Nouveauté du programme Genie : le lancement des ressources numériques, des supports en format électronique au service des enseignants et des élèves. L'utilisation de cette infrastructure n'est pas toujours possible, faute de formation. Certains établissements ont fermé carrément leurs salles multimédias. Le grand chantier d'introduction et de généralisation des technologies de l'information et de la communication au sein du système scolaire marocain, entamé en 2006, poursuit son cours. Appelé Genie, le programme était ambitieux, coûteux, et les embûches devant sa réalisation ne manquaient pas, dans un environnement hostile où les infrastructures et les ressources humaines formées dans le domaine des NTIC faisaient cruellement défaut. N'empêche que six ans après le lancement de ce chantier, des avancées sont enregistrées, tant sur le plan du nombre d'établissements scolaires, du primaire au lycée, qui sont pourvus d'ordinateurs et de connexion Internet, que sur le plan de la qualité du personnel engagé pour piloter ce projet, suivre et vulgariser l'outil informatique auprès des élèves, mais aussi auprès des inspecteurs, des directeurs d'établissements et des enseignants. En 2009, le programme GENIE a accéléré sa cadence dans le sillage du programme d'urgence lancé par le ministère de l'éducation nationale (MEN) en adoptant une feuille de route 2009-2013, dont l'un des axes majeurs est dédié à la production des ressources numériques. Maintenant, quel bilan pourrait-on tirer de tout cela ? Et, surtout, quelle valeur ajoutée ces nouvelles techniques de l'information ont-elles apporté au processus d'apprentissage des millions d'élèves marocains, dans une école publique plus que jamais confrontée à des défis majeurs ? Il y a d'abord les chiffres sur les progrès quantitatifs enregistrés en matière de généralisation des NTIC dans les écoles. Selon la direction du programme GENIE, sur les quatre axes autour desquels s'articule ce chantier (infrastructure, formation, ressources numériques, développement des usages et pilotage), les progrès sont notables. Un portail TICE pour mieux diffuser les informations sur les ressources numériques Côté infrastructure, 87% des établissements scolaires sont désormais équipés d'un environnement multimédia de base, avec un budget qui a atteint la bagatelle de 635 MDH : 2 838 établissements sont équipés en salle multimédia (SMM) et de valise multimédia (VMM) avec connexion Internet. «Avec filtrage», précise la directrice du programme, Ilham Laaziz El Malti. «Ce filtrage est nécessaire pour empêcher les élèves de surfer sur des sites interdits». Au niveau primaire, 6 500 écoles ont désormais accès à l'outil informatique, mais seulement avec des valises multimédias (VMM). Ces valises permettent à chaque salle de cours de disposer d'un ordinateur portable et d'un vidéoprojecteur, et non pas d'une salle multimédia (SMM) comme cela existe dans les collèges et les lycées. Une salle, rappelons-le, aménagée spécialement pour accueillir un parc de 15 à 20 ordinateurs pour les élèves, reliés en intranet et connectés à internet. 80% de ces établissements en sont pourvus. Pourquoi pas une salle multimédia dans le primaire ? D'autant qu'on sait pertinemment que l'apprentissage des TIC commence pour les enfants à un âge précoce ? Les moins de 12 ans (âge de l'école primaire) sont même très doués et acquièrent rapidement les réflexes d'utilisation d'une tablette ou d'un ordinateur, selon toutes les enquêtes sur le sujet. Au Maroc, répond la directrice de GENIE, «on a essayé d'installer des salles multimédias dans les écoles primaires dès 2007, mais on a constaté qu'il n'y avait pas encore d'enseignants formés capables de transmettre leur savoir dans le domaine, sans parler de la sécurisation de ces salles qui posait un vrai problème. Par expérience, c'est la valise multimédia qui correspond le mieux à ce niveau de scolarité». En effet, nombre de professeurs d'informatique en charge de ces salles multimédias dans les écoles publiques constatent de mauvaises manipulations, voire des vols et des dégradations du parc installé. Deuxième axe, la formation. 70% du programme de la feuille de route ont été réalisés, soit 147 277 personnes qui ont été formées sur les 209 702 prévues au départ, avec un budget de 116,5 MDH. La formation a touché enseignants, inspecteurs et directeurs d'établissements. Toujours au volet formation, 148 centres de formation ont été créés dans toutes les académies, délégations et centres de formation initiale (ex-CPR, ENS…, baptisés actuellement Centres régionaux des métiers d'éducation et de formation). Le développement de l'infrastructure informatique et de la formation est accompagné, en parallèle, toujours selon la directrice du programme Genie, d'un développement des usages (ateliers de proximité, distribution de mallette d'information TICE et création d'un Observatoire national des usages de ces dernières), et d'un déploiement d'une équipe de pilotage au niveau central et local. Dernier axe de la feuille de route : les ressources numériques. C'est la nouveauté, et une étape majeure, de ce programme Genie depuis son lancement. Des matières format numérique sont mises à la disposition des enseignants et des élèves. Une répétition des cours dispensés en classe par les enseignants ? Non, répond catégoriquement la directrice, «ce sont des supports qui permettent aux élèves de sortir de l'abstraction des cours pour accéder à des démonstrations réelles, avec vidéo, animation et exercice d'entraînement à l'appui». Dans une matière comme l'éveil scientifique, ajoute-t-elle, il serait plus «facile d'expliquer une couche terrestre visuellement par l'image que par des mots et des supports écrits, c'est la valeur ajoutée d'une ressource numérique». Et d'insister sur le fait que ce savoir visuel est, certes, facilement accessible sur la toile, mais la différence est que les supports numériques (devant être produits selon des appels d'offres et des cahiers des charges) doivent être adaptés à l'ensemble de la communauté éducative marocaine. A ce jour, 90% de ces ressources ont été produites, avec une enveloppe de 53 MDH. Les derniers appels d'offres en date (2013) de ces ressources numériques concernent l'éducation islamique, l'histoire/géographie (pour le primaire, collège et lycée) et le français (pour le primaire). C'est le Laboratoire national des ressources numériques (LNRN) mis en place en 2009, fort d'une équipe de dix personnes, qui veille à l'acquisition, la production, la labellisation des contenus numériques, mais aussi à la formation et la diffusion de ces nouveaux outils de travail à tous les établissements scolaires sous format CD-ROM et en ligne (login et mot de passe.) Enfin, un portail TICE a été créé (www.taalimtice.ma) pour mieux diffuser les informations relatives à ces ressources numériques. L'ordinateur et le multimédia ne remplaceront jamais le professeur Tout cela est bien beau : une infrastructure informatique, une connexion Internet dans tous les établissements scolaires ou presque, un laboratoire qui veille à la production et à la diffusion des supports numériques… C'est d'ailleurs le défi de tous les pays développés (et moins développés) du monde qui informatisent leurs écoles depuis plus de vingt ans. L'ère où l'élève est encombré d'un cartable plein à craquer de matériel scolaire (livres, cahiers et autres fournitures) est dans beaucoup de ces pays une relique de l'histoire ; dans d'autres il est en voie de disparition. Un simple mini-ordinateur suffit, qui permet à l'élève de découvrir et d'apprendre, de produire (traitement de texte), de faire des recherches et de se documenter, et de communiquer avec les autres. «L'utilisation de l'outil informatique serait possible dans toutes les classes, car il favorise le développement de l'autonomie de l'élève, mais également le travail de groupe, et permet d'impliquer toute une classe, voire toute une école, dans un même projet», explique ce professeur dans une école privée d'informatique. L'outil est utile, mais remplacera t-il un jour le professeur ? Jamais, tranche-t-il. Et l'expérience dans les pays les plus informatisés du monde, comme les Etats-Unis, «est édifiante dans ce sens», où le professeur n'y est pas mort, «bien au contraire», ajoute-t-il. D'abord, l'outil informatique ne peut être considéré en l'état actuel des choses, même quand il est utilisé en classe, comme un concurrent à un support aussi classique que le livre. Comme le signale (déjà dans les années 1990) Frédéric Breillat, un auteur français qui a travaillé sur les utilisations possibles de l'outil informatique dans les écoles françaises, «à ceux qui croient que, derrière le mot informatique, se dessinent les contours d'une machine qui a vocation à remplacer l'enseignant, je rappelle que l'ordinateur n'est pas capable d'évaluer un enfant autrement que de manière sommative, et qu'il n'est pas capable de s'adapter seul aux besoins particuliers de l'enfant». Où en est-on au Maroc, sur le terrain, dans tout cela ? Le MEN se voudra être, certes, au diapason des dernières techniques d'apprentissage et sortir des sentiers battus d'un enseignement classique basé uniquement sur des supports comme le cours et le livre. Mais arrivera-t-on un jour à pourvoir chaque élève de son ordinateur ? La réponse est simple : impossible en l'état actuel des choses. Si les élèves des écoles privées ont les moyens d'avoir chacun son PC vu leurs conditions matérielles, les élèves des écoles publiques et leurs enseignants devront se contenter de ces salles et de ces valises multimédias dont parle la directrice du programme GENIE. Mais, au moins, profitent-ils réellement de toute cette infrastructure informatique ? Pour la directrice du programme, elle-même ayant fait l'expérience de l'enseignement comme professeur de chimie, il est tôt de tirer tout le profit souhaité du programme Genie. Cela dit, pour elle, forcément, après cinq ans d'expérience, «les élèves sont impactés par la généralisation de l'utilisation des TIC dans les écoles». Dans quel sens ? On ne le sait pas encore en l'absence de recherches dans ce domaine. Pour évaluer justement cet impact, le ministère a effectué une enquête de terrain, annonce la directrice, mais ses résultats ne seront annoncés publiquement que dans les semaines à venir. Une chose est sûre : l'informatisation des écoles publiques marocaines connaît un développement incontestable, mais l'usage par les enseignants et leurs élèves de toute cette infrastructure informatique et multimédia n'est pas uniforme. Certains établissements, et ils ne sont pas rares, ne l'ont jamais, ou très peu exploitée, poussant leurs directeurs à fermer carrément les salles abritant le matériel informatique (voir encadré.) Il y aurait même des cas de vol d'ordinateurs, jamais élucidés.