Malgré les crises multiples et successives, le marché du luxe continue d'afficher une santé satisfaisante. Mais tous les secteurs et tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. C'est également le cas à l'échelle nationale. Le luxe fait toujours rêver. Cette réalité est d'autant plus évidente en temps de crises, car consommer du luxe a toujours constitué le meilleur exutoire. Ceci dit, le bling-bling, l'ostentatoire laissent la place à la touche d'élégance, à la confidentialité. Le luxe, conçu tel un curseur social est remplacé par un plaisir intimiste, voire égoïste. Mais quid de ses performances économiques mondiales ? Si on veut synthétiser, on peut dire que loin de la difficulté d'autres secteurs de l'économie mondiale, le marché du luxe pèsera bientôt 1 200 milliards d'euros. Les marques européennes représentent 70% du marché global du luxe, et exportent l'essentiel de leur production hors d'Europe. Selon plusieurs études, la croissance du marché entre 2012-2014 sera moins importante que la croissance de plus de 10% enregistrée en 2010-2011. L'étude du Boston Consulting Group (BCG), parue le 5 juin 2012, annonce que le marché des biens personnels de luxe (bijoux, vêtements, maroquinerie…) devrait progresser de 3 à 7% d'ici 2014. Les services de luxe (hôtellerie, restauration, spas, voyages…), quant à eux, devraient progresser de 12% par an d'ici 2014. Les observateurs pensent sérieusement que la Chine sera le premier consommateur. C'est ce qu'affirme la même étude du Boston Consulting Group. «Nous prédisons que d'ici 2020 plus de 330 villes en Chine auront le même niveau de revenu disponible que Shanghai en 2010, et que d'ici 2015, la Chine deviendra le plus grand marché du luxe au monde», écrivait BCG. L'an dernier, le courtier CLSA, spécialiste de l'Asie, prédisait que la Chine serait en 2020 le plus vaste marché au monde pour le secteur du luxe, mais le cabinet d'audit Price Waterhouse Coopers (PWC) estime que ce palier sera franchi dès 2015. «Il y a deux Chine, celle de l'intérieur et celle des Chinois qui voyagent. La deuxième consomme autant que la première, voire plus», relève Olivier Abtan, directeur associé au BCG à Paris. «Les dirigeants de quelques géants du luxe pensent que 40% de leurs ventes dans le monde sont déjà assurées par les consommateurs chinois», souligne l'analyste. «Ce qui surprend, c'est la puissance des consommateurs émergents à travers leurs voyages. Ce sont eux qui génèrent les ventes partout dans le monde. C'est un phénomène important qui n'est pas prêt de s'arrêter», ajoute-t-il. Selon BCG, la moitié des dépenses de luxe des Brésiliens et des Chinois sont réalisées à l'étranger lors de voyages. Et ces flux touristiques vont croître et doper le marché, souligne BCG. Mais ces flux n'expliquent pas tout : la carte géographique du luxe mondial est en train de changer très rapidement, la Chine et certains autres pays émergents comme le Brésil y acquérant une place considérable. Outre la Chine, «de grandes villes dans d'autres pays des BRIC deviennent elles aussi de puissantes plateformes du luxe», note l'étude. Parmi les pays émergents, «il faut se préparer à ce qu'émergent des champions du secteur du luxe. On ne voit pas encore de champions se dégager au niveau mondial, mais cela va arriver dans quelques années, une décennie peut-être», estime Olivier Abtan. Nouveaux marchés, nouvelles stratégies Cette nouvelle donne implique forcément des stratégies innovantes. Ainsi, certaines filières du secteur vont devoir s'adapter aux changements d'habitudes de consommation. La majorité des ventes ont toujours lieu sur des marchés matures tels que l'Europe, le Japon et les Etats-Unis. Mais les grands noms du Luxe sont de plus en plus tirés par une clientèle émergente composée d'Asiatiques, Indiens et Brésiliens qui achète plus lors des voyages. Ce nouveau type de clientèle, en plus de l'achat de produits, recherche aussi «l'expérience du luxe» à travers un restaurant étoilé ou un voyage somptueux. Ce qui constitue un enjeu de taille pour le marché des services de luxe. Un bon nombre d'acteurs dans le secteur des produits de luxe annonce leur diversification dans les services de luxe pour profiter de la croissance du marché. Ainsi, le groupe LVMH a lancé sa marque Cheval Blanc pour conquérir l'hôtellerie de luxe. Le nouvel hôtel du groupe, le White 1921, a ouvert ses portes dans le sud de la France à Saint-Tropez. Selon Olivier Abtan, les marques doivent justifier leurs prix élevés en augmentant la qualité et l'expérience d'achat autour du produit. Par exemple, en racontant l'histoire de la création du produit aux clients. Les géants du luxe européens (Louis Vuitton, Hermès, Gucci, Dior, Prada…) vont aussi devoir se développer dans le e-commerce. D'ici peu, selon BCG et le cabinet Precepta, les nouveaux grands noms du luxe seront issus des pays émergents. Côté performances, si on scrute celles de géants tels LVMH, PPR ou encore l'Oréal, la croissance à deux chiffres est toujours là. Ainsi, les ventes du groupe dirigé par Bernard Arnault progressent de 26% au premier semestre, contre 17% pour celles de PPR. Quant au groupe de cosmétiques, il gagne plus de 10%. Le géant mondial du luxe LVMH(Louis Vuitton, Bulgari, Céline…) a annoncé fin juillet un bond de 28% de son bénéfice net au premier semestre 2012 et des ventes à l'unisson (+26%), qui permettent au groupe d'aborder la deuxième partie de l'année avec confiance. Le bénéfice net atteint 1,68 milliard d'euros et les ventes 12,9 milliards d'euros sur les six premiers mois de l'année. C'est légèrement au-dessus du consensus des analystes. «Dans un marché mondial en forte croissance mais un environnement économique incertain en Europe, LVMH poursuivra ses gains de parts de marché», indiquait le groupe dans un communiqué. De son côté, son rival PPR a annoncé un bénéfice net en hausse de 5,9%, à 477 millions d'euros et des ventes grimpant de près de 17% à 6,39 milliards d'euros, dépassant les attentes, grâce essentiellement au pôle luxe (Gucci, YSL…), dont le chiffre d'affaires a crû de plus de 30%. Le groupe se dit confiant «dans sa capacité à maintenir une croissance soutenue de son chiffre d'affaires au second semestre de 2012 et à améliorer ses performances opérationnelles et financières en année pleine». Toutefois, il est intéressant de noter que le pole Sport/Lifestyle recule de 9,2%, entraîné par les mauvais chiffres de Puma qui a annoncé le 18 juillet 2012 revoir à la baisse ses objectifs annuels, après un recul de 13% environ de son bénéfice net au premier semestre. Il n'a pas exclu alors des suppressions de postes liées à son plan de réduction des coûts, avec notamment des fermetures de magasins prévues. Même inquiétude chez la Fnac, qui a mis en place un plan de réorganisation et d'économies l'an dernier. Son résultat opérationnel courant est passé dans le rouge, à -7,5 millions d'euros (-14,2%). PPR estimait néanmoins que la Fnac, activité destinée à être cédée, «devrait gagner des parts de marché au second semestre et bénéficiera des premiers effets de son plan de relance». Or, depuis, la cession a eu lieu et le plan de relance a laissé place à un plan de restructuration ! Enfin, L'Oréal profite également de la bonne santé du secteur du luxe, qui a tiré la croissance de ses ventes de 10,5% au premier semestre, à 11,2 milliards d'euros. Le groupe a confirmé, dans un communiqué, son objectif de réaliser en 2012 une nouvelle année de croissance du chiffre d'affaires et des résultats, en tablant sur une croissance solide. Son PDG Jean-Paul Agon a mis l'accent sur la «très belle performance» de L'Oréal Luxe, dont les ventes progressent de près de 18% sur le trimestre et le semestre (2,6 milliards), liée aux résultats des marques Lancôme, Yves Saint Laurent, Kiehl's et aux Parfums Designers. La principale division, les Produits Grand Public progressent de 8,1% à 5,4 milliards d'euros sur le semestre, avec des gains de parts de marché importantes en Europe de L'Ouest et en Amérique du Nord, précise l'Oréal. Comme quoi le luxe est une niche plus rentable que les marques généralistes grand public, même si ces dernières sont ancrées depuis longtemps dans le paysage commercial. Les crises sont passées par là ! Au Maroc, les acteurs du luxe manquent de visibilité Mais qu'en est-il au Maroc ? Le luxe n'a décidément pas bonne presse auprès des instances gouvernementales. Désormais, le gouvernement considère que l'on est «riche» dès lors que l'on gagne 30 000 DH nets mensuels. Et il a tout bonnement décidé de surtaxer, à partir du 1er janvier prochain, certains produits de luxe. Ainsi, ces derniers verront leur TVA passer à 30% ! Sont concernés les voitures de tourisme de luxe dont la valeur est égale ou supérieure à 700 000 DH HT, les avions privés, les jet-skis, les yachts et autres bateaux de plaisance, le marbre importé, les cigares, les pierres précieuses, le verre de cristal, l'ivoire et ses dérivés, les articles de chasse, les tapis persans, les animaux domestiques (?!), les spiritueux, les carrelages et céramique importés. D'aucuns pensent sérieusement que les rentrées fiscales seront limitées mais que les risques de pénaliser des pans de l'économie sont bel et bien réels. D'ailleurs, si l'on observe par exemple la situation de l'immobilier haut standing, force est de constater que l'atonie s'est transformée en crise durable et inquiétante. Pareillement pour ce qui est du tourisme. Les établissements hôteliers subissent de plein fouet le marasme de la zone euro, émettrice principale de ses voyageurs. Ils doivent donc consentir des rabais pour booster leur taux de remplissage (souvent en deçà de 40%), même en haute saison ! Souvent, leur stratégie cible la clientèle nationale. Est-ce à dire que cette dernière a le porte-monnaie bien garni ? La clientèle locale appelée au secours Si l'on interroge de grandes tables de la capitale économique, les restaurateurs ont plutôt bon moral. D'ailleurs, il suffit de se rendre occasionnellement aux adresses les plus réputées pour se rendre compte qu'on prend toujours plaisir à venir déjeuner ou dîner. Toutefois, les chefs avouent que certaines entreprises font plus attention à la dépense dès lors qu'il s'agit de repas en interne. «On cherche de plus en plus à négocier. Parfois on supprime l'entrée ou le dessert. La consommation d'alcool est limitée», nous indique le gérant d'un grand restaurant casablancais. Néanmoins, la plupart s'accorde à dire que dès lors qu'il s'agit de faire la fête, les Marocains répondent toujours présents ! Les discothèques, les casinos, les lieux branchés (de Marrakech surtout) ne désemplissent pas. On serait donc en face d'une attitude mêlant hédonisme et plaisir égoïste teintée d'achat raisonné. C'est ce que semble illustrer les propos de Christian Diot de Jaguar Maroc. En effet, ce dernier reconnaît, que d'une manière générale, le luxe se porte toujours bien. Ceci dit «les comportements évoluent. L'ostentation est de plus en plus évitée. Les dépenses sont davantage raisonnées. Chez Jaguar Maroc, nos ventes sont sans cesse en hausse mais on a remarqué qu'il était plus difficile de vendre une auto qui s'affiche aux alentours de 1,2 million de dirhams, alors que par le passé, c'était relativement régulier. Il faut dire que les récentes taxes qui pénalisent les grosses cylindrées, ainsi que la hausse de l'essence plutôt que le gasoil, nous touche directement», fait observer Christian Diot. Qu'en est-il du secteur scintillant de la joaillerie et de la haute horlogerie ? Sébastien Azuelos, de la Maison éponyme, nous indique que «dans un contexte général de ralentissement, le marché du luxe est en baisse continue depuis trois ans mais se porte relativement mieux que d'autres secteurs». Sébastien Azuelos cite alors plusieurs raisons majeures. Selon lui, le pays est en train de gagner son pari de conserver les dépenses qui se faisaient à l'étranger, notamment par le biais d'implantations massives d'enseignes étrangères. Le Morocco Mall a bouleversé le paysage commercial. Etrangers et MRE sont frappés par ce qu'il propose. «Le Morocco Mall a permis à des commerçants, tous secteurs confondus, de diversifier leur clientèle tout en amoindrissant les effets de la crise. Plus qu'un centre commercial, il s'agit d'un véritable lieu de vie. Dès que ce lieu aura trouvé son rythme de croisière, une vraie harmonie tant dans le management que dans l'organisation entre enseignes, alors il sera l'endroit incontournable du commerce de demain», affirme Sébastien Azuelos qui prend pour preuve le Méga Mall de Rabat, pourtant «bien plus petit en superficie et moins attrayant en termes d'enseignes dites "locomotives"». Les attitudes changent Mais quid de la réalité sur le terrain ? Pour l'enseigne de joaillerie et d'horlogerie, les trois dernières années sont assez similaires : il y a eu un arrêt des dépenses «déraisonnables» et un retour vers des valeurs refuge. «Les Marocains sont certes de bons consommateurs mais pas de n'importe quoi. Il n'y a plus d'euphorie, les achats sont plus réfléchis. L'ostentatoire laisse progressivement place à la qualité. C'est une vraie preuve de maturité. De plus, on constate que la contrefaçon séduit moins. Une éducation progressive du consommateur émerge. Les acheteurs de produits contrefaits commencent à délaisser la mauvaise qualité. Maroquinerie, bijouterie, horlogerie et autres accessoires de contrefaçon sont en perte de vitesse. C'est évidemment l'évolution de l'univers du luxe qui amène à ce changement», nous apprend Sébastien Azuelos. Quant à 2013, celui-ci pense qu'il ne faut pas oublier que le secteur du luxe marocain est fortement concurrencé par le secteur du luxe…européen. Pour lui, il appartient aux représentants du luxe au Maroc de réussir à convaincre que «là bas» n'est pas mieux qu'«ici». «Le Maroc ne peut pas compter sur la clientèle qui fait le bonheur du luxe mondial aujourd'hui, à savoir les clientèles chinoise, russe, indienne ou brésilienne. La stratégie future est de continuer à investir pour une consommation locale et éventuellement attirer une clientèle haut de gamme subsaharienne ou autre», conclut le responsable de la Maison Azuelos. C'est un avis qui semble faire l'unanimité.