Dans «Le Jardin des pleurs», Mohamed Nedali explore les rouages troubles de la justice marocaine, avec l'humour féroce et la précision qu'on lui connaît. Le titre nous rappelle celui, plus lugubre, du roman de Octave Mirbeau, paru en 1899, Le Jardin des supplices. Un troublant condensé d'horreurs, admirablement bien écrit, à lire si vous avez les tripes bien accrochées. Mais la comparaison s'arrête là, Nedali n'étant, heureusement pour lui, pas accablé par la terrible et indélébile noirceur de l'écrivain français. Son Jardin des pleurs ne dégouline pas d'optimisme pour autant. On commence à bien connaître les thèmes chers à l'écrivain et professeur de français de Tahnaoute : éducation en faillite, fanatisme rampant, jeunesse désenchantée qui tâtonne souvent vainement, à la recherche de repères… À tous ces désastres s'ajoute aujourd'hui celui de notre système judiciaire, jungle impitoyable et marécageuse pour ceux que l'auteur de Triste jeunesse appelle ici le «menu fretin». Le narrateur, un infirmier désargenté de Marrakech, fait partie de cette «plèbe» qui n'a d'autre choix que de s'écraser face à la tyrannie des «gros poissons», qui doit subir la hogra à toutes les échelles, sans moufter. Une condition avilissante que l'homme finit par digérer au fil des années, au point de se traiter lui-même de lâche, de se dénigrer à chaque traumatisme quotidien… Enfin, jusqu'au jour où il n'a d'autre choix que de se ressaisir ou, du moins, de feindre un élan de bravoure. Sa femme Souad, serveuse au restaurant du Tichka Palace, a l'insolence d'éconduire un commissaire de police aviné, occupé à la peloter. Furieux, l'ivrogne gifle violemment la jeune femme devant l'assistance abasourdie. Que faire? Le couple, révulsé, n'a d'autre choix que de porter l'affaire devant la justice. Un combat perdu d'avance commence alors contre un Goliath tentaculaire et insaisissable. Chaque jour, pendant plus de deux ans, les malheureux plaignants découvrent un pan de l'effroyable imposture que, chez nous, on appelle «Justice» : des témoins qui se succèdent à la barre pour jurer qu'ils n'ont rien vu, ou pire, que c'est la serveuse débauchée qui draguait lourdement le commissaire. Des avocats véreux, qui réclament le triple de la somme nécessaire pour entamer une procédure. Des juges qui reportent le procès à l'infini car l'accusé, qui pourtant travaille à deux pas du tribunal, ne daigne jamais se déplacer. Comme souvent chez Nedali, et sous nos cieux, le dénouement est sombre et la morale donne le bourdon: le menu fretin ne se mesure jamais au gros poisson. Un roman lucide et glaçant, minutieusement écrit, à la façon d'un documentaire, avec une pointe d'humour grinçant et un talent certain. «Le Jardin des pleurs», Mohamed Nedali. 2014. Editions de l'Aube en France, Le Fennec au Maroc. 98 DH.