La nouvelle ère des taux élevés et le profil de croissance des bénéfices ne semblent pas en mesure de soutenir les niveaux de valorisation historiques du marché boursier. Explications. Refroidis par les turbulences d'un début d'année marqué par un choc sur les taux obligataires qui a envoyé les actions au tapis, les investisseurs ne débordent pas d'enthousiasme à la Bourse de Casablanca. Il faut dire que les perspectives sont peu porteuses pour le marché actions avec, d'une part, des résultats financiers des sociétés cotées qui vont dévoiler l'ampleur de l'impact de l'inflation sur les marges et, d'autre part, un consensus quasi généralisé chez les analystes quant à la poursuite du resserrement de la politique monétaire de la banque centrale, dans un contexte d'inflation persistante. Cette situation est partie pour durer. Elle s'inscrit en effet dans une «tendance de fond», défavorable aux actions, «qui perdent en attractivité» face à des taux qui remontent, après une longue période de taux bas (2014-2021), comme l'a récemment suggéré Taha Jaidi, directeur de la stratégie d'Attijari Global Research, dans une lettre d'investissement intitulée «AGR House View». Pour appréhender cette perte d'attractivité, il faut regarder du côté de l'évolution des spreads de rendement entre les actions et les bons du Trésor à 10 ans, suite au retournement haussier de la courbe obligataire : le rendement du BDT-10 ans est passé de 3,2 à 4,2% en janvier contre un dividend yield de 4,3% attendu en 2023 pour le marché boursier. «Une situation qui réduit davantage l'attractivité des rendements de dividendes offerts par les actions», estime le stratégiste d'AGR. Le département Recherche de BMCE Capital (BKGR) abonde dans le même sens, lorsqu'il souligne, dans sa dernière note analytique, que la hausse «abrupte» de 100 points de base des taux, intervenant après 2 années de politique monétaire accommodante, «a secoué l'arbitrage entre les marchés taux et actions». Cette configuration a pour effet d'impacter à la baisse les niveaux de valorisation des actions. «De façon générale, la hausse du taux directeur influe directement sur la valorisation des sociétés, compte tenu de son impact sur le coût moyen pondéré du capital (CMPC), et ce, à travers l'augmentation du taux sans risque», rappelle BKDR, qui a revu à la baisse les cours cibles des sociétés cotées. Un PER qui passerait de 20 à 16 Pour AGR, c'est même un «changement de paradigme» auquel on assiste. Taha Jaidi évoque à ce propos «la fin d'une décennie marquée par une grande tolérance à l'égard des niveaux de valorisation élevés des sociétés cotées et le démarrage d'une nouvelle ère où le retour aux fondamentaux prendrait le dessus». Concrètement, le marché actions est en phase de marquer une rupture avec ses niveaux de valorisation historiques, à savoir un Price earnings ratio (PER) autour de 20 fois les bénéfices au cours des 15 dernières années, et qui a valu à la cote casablancaise d'être considérée comme l'une des Bourses les plus chères de la région. Selon les calculs du département de Recherche, sur la base d'une prévision de croissance moyenne des bénéfices agrégés de la cote de 6,9% durant la période 2022-2023, le PER anticipé pour 2023 devrait retomber à 16,6 fois les bénéfices contre une moyenne normative de 19,6 depuis 2008. Et encore, cette croissance attendue des profits est essentiellement le fait du secteur bancaire et de celui des mines. Sans ces deux secteurs, la masse bénéficiaire de la cote afficherait un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de -0,6% sur la période. «Tenant compte de nos projections de croissance sur la période 2022-2023 et sous l'hypothèse d'un niveau des taux toujours élevé, nous ressortons avec un PER fondamental cible pour le marché actions de 16», résume AGR. Banques et minières résilientes Face à ces perspectives, quel comportement adopter envers les actions? Dans un contexte où «la faiblesse de la croissance bénéficiaire des secteurs non financiers durant la période 2022-2023 ne semble pas encore être intégrée au niveau des cours», Taha Jaidi préconise de «privilégier» les secteurs des banques et des mines. Ceux-ci présentent une meilleure visibilité en termes de croissance, bénéficient d'une certaine résilience face à l'inflation et affichent des niveaux de valorisation (13,8) au-dessous du PER fondamental cible de 16. Par conséquent, ces deux secteurs pourraient faire l'objet d'une implémentation progressive, dans le cadre d'une stratégie de placement à moyen terme. En revanche, pour les autres secteurs de la cote, il préconise «la prudence» dans l'attente que le marché intègre les annonces des résultats 2022 et les révisions de la croissance des profits en 2023.