La nécessité s'impose de réorganiser les structures et les compétences en matière de contrôle de la concurrence. Ne doit-on pas mettre fin à un système bicéphale obsolète, dans lequel l'administration d'Etat mène l'enquête tandis que le conseil propose d'éventuelles sanctions ? Ne faut-il pas renforcer la composition du conseil par des magistrats rompus aux affaires économiques ? Un nouveau président du Conseil de la concurrence vient d'être nommé. Une lourde tâche attend Abdelali Benamour, homme de compétence et de dialogue. Sa nomination est certainement la bienvenue dans la mesure où elle devrait revitaliser une instance qui a déjà presque dix ans d'âge mais qui n'a pas encore fait ses preuves dans les missions qui lui sont dévolues. On ne peut dresser un bilan de l'action du Conseil de la concurrence, pour la simple raison que, depuis sa création, en 1999, il n'a jamais exercé ses prérogatives.
Il a tout simplement été mis à la trappe dès sa naissance. Faut-il rappeler que le conseil a été bloqué par la démission prématurée de son président ? Le peu d'intérêt porté par le Premier ministre à sa relance et la complicité des acteurs professionnels, qui voyaient en lui un gendarme plutôt qu'un régulateur, ont fini par sonner le glas de ce moribond.
Pourtant, le conseil n'avait pas les traits d'une «instance de guerre». Le périmètre de ses prérogatives était bien tracé. Sa composition savamment dosée. Son règlement intérieur concentrait tous les pouvoirs entre les mains du président. Contrairement à ce qu'on peut entendre, la loi ne permettait pas au Conseil de la concurrence de s'autosaisir d'un dossier. Il est une simple instance de délibération qui doit prononcer des avis quand elle est saisie par la vraie autorité administrative en la matière : le Premier ministre ou son ministre délégué aux affaires générales. En l'occurrence, parler – en ce qui le concerne – d'une autorité indépendante de la concurrence paraît exagéré.
En outre, on peut légitimement s'interroger sur l'efficacité du modèle d'organisation duale de la régulation de la concurrence mise en place, avec, d'un côté, la direction de la concurrence et des prix rattachée au ministère des affaires économiques et générales, et, de l'autre côté, le conseil, simple instance consultative.
Sous l'impulsion du nouveau président, il faudrait pouvoir s'attendre à des mesures qui parachèveraient la mise en place d'une autorité puissante et crédible et permettraient une codification soigneuse de l'ensemble de ses procédures.
L'exigence d'indépendance et de transparence devrait constituer le principe directeur de la rénovation de la composition, de l'organisation et des règles de fonctionnement de l'institution, et serait seule de nature à traduire la volonté affichée par le gouvernement actuel de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles et d'assurer une plus grande protection des droits du consommateur. Il y va de l'attractivité de notre pays en termes d'investissements et de compétitivité. Les attentes légitimes exprimées ici sont au cœur de la modernisation attendue du cadre de la régulation de la concurrence au Maroc, et lui permettraient de se poser en modèle pour les pays de la région.
Dans cette perspective, la nécessité s'impose de réorganiser les structures et les compétences en matière de contrôle de la concurrence. Ne doit-on pas mettre fin à un système bicéphale obsolète, dans lequel l'administration d'Etat mène l'enquête tandis que le conseil propose d'éventuelles sanctions ? Ne faut-il pas renforcer la composition du conseil par l'appel à des magistrats rompus aux affaires économiques ? Aujourd'hui, le paradigme de la concurrence pure et parfaite est un schéma de l'esprit. Les ententes explicites entre les entreprises sur les marchés (par les prix ou par le zoning) sont moins fréquentes. Les pratiques anticoncurrentielles, les mécanismes d'entente sont devenus plus sophistiqués.
Comment peut-on statuer sur des ententes tacites et démontrer leur caractère illégal si l'on ne sait pas apprécier les pratiques du «price leadership», le parallélisme de comportement, la coordination par les points focaux… Comment peut-on déceler l'abus d'une entreprise sur le marché où elle évolue si l'on ne maîtrise pas le découpage de l'activité industrielle et des marchés pertinents, les indices de positions dominantes, les barrières à l'entrée sur le marché, la différenciation des produits.
Comment peut-on se prononcer sur la concentration si l'on n'est pas familier de la stratégie des groupes et des filières. En l'occurrence, ne doit-on pas renforcer le savoir et le savoir-faire des magistrats, des rapporteurs et des enquêteurs sur les questions de la concurrence oligopolistique et du pouvoir économique ? Ne doit-on pas transférer les enquêteurs relevant de la direction de la concurrence et des prix du ministère des affaires économiques et générales, ou d'autres services, vers le Conseil de la concurrence ?
La revitalisation du cadre de la régulation concurrentielle est un objectif incontestable, mais qui ne saurait se limiter en pratique à un pur et simple respect des pouvoirs et un renforcement des moyens du Conseil de la concurrence dans sa structure actuelle.
Pour répondre aux conditions d'un processus «moderne» d'élaboration de la législation et contribuer à assurer à cette instance équilibre, sécurité et pérennité, une exigence élémentaire semble devoir accompagner et garantir sa rénovation. Cette exigence concerne la révision, à plus ou moins brève échéance, de la loi sur la concurrence et la mise en place d'une autorité de la concurrence dotée de pouvoirs renforcés en matière de pratiques anticoncurrentielles, avec l'intégration en son sein des services d'enquête de la direction de la concurrence et des prix du ministère des affaires économiques et générales.
La fin du dualisme actuel, inspiré de l'expérience française – qui est elle-même une singularité dans le paysage institutionnel européen – permettrait de renforcer la cohérence et l'efficacité de la protection d'une concurrence saine et loyale au bénéfice des consommateurs. Presque tous les pays européens ont rassemblé dans une autorité unique et indépendante la régulation de la concurrence.
Ils distinguent ce qui relève de la politique de la concurrence – qui concerne les gouvernements – de ce qui relève de la gestion des affaires – la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, par exemple – qui, elle, est confiée à une autorité indépendante. Ne faudrait-il pas, à l'heure où le Maroc négocie un statut avancé avec l'UE, rendre la régulation marocaine plus conforme aux normes européennes ? * Larabi Jaïdi a été membre de l'ancien Conseil de la concurrence.