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Paris et Madrid jouent des coudes pour se repositionner au Maghreb
Publié dans La Vie éco le 02 - 05 - 2011

Les ministres des affaires étrangères français et espagnol réunissent leurs ambassadeurs pour adopter des stratégies face aux changements que connaissent les pays arabes. Madrid veut profiter des erreurs de Paris. Alain Juppé tente de redresser la barre à Tunis, au Caire et à Benghazi.
Diplomatie, soutien aux réformes, intervention militaire, politique migratoire : Paris et Madrid doivent, depuis le début de l'année, s'adapter à d'importants changements comme en Tunisie ou en Libye ou à une dynamique de réforme comme celles que connaissent le Maroc et l'Algérie. Des pays où les deux capitales européennes disposent d'importants intérêts. C'est clair, Paris a retenu la leçon tunisienne. En effet, au lendemain de la révolution qui a vu la rue chasser du pouvoir le clan Ben Ali, Paris avait dû faire profil bas dans un premier temps et ne retenter une approche vers Tunis qu'après l'éviction du ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie du gouvernement de François Fillon.
L'Espagne, à laquelle les maladresses de la diplomatie française du début de l'année n'avaient pas échappé, avait été le premier pays dont le chef de l'exécutif, José Luis Zapatero, se rendait à Tunis début mars pour y rencontrer la nouvelle équipe au pouvoir et annoncer un futur «plan Marshall»â€ˆpour l'Afrique du Nord. Il s'agissait de profiter d'une faiblesse temporaire de Paris sur le terrain pour tenter une reconquête partielle du pré carré français. Au cours de cette visite, Zapatero avait promis son expertise ainsi qu'une aide financière. De source sûre, La Vie éco a pu apprendre que l'ancien chef du gouvernement espagnol Felipe Gonzalez fait partie de l'équipe des conseillers de l'actuel gouvernement tunisien de transition.
Espagne : séminaires de deux jours à huis clos avec les ambassadeurs et les sécuritaires
D'une manière générale, quatre mois après le début des changements qui secouent les pays arabes, les deux capitales européennes jouent des coudes pour reprendre l'initiative. Les ministres des affaires étrangères français et espagnol ont, en effet, réuni chacun, au cours de la même semaine, l'ensemble de leurs ambassadeurs dans le monde arabe.
A Madrid tout d'abord, Trinidad Jimenez, en compagnie de sa collègue de la défense, Carmé Chacon, a réuni les 19 ambassadeurs dans le monde arabe et trois chargés d'affaires au cours d'un séminaire à huis clos de deux jours en présence du chef des renseignements espagnols, le CNI, Felix Sanz, de l'ancien chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, du chef d'état-major de l'armée, Julio Rodriguez, et de ses trois secrétaires d'Etat aux affaires étrangères, aux affaires européennes et à la coopération. Lors de cette réunion, Trinidad Jimenez a réfuté la thèse de «l'exception arabe à la démocratie» et souhaité aux pays arabes «la même chose que pour l'Europe : un Etat de droit et des libertés qui permettent développement, prospérité économique et vie dans la dignité».
Ce qui fait dire au journaliste Javier Valenzuela, ancien correspondant d'El Pais à Rabat et à Beyrouth, que «l'histoire s'est mise à galoper dans le monde arabe» et que ceux qui «pariaient sur l'immobilisme fatal de la Oumma» se sont subitement mis à envisager le changement de dirigeants et de politiques.
Ce que la France a fini par comprendre. A Paris, l'arrivée d'Alain Juppé à la tête de la diplomatie française a permis de rectifier le tir, assez rapidement, vers l'établissement de relations plus équilibrées avec Tunis et Le Caire.
France : ne fermer aucune porte de contact
Loin des lambris dorés des palais de la République, Juppé a lui aussi convoqué les ambassadeurs français au Maghreb et dans le monde arabe mais aussi des hommes politiques, des journalistes et des militants de la société civile de la région dans la grande salle de l'Institut du monde arabe.
Lors de ce séminaire, Alain Juppé a admis la nécessité de discuter avec les mouvements politiques islamistes dès que ceux-ci refusent la violence et respectent le verdict des urnes. Une première déjà, en Tunisie, les partis islamistes venaient d'accepter une parité hommes/femmes sur les futures listes de candidats aux élections municipales et législatives. «Nous, Français, pensions très bien connaître les pays arabes ; les révoltes arabes ont montré que nous en ignorions des pans entiers» a-t-il admis. De la même manière, Juppé a admis la nécessité d'un soutien économique et financier à des pays comme la Tunisie et l'Egypte frappés par la chute de l'activité touristique, l'attentisme des investisseurs et le ralentissement économique.
Sur le terrain, à Tunis comme au Caire ou encore à Rabat où l'ambassadeur de France et ses collaborateurs rencontrent régulièrement militants du mouvement du 20 Février et membres de la société civile, le défi des diplomates européens est de garder leurs canaux d'information ouverts à tous les secteurs de la société tout en sauvegardant les intérêts économiques et stratégiques de leurs pays. Car en Tunisie comme au Maroc, la France est le premier partenaire commercial et économique au sens large. L'Espagne est le deuxième partenaire économique du Maroc et le troisième de la Tunisie ou de l'Algérie au Maghreb. Or, ce n'est pas la seule économie qui compte. L'image de Paris ou de Madrid au Maghreb passe aussi par la politique migratoire que ces capitales entendent mener. Comme le rappelle Pascal Boniface de l'Institut français des relations internationale dans un article paru sur le site Eplume, «la France ne pourra pas être en phase avec le printemps arabe si son discours sur l'immigration fait plus de bruit que celui de sa compréhension politique des événements».
C'est aussi pour infléchir durablement l'image de pays occidentaux perçus comme moins attentifs au respect des droits de l'homme ou de quelques valeurs universelles que Paris, après avoir corrigé le tir à Tunis et au Caire, a pris la tête de la campagne diplomatique et militaire anti-Khaddafi, soutenant les rebelles contre le pouvoir établi. Paris, après avoir été le premier pays à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) libyen, a abrité une conférence internationale sur la Libye avant de défendre au Conseil de sécurité des Nations Unies le projet de résolution sur l'établissement de la zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye.
Au Maroc, où d'importantes réformes constitutionnelles sont prévues, Paris et Madrid ont salué le discours royal du 9 mars, soutiennent le processus en cours et multiplient les contacts avec les forces politiques et les organisations de la société civile.


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