Regroupées dans le réseau «Immigration développement démocratie», 15 associations migrantes en France et 20 associations villageoises au Maroc travaillent sur l'amélioration des conditions de vie dans le Maroc profond. Bouizakarne est une petite ville de 15 000 habitants située à 250 km au sud d'Agadir. Cette localité est également le lieu de bifurcation de deux routes : celle du grand Sud qui mène à Guelmim, la fameuse «Porte du Sahara» et l'autre du Sud-Est qui va vers Tata. A l'occasion de la visite, mi-janvier, d'une délégation de représentants d'associations migrantes en France ainsi que des militants, chercheurs et maires venant d'autres pays d'Afrique (Mali, Sénégal), les associations partenaires de la ville ont tenu à faire part de leurs projets, mais aussi de leurs contraintes au quotidien. A la base de cette initiative, le réseau Immigration développement démocratie (IDD). Il s'agit de 20 associations villageoises au Maroc et 15 associations de migrants en France qui travaillent ensemble dans des projets de développement. Leader de l'action associative dans les deux provinces de Guelmim et de Tata, «Espace Sud» est un réseau d'associations de Bouizakarne, Guelmim, Timoulay, Tamanar et Ifrane de l'Anti -Atlas qui dédie son action au développement, à la culture et aux droits humains. «Nous avons comme mission de renforcer les capacités des acteurs associatifs, consolider le réseautage associatif», explique le président de l'association Abdellah Badou. Parmi les réalisations les plus notables d'Espace Sud, l'organisation des campagnes de sensibilisation aux droits humains dans les établissements scolaires ainsi que le renforcement des capacités des associations. «Dans ce Maroc souvent qualifié d'inutile, la demande sociale est très élevée. Les associations sont appelées à se professionnaliser afin de répondre aux attentes de la population. Nous avons donc organisé plusieurs sessions de formations au profit du tissu associatif de la région», ajoute ce militant associatif. Avec des moyens de bord très modestes (salle gratuite et formateurs bénévoles), l'association a organisé trois ateliers sur l'approche participative, la gestion administrative et financière ainsi que sur le montage des projets. «Nous sommes conscients que la mise en réseau des associations est le seul moyen pour faire entendre notre voix. Mais les contraintes sont multiples. A commencer par les ressources humaines qui manquent de qualification, l'absence de fonds, d'interlocuteurs régionaux et le recul des valeurs du bénévolat et du volontariat chez la population», se désole M. Badou. Cette petite ville du Sud du pays peut s'enorgueillir du nombre d'associations actives, et ce, dans plusieurs secteurs. Comme l'association Lagraga qui milite pour la valorisation de la culture et du patrimoine hassanis. «Nous considérons la culture comme un droit humain. La culture hassanie ne se limite pas au folklore, mais embrasse plusieurs domaines comme la poésie et les arts culinaire et vestimentaire», lance Mohamed Kharbouch, président de l'association. Quant à l'association Oued Maït, du village Targamaït, elle a réussi dans un premier temps à faire sortir le village de l'exclusion en le reliant au réseau d'eau potable et d'électricité. «Aujourd'hui, nous sommes passés à un autre stade avec des programmes de lutte contre l'analphabétisme, la scolarisation des fillettes et des projets générateurs de revenus pour les femmes du village», explique Samira Oubella, membre active de l'association. Si ces actions sont possibles, c'est grâce à l'implication de migrants du village, à l'image d'Abdellah Oubella, aujourd'hui retraité. «J'ai quitté mon village alors que j'avais 19 ans. Mon rêve, c'était d'aider mon village avec des programmes de développement», explique M. Oubella qui préside l'association Oued Maït France, également membre du réseau IDD. Avant d'ajouter : «Je souhaite que le développement touche également ces régions reculées du pays. Il faut lutter contre l'analphabétisme, aider les femmes à sortir de la marge. Il faut également développer des projets autour des palmiers dattiers, une richesse encore inexploitée dans la région. Nos villages sont vides d'hommes. Il n'est pas normal que la plupart des jeunes de la région migrent vers l'Europe ou vers les grandes villes marocaines». «Un espace culturel du village» L'esprit associatif n'est pas étranger à cette partie du Maroc, réputée par sa grande diversité culturelle. Historiquement, les tribus de la région fonctionnaient en gouvernance collective, Ineflass en amazigh. Aujourd'hui, les jeunes du village de Targamaït tentent de retrouver l'esprit des anciens et sortir leurs douars de l'exclusion. Et cela marche vraisemblablement. «La région souffre de l'absence de l'Etat et de la désorganisation des collectivités locales, ces associations villageoises nous ont montré qu'avec peu de moyens et une grande volonté, ils peuvent réaliser des choses formidables», explique le président d'IDD, Latif Mortajine. Un peu plus loin de Bouizakarne se dresse la petite localité de Timoulay Izder sur la route de Guelmim. Le village abrite une des premières bibliothèques rurales construites par le réseau IDD au profit des jeunes et des femmes du village. «Au départ, le lieu de construction de la bibliothèque était une décharge publique. Aujourd'hui, c'est l'espace culturel du village», lance fièrement Abdellah Zniber, coordinateur du projet et un des fondateurs du réseau IDD. L'exemple du projet de bibliothèques rurales rend bien compte de la philosophie du réseau qui table sur la culture comme moteur de développement. En 2000, IDD a lancé une campagne «10 villages, 10 bibliothèques». Aujourd'hui, pratiquement toutes les associations villageoises membres d'IDD ont construit leurs bibliothèques rurales. «Il n'y a jamais eu de politique étatique dans ce secteur. En France, ce sont les communes qui construisent et gèrent les bibliothèques. Le contact avec le livre est primordial, sinon la porte sera ouverte à l'aliénation», analyse M. Mortajine. La concertation avec la population locale, clé de la réussite A Timoulay, la bibliothèque sert pour la location des livres, mais aussi pour les cours de soutien scolaire et d'alphabétisation des femmes. Et c'est encore une fois la bibliothèque qui est au centre de l'activité à Aït Harbil, un village plus au sud de Timoulay. Cette localité rurale, connue pour son oasis et son tagadirt (sorte de kasbah où l'on stockait la moisson) est le théâtre d'une véritable success story dont le héros est Mohamed El Ayoubi, un migrant du village qui a travaillé toute sa vie dans le secteur de l'automobile en France. Comme des milliers d'autres migrants, il a fait du développement de son village le sens même de sa vie. L'homme qui a milité au sein de l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) pendant des années a intégré IDD dès sa création afin d'inscrire son action dans le cadre d'un réseau plus large. «Les militants ont créé des associations dans leurs villages d'origine. Chaque association est autonome, mais on se retrouve au sein d'IDD sur un projet commun. Le principe, c'est que chaque association de migrant a au moins une association partenaire au Maroc», explique Abdellah Zniber. Chadia Arab, chercheuse au CNRS à Angers, est une fille de migrants et présidente de l'association Crépuscule, partenaire de Tifawine à Beni Ayad, un village situé près de Béni-Mellal qui est à l'origine de la construction d'une bibliothèque rurale dans ce village en 2000. Elle considère que «ce genre de projet incarne la philosophie d'IDD, à savoir la promotion des idées de citoyenneté, de démocratie, de liberté et de justice sociale». Avant d'ajouter : «Il faut aller au-delà des activités génératrices de revenus, de routes à aménager ou de puits à creuser, il faut faire évoluer les mentalités, réfléchir le développement autrement». A Aït Harbil, la construction de la bibliothèque a mobilisé le réseau IDD, la population locale ainsi que l'association Architecture et Développement. Abderrahim Kassou, architecte en charge de la construction de la bibliothèque d'Aït Harbil, se souvient : «On a conçu cet espace ensemble avec les villageois. Il fallait qu'ils définissent eux-mêmes la nature du projet éducationnel et culturel qu'ils désiraient. Puis il y avait également le choix du site. Là, il fallait encore une fois décider ensemble du lieu : à côté du souk, proche de l'école ou du centre du village». Tout cela afin de construire une bibliothèque adaptée au besoin des villageois. «Le but de cet espace est d'en faire un moyen de développement local, ouvert à toutes les générations, pour alphabètes et analphabètes. Nous sommes parti de la conviction que les villageois doivent s'approprier leur projet pour la simple raison que ce sont eux qui vont l'utiliser», développe Abdellah Zniber. Autre projet phare du réseau IDD : le programme «Ecole pour tous». Ce programme vise à choisir une école rurale où il n'y a pratiquement rien et à l'équiper entièrement. «On essaie à travers ce programme de faire de l'école un centre de développement local du village», conclut M. Mortajine. L'Etat et surtout les collectivités locales gagneraient beaucoup à s'associer à ce type d'initiatives. Car après tout, le développement local relève en premier lieu de leur responsabilité…