Des batteries à base de phosphates et de fer ! C'est l'avenir de la voiture électrique, à en croire une récente étude du Middle East Institut qui se base sur l'expérience de Tesla. Avec son rang de premier producteur de phosphates, doublé de son expérience dans le secteur, le Maroc peut se retrouver en pole position dans la course à la mobilité verte et devenir un champion de la voiture électrique. Fin juillet, le ministre de l'industrie annonçait, dans un entretien à l'agence Reuters, que le Maroc négocie l'installation, d'ici la fin de l'année, une gigafactory de batteries pour véhicules électriques. Depuis, les spéculations sur l'identité de l'opérateur, en pourparlers avec le département de Ryad Mezzour, vont bon train. Trois semaines plus tard, le ministre, tout en gardant le suspens sur l'identité de ses interlocuteurs, a souligné qu'il y en a plusieurs et précisé qu'il s'agit d'un investissement de l'ordre de 2 milliards d'euros avec plusieurs lignes de production. En combinant la terminologie utilisée et l'ordre de grandeur de l'investissement annoncé, certains spécialistes du domaine estiment la production annuelle de la future usine à environ un demi-million de batteries par an, à l'image de la gigafactory de 2 milliards de dollars installée par Tesla à Shanghai, en Chine. Pour ceux qui en doutent encore, le Royaume avec une capacité de production installée de l'ordre de 700 000 véhicules par an (et projetée de 1 million de voitures) est bel et bien en passe de négocier le virage de la voiture électrique. Pour reprendre les termes du ministre, «ce n'est pas un choix, mais une contrainte imposée par l'évolution du secteur». L'Union européenne représente 90% des débouchés de l'industrie automobile marocaine et les deux modèles de voitures les plus vendus en Europe -la Peugeot 208 et la Dacia Sandero de Renault- sont fabriqués au Royaume. Or, plusieurs pays du vieux continent ont décidé de basculer vers le tout électrique en 2035. Le Royaume n'a pas d'autres choix que de suivre la tendance pour préserver cette industrie, devenue un des premiers secteurs d'exportation. Pour reprendre les termes d'une étude publiée récemment par The Middle East Institute (MEI), un think tank indépendant créé en 1946 et basé à Washington, «la clé de l'essor du Maroc en tant que géant de la fabrication de mobilité verte sera d'étendre son écosystème automobile pour inclure la fabrication locale de batteries Li-ion, qui représentent 30 à 40% du coût d'un véhicule électrique moyen». Justement, «la nouvelle gigafactory pourrait ainsi accueillir la production des 300 000 véhicules supplémentaires ciblés en tant que véhicules électriques». Le train en marche Déjà en novembre 2021, le gouvernement a inscrit dans le projet de Loi de finances de 2022 une réduction du droit d'importation sur les cellules lithium-ion qui passent de 40% à 17,5%, et ce pour favoriser l'assemblage local de batteries Li-ion à partir de cellules importées d'Asie. C'est une mesure qui en dit long sur ses choix en matière de mobilité électrique. Et ce n'est qu'un début. Plusieurs facteurs jouent, en effet, en faveur du Maroc et pourraient facilement le propulser en tant que champion régional, voire international, de la mobilité verte et électrique. «Le nearshoring, combiné à la planification industrielle intelligente de Rabat et à la culture prudente des partenariats étrangers, est le moteur de l'élan auto-entretenu propulsant l'avancement du secteur de la fabrication automobile au Maroc», notent les auteurs de cette étude. Concrètement, si aujourd'hui Renault fabrique en Chine, son modèle électrique de Dacia (la Spring, lancée en 2021 en Europe), rien n'empêche que ce modèle et d'autres sortiront, dans le futur, des chaînes de Renault Tanger ou de la Somaca. En cela, le groupe a déjà un antécédent : depuis 2020, Renault a transféré, en effet, toute sa production de Dacia Sandero de Roumanie vers ses usines à Casablanca et à Tanger, où les coûts de main-d'œuvre sont jusqu'à 50% plus favorables. Il en va de même pour Stellantis, la maison mère de Peugeot: l'usine Peugeot de Kénitra fabrique la version à essence de la Peugeot 208, et «étant donné que la Peugeot e-208 entièrement électrique utilise le même châssis, la production marocaine de batteries pour véhicules électriques pourrait inciter Stellantis à déplacer la production de ce modèle électrique depuis la Slovaquie», arguent les auteurs de l'étude. Le Maroc ne manque pas d'atouts pour élargir sa capacité industrielle installée, comptant un écosystème de plus de 250 équipementiers et deux fabricants mondiaux. Une future gigafactory de batteries permettrait de valoriser un savoir-faire acquis et surtout le nearshoring – par opposition aux «stocks juste-à-temps» livrés à partir de points éloignés à travers le globe – pourrait favoriser le raccourcissement des chaînes d'approvisionnement. La panoplie au complet Dans une voiture électrique, le plus important est certes la batterie, mais aussi l'électronique embarquée. Notons à ce propos que le Maroc s'est préparé à cette évolution en développant une capacité de production de semi-conducteurs pour les micropuces de véhicules électriques. Le franco-italien STMicroelectronics, premier fabricant européen de dispositifs intégrés, vient d'inaugurer, à Bouskoura, une nouvelle ligne de production au Royaume pour fabriquer des puces électroniques pour Tesla. Maintenant reste les éléments composant la batterie, des matériaux rares dont le marché est dominé par la Chine. Pour faire court, une batterie Li-ion, la base des véhicules électriques modernes, nécessite principalement du lithium et du cobalt. Les batteries les plus courantes sont celles à haute densité énergétique qui utilisent une cathode nickel manganèse cobalt (NMC) ou parfois une cathode nickel cobalt aluminium (NCA). Des métaux que le Royaume produit en quantités relativement faibles (11e mondial en termes de réserves), mais il n'en reste pas moins le fournisseur le plus convoité en Europe. Tout le monde le sait, le premier producteur de cobalt est la RDC (50% des réserves mondiales) qui fournit même la Chine, relève l'étude du MEI, «or la production y est artisanale et parmi les 250 000 personnes qui travaillent dans l'extraction de ce minerai figurent quelque 40 000 enfants dont certains âgés de 6 ans. Ce qui pose un problème d'ordre éthique pour l'Europe». En combinant ce facteur à celui de l'option de l'industrie décarbonnée également exigée par l'UE, cela augmente les chances du Maroc. Et même à ce niveau, le Royaume s'y est mis d'avance. Ainsi, en juillet 2020, le constructeur automobile allemand BMW a signé un contrat de 113 millions de dollars avec Managem pour fournir 20% du cobalt nécessaire à la fabrication des trains électriques de nouvelle génération de BMW. Renault a signé le 1er juin 2022 un contrat avec le même groupe minier pour fournir 5 000 tonnes de sulfate de cobalt par an pendant sept ans. Six mois plus tôt, le géant mondial des mines et du négoce de métaux Glencore a conclu un partenariat, également avec Managem, pour produire du cobalt recyclé à partir de batteries lithium-ion utilisées. Par ailleurs, le Royaume possède de petites réserves de nickel et de manganèse qui pourraient approvisionner la fabrication nationale de cathodes NMC. Et il peut également avoir son propre approvisionnement intérieur en lithium. Le joker des phosphates Jusque-là, le Maroc n'a pas encore sorti son joker. Dans l'industrie automobile de demain, l'élément décisif dans la fabrication des batteries n'est plus le cobalt mais... les phosphates. In fine, «les énormes réserves de phosphates du Maroc sont un facteur essentiel dans sa transformation en un centre de production de batteries pour véhicules électriques à l'échelle mondiale», souligne l'étude. Pour en avoir une idée claire, il faut revenir au rapport d'activité du troisième trimestre 2021 du géant de l'automobile électrique Tesla. Il y est écrit noir sur blanc que «pour les véhicules de la gamme standard, nous passons à la chimie des batteries au lithium fer phosphate (LFP) à l'échelle mondiale». Pour comprendre ce virage, il faut préciser que les spécialistes estiment que les batteries LFP à base de phosphate et du fer «sont moins chères, plus sûres et durent plus longtemps que leurs homologues à base de cobalt», bien qu'elles n'offrent pas la même autonomie. De plus, «le phosphate de fer est loin d'être aussi toxique que l'oxyde de cobalt ou l'oxyde de manganèse. Les batteries LFP ont une durée de vie plus longue, avec un taux de perte de capacité plus lent par rapport aux batteries NMC. Et les batteries LFP sont également beaucoup plus sûres: avec une stabilité thermique plus élevée, elles émettent beaucoup moins de chaleur que les batteries NMC et ne sont pas aussi susceptibles d'exploser ou de s'enflammer lorsqu'un véhicule électrique est mal utilisé ou subit des dommages physiques». Il va sans dire qu'avec 70% des réserves mondiales de phosphates, l'utilisation croissante des batteries LFP favorise sans conteste le Maroc pour la production de batteries pour véhicules électriques. Le Royaume est par ailleurs un exportateur net de minerai de fer, il «pourrait bénéficier d'un avantage de coût supérieur à 70% par kilogramme», relève l'étude du MEI. Le Maroc devra développer facilement sa production de phosphate et d'acide phosphorique pour fabriquer des batteries LFP sans pour autant que cela ne se répercute sur sa vocation de leader mondial sur le marché des engrais phosphatés, et par delà de garant de la sécurité alimentaire mondiale. Nous l'avons vu, suite à la pénurie mondiale d'engrais due à la guerre russo-ukrainienne, l'OCP a annoncé le 17 mai qu'il augmentera sa production d'engrais en cette année de 10 %. Ce chiffre illustre la capacité du groupe de créer une ligne de production d'engrais d'une capacité d'un million de tonnes en six mois. Facile donc d'appuyer sur le champignon pour répondre aux besoins futurs…