelle approche ne pourra, à elle seule, remédier aux insuffisances de l'ancien sytème et garantir la production de statistiques fiables reflétant à 100% la réalité. Et c'est là la deuxième raison qui fait que le PIB est sous-estimé. Le Maroc devra encore fonctionner et bâtir ses stratégies de développement sur des statistiques approximatives. Car, en dépit de l'application du nouveau SCN, le problème de la fiabilité des données sur lesquelles se base ce calcul reste posé. En effet, une fois la formule fixée, il s'agit d'alimenter le modèle de calclul en informations chiffrées. Or, le système national de collecte d'informations demeure largement défaillant en raison principalement du cloisonnement des différentes administrations et de l'absence de rigueur dans la production de statistiques. Raison pour laquelle le premier ministre a demandé, au mois de janvier dernier, aux différents organes gouvernementaux de réactiver le fameux Comité de coordination des enquêtes statistiques (lire encadré en pages suivantes). Le fait est qu'aujourd'hui pour estimer la valeur ajoutée créée au niveau de chaque branche d'activité, la direction de la Comptabilité nationale se base sur des informations qu'elle produit elle-même par le biais de ses propres enquêtes. Ces informations sont complétées par d'autres, produites pour chaque secteur par les départements concernés. C'est le cas, par exemple, de l'enquête industrielle effectuée par le ministère du Commerce et de l'Industrie, de l'enquête agricole réalisée par le ministère de l'Agriculture et des chiffres produits par les associations professionnelles. La fiabilité du PIB dépend donc dans une large mesure de celle des chiffres fournis par ces départements et associations. Or, rien ne garantit cette hypothèse. En effet, et après vérification sur le terrain, il se trouve actuellement que ces données n'atteignent pas, dans plusieurs cas, le niveau de fiabilité requis ou, du moins, le niveau de finesse des travaux réalisés par la direction de la Statistique. Un véritable travail de fourmi est par la suite entamé pour corriger, dans la mesure du possible, les erreurs de base. Outre cette limite, le HCP doit faire face à une autre contrainte, celle de l'accès aux données comptables des entreprises afin de pouvoir recouper avec les informations dont il dispose. Une option qui lui est aujourd'hui interdite. Les Impôts, sous prétexte du secret professionnel, interdisent l'accès à ces informations. En fin de compte, même en adoptant la nouvelle nomenclature prônée par l'ONU, le Maroc se retrouvera avec un PIB sous-estimé, sauf qu'il sera, cette fois-ci, un peu plus proche de la réalité