Le port du niqab, appelé aussi burqa ou khimar, par les femmes reste marginal par rapport à celui du voile mais se développe dans certains quartiers populaires. L'habit renvoie, selon les spécialistes, à la composante salafiste de l'islamisme marocain. Dans un Maroc conservateur et coutumier du «litham» d'autrefois, ces nouvelles habitudes sont tolérées. Alors que le débat sur la burqa fait rage dans plusieurs pays européens, chez nous il ne constitue point un élement de débat sociétal. Des femmes portant le voile intégral, il en existe, et cela ne date pas d'aujourd'hui, même si, au regard du contexte de l'époque, nous sommes étonnés de croiser dans la rue, ces être couverts de la tête aux pieds. Niqab, burqa, le nom diffère selon les pays musulmans, de même que la coupe du vêtement, mais le résultat est le même : des êtres anonymes dont on ne voit que les yeux, à tel point qu'un homme pourrait très bien endosser la parure et se faire passer pour ce qu'il est censé être : une femme, ce qui poserait d'abord un problème sécuritaire. Ainsi, en Europe, la Belgique a officiellement décidé d'interdire le port de la burqa dans les lieux publics, la France s'apprête à faire de même et en Italie, il y a quelques jours, une Tunisienne a été verbalisée au motif que le port de la burqa était susceptible d'entraver la bonne vision s'agissant de conduite automobile. Mais au-delà de cet aspect sécuritaire, cette réaction de l'Europe trahit également un malaise dans ces pays d'accueil d'une immigration qui tente de conserver des repères identitaires ou -tout aussi important- de s'en trouver dans un réflexe de repli communautaire. A la laïcité revendiquée par les Etats répond l'argument des libertés individuelles brandi par ces communautés en apparence ressoudées sous la bannière de l'islam. Islam ? La burqa est-elle vraiment l'expression d'une plus grande piété ? Si au Maroc, pays officiellement musulman, les oulémas ne se sont jamais prononcés sur la question, dans d'autres pays musulmans, des prises de position existent. Le 2 octobre 2009, feu cheikh Mohammed Sayed Tantaoui, imam de la mosquée al-Azhar du Caire, l'une des institutions de référence dans l'islam, interdisait le port du niqab dans les lycées de filles dépendant de son institution. En tournée dans des lycées dépendant d'Al-Azhar, pour s'assurer de l'application des mesures anti-grippe H1N1, il avait notamment demandé à une étudiante d'enlever son voile intégral, en expliquant que «le niqab n'est qu'une tradition, il n'a pas de lien avec la religion, ni de près, ni de loin». «Réduire l'islam à cet habit rébarbatif, c'est dépouiller une grande religion de son sens le plus noble : s'ouvrir sur les autres, communiquer. Or, une femme qui porte ce hijab intégral, qui se renferme comme un escargot dans sa coquille, se coupe du mode extérieur, et dissuade les autres d'entamer tout contact. Ce n'est pas ça l'islam», commente ce quinquagénaire, musulman pratiquant, dont la femme et les filles ne portent pas de voile. «En plus, c'est un habit très moche, qui transforme la femme en fantôme», renchérit son fils de 17 ans, lycéen. «C'est une atteinte à la dignité de la femme», enchaîne cette militante de l'Union de l'action féministe (UAF). On entend souvent des commentaires de ce genre dans la rue et le sujet anime, contexte oblige, les discussions de salons, mais sans que tout cela ne porte à conséquence. Or, la burqa, accoutrement étranger aux coutumes vestimentaires marocaines existe bel et bien, des femmes l'utilisent depuis la fin des années 80 et le mouvement s'intensifie depuis. On en trouve surtout dans les quartiers populaires des grandes villes. Dans la rue, la réaction que ce voile intégral suscite parmi le commun des mortels relève plutôt de la suspicion. En plus de cette réaction de méfiance et de curiosité dont elle est l'objet, la personne qui porte ce voile intégral est ipso facto cataloguée comme membre d'un courant religieux rigoriste, intégriste, voire terroriste. Il n'y a pas de recherche ou d'enquête au Maroc, ni de la part des sociologues ou des spécialistes de l'islam, sur le niqab, ou la burqa comme on l'appelle aujourd'hui, en référence à l'habit afghan des Talibans. Par conséquent, il n'y pas de chiffres pour savoir combien elles sont dans notre pays à la porter, contrairement au voile tout court qui a suscité une littérature plus qu'abondante. Les femmes voilées par un foulard couvrant une partie du visage et les cheveux sont de tous les âges, on les trouve un peu partout, et la mode n'épargne pratiquement aucun milieu : élèves et professeurs des établissements scolaires et universités, ouvrières, médecins, ingénieurs, avocates… Le niqab (ou burqa), beaucoup moins. Azeddine Allam, professeur de sciences politiques à la Faculté de droit de Mohammédia et auteur de plusieurs livres sur la pensée musulmane, dont Tahrir al kalam fi tajribati al islam (libérer la parole dans l'expérience de l'Islam), considère le port du niqab au Maroc comme un épiphénomène. «Ce n'est en tout cas pas un phénomène social susceptible d'attirer l'attention des chercheurs. Le port du voile est très répandu dans nos facultés. Par exemple, là où je travaille, la moitié des étudiantes (1 500 sur 3 000) le porte. En revanche on ne trouvera même pas une dizaine de filles habillées d'une burqa». D'abord une mise au point s'impose pour distinguer le niqab à la marocaine, appelé litham, lui, qui a toujours existé dans l'histoire vestimentaire du pays. Ne pas confondre «litham», traditionnel au Maroc, et niqab, voile intégral Une femme, au visage découvert, dans un espace public ? Le fait était très rare, à l'orée des années 50. Souvent elle porte une djellaba avec capuchon recouvrant la tête, et le litham voilant son visage, mis à part les yeux. Ce fut l'habit traditionnel, socialement et culturellement incrusté, et accepté, dans la société marocaine, avant que le mouvement d'émancipation de la femme consécutive à l'indépendance ne le jette aux orties. C'est ce qui explique que la société accepte le haïk et le litham qui existent toujours dans certaines régions, et qui renvoient au même registre socioculturel. Là encore, que ce soit la djellaba, le haïk ou la m'lahfa, on est devant l'habit traditionnel de la femme marocaine «conservateur, certes, mais qui n'a aucune connotation religieuse», ajoute M. Allam. «C'était une tradition sociale qui renvoie au conservatisme de la société et non pas à une appartenance politique ou religieuse», confirme Mohamed Darif, spécialiste des mouvances islamistes au Maroc. D'ailleurs, dans certaines régions amazighes, même des femmes de confession juive portaient le haïk et le litham. En outre, les femmes qui portaient cet habit traditionnel n'avaient aucune gêne à parler aux hommes dans l'espace public, de baisser le litham quant elles avaient envie de boire ou de manger. Chose impossible de nos jours pour les femmes portant le niqab. Avec le niqab aujourd'hui, les femmes sont barricadées derrière leur «armure» et imposent une distance à l'égard des autres. D'ailleurs aucun homme étranger circulant dans la rue n'oserait les aborder. Si elles sont voilées de la sorte, c'est qu'elles veulent transmettre un seul message dans l'espace public : «éloignez-vous, c'est un sacrilège que de m'adresser la parole». Ceci étant, les interrogations demeurent présentes, insistantes et récurrentes. Quand et comment est apparu le niqab ? Pourquoi certaines femmes tiennent-elles à se couvrir de cette manière ? Par conviction religieuse ou tout simplement sous la pression du milieu familial ? Le port de la burqa n'est-il pas une offense à la dignité de la femme et un frein à son émancipation ? Entre le voile léger et le voile pur et dur se cache une différence d'interprétation religieuse Commençons par le contexte de l'apparition du niqab version afghane au Maroc d'abord : tout comme le port du voile, le port du niqab a coïncidé avec la révolution islamique en Iran et l'invasion soviétique de l'Afganistan. Le sociologue Driss Bensaïd, auteur, avec l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), d'une enquête menée en 2007, intitulée Les Jeunes et le voile (voir encadré ci-dessus), considère que «le voile actuel est lié à l'apparition de la nouvelle internationale islamique, créée par la Révolution iranienne de 1979. Aujourd'hui, ce sont les jeunes filles qui portent le voile et qui demandent à leurs mères de le porter aussi». Ici, le sociologue ne parle pas du voile pur et dur, mais plutôt du voile soft, à la mode, qui a gagné du terrain à partir des années 80. En effet, confirme le chercheur, «peu de femmes, au Maroc ou dans d'autres pays musulmans, portent le voile orthodoxe, qui cache le visage et les mains». Quelle différence religieuse alors entre le voile «léger» (soft) qui couvre seulement une partie du visage, le plus utilisé dans les pays arabo-musulmans dont le Maroc, et l'autre, «pur et dur» qui couvre tout le corps y compris les mains ? Cette différence vestimentaire, répond M. Darif, «renvoie à une différence des courants religieux. Quand on parle du voile, on parle de la femme islamiste tout court, mais quand on parle du voile intégral, on parle de la femme salafiste. Ce signe vestimentaire ostentatoire dans l'espace public renvoie à la composante salafiste de l'islamisme marocain. Une vision figée de la religion et une négation de la modernité. C'est sous le règne de Hassan II que le wahhabisme, version salafiste de l'islamisme, a fait son apparition pour contrer notamment la menace de l'islamisme chiîte iranien de Khomeiny». Qu'il soit léger ou intégral, le port du voile par la femme n'est pas toujours synonyme d'une conviction religieuse, comme le montre l'enquête précitée. Si le premier est parfois un choix personnel ou un effet de mode, le second est souvent exigé par la famille ou par le mari à l'occasion du mariage. Aïcha, la trentaine, est une habitante de Sidi El Khadir, un quartier populaire de Hay Hassani où le port de la burqa est assez fréquent. Elle témoigne que plusieurs hommes, avant de contacter le mariage, «exigent de leur femme de porter ce vêtement en signe d'engagement. Et pour ne pas manquer l'occasion d'avoir un mari, la femme ne peut qu'accepter. J'en connais qui ne font même pas la prière. Mais une fois dans la rue, elles se couvrent de la tête aux pieds». Cela nous rappelle l'histoire de Faïza, cette Marocaine de 32 ans, qui s'est vu refuser la nationalité française à cause du port de la burqa au motif que c'est «un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment le principe d'égalité des sexes» (Voir encadré). Interrogée, elle avoue qu'elle n'a adopté ce costume qu'après son arrivée en France à la demande de son mari et qu'elle le porte «plus par habitude que par conviction religieuse». D'autres, au Maroc, non seulement elles ne le portent pas par conviction religieuse, mais pire, elles le portent pour camoufler leur réelle identité, et faire diversion de leurs actes répréhensibles. «Je connais des prostituées, ajoute Aïcha, qui circulent dans la rue avec ce hijab. D'autres vont mendier devant les mosquées d'autres quartiers, mais une fois de retour elles enlèvent le khimar. Tout le monde se méfie d'elles, et on refuse dans le quartier de leur louer des maisons». Le port du voile intégral, outre qu'il pose un gros problème au niveau sécuritaire, constitue une atteinte à la dignité de la femme et à ses droits les plus élémentaires : être l'égale de l'homme dans l'espace public. Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits de la femme (LDDF), s'insurge contre ce voile intégral qui «n'interpelle pas uniquement la femme, mais toute la société, dont les services de sécurité. La rue est un espace public et il doit être protégé, et tous les citoyens qui y circulent doivent être identifiés, sinon je ne vois plus l'utilité de la carte d'identité nationale». Que faire alors ? L'interdire un jour au Maroc, comme en Belgique et peut-être prochainement en France ?