A Casablanca, 2000 cas d'empoisonnement alimentaire en 2004. Un chiffre qui reste en deçà de la réalité. Les intoxications alimentaires occupent la troisième place après celles dues aux médicaments et celles causées en hiver par le monoxyde de carbone. Le contrôle de l'hygiène souffre de l'insuffisance des moyens et effectifs et du chevauchement de compétences des services concernés. L'information a fait le tour des rédactions en mars 2005 : quinze des quarante médecins participant à un séminaire sur la chirurgie de l'oreille et du nez dans un grand hôtel casablancais attrapent une infection intestinale suite à un déjeuner servi par le restaurant de l'hôtel. Onze ont été hospitalisés, mais rien de grave. Sauf la réputation de l'établissement, qui s'en trouve ternie. Pourtant, tout ce beau monde, et d'autres convives, qui n'ont rien à voir avec la médecine, a pris le même menu. Etrange ! La cellule locale de veille sanitaire instituée auprès de la wilaya de Casablanca, qui intervient dès qu'une intoxication est signalée, fait des prélèvements qu'elle envoie au laboratoire : aucune insalubrité n'est constatée. Poussant plus loin leur investigation, les contrôleurs ont appris, mais cela reste une hypothèse non confirmée, que les médecins victimes du malaise gastrique auraient consommé, avant d'arriver à l'hôtel, du thé et des croissants dans un autre lieu. Le mystère, à ce jour, n'est pas encore définitivement élucidé. Fait isolé ? Rien n'est moins sûr. En 2003, des statistiques rendues publiques par la délégation de la santé à Casablanca font état de 264 cas d'intoxication, dont neuf mortels. Ce chiffre grimpe à 2000 une année plus tard. Il reste cependant en deçà de la réalité : des milliers de cas d'empoisonnement d'origine alimentaire passent inaperçus car jamais déclarés aux services compétents. D'autres chiffres nous sont délivrés par le Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc, à Rabat (CAPM) : en 2004, 1666 cas d'intoxication alimentaire sont recensés. Toutes sont ce qu'on appelle des toxi-infections alimentaires collectives (TIAC). Avec une prédominance du milieu urbain, avec 73 %, contre 22 % en milieu rural. Aucun âge ni sexe n'est épargné : hommes, femmes, adultes, enfants sont concernés. En hiver, les intoxications liées aux moyens de chauffage passent en tête Mais qu'est-ce qu'une intoxication alimentaire et quels en sont les symptômes? Il y en a plusieurs types, selon le professeur Ahmed Bellabah, du service de gastro-entérologie de l'hôpital Ibn Rochd, à Casablanca, qui sont fonction, explique-t-il, de l'intensité, de l'origine de l'intoxication et, surtout, de la réponse de l'individu. Trois symptômes permettent de diagnostiquer le mal : douleurs, vomissements et fièvre. Ces symptômes peuvent s'accompagner de diarrhée. «Cette dernière peut être si grave qu'elle entraà®ne des troubles de la tension artérielle, une hypotension qui exige parfois l'admission du patient dans un milieu de réanimation.» Il y a par ailleurs une intoxication alimentaire saisonnière, très répandue pendant l'été, aiguà« et très grave : c'est l'intoxication bactérienne. Il y a également «des intoxications parasitaires, telle l'amibiase due non à une bactérie mais à une amibe. Celle-ci existe toute l'année, mais s'accentue pendant l'été. C'est une affection sans vomissements ni fièvre, mais elle entraà®ne des diarrhées importantes avec des glaires, et même du sang.» Et le botulisme dont on parle si souvent ? Il est causé par une bactérie que l'on retrouve dans les boà®tes de conserve gardées dans des conditions insalubres, ou périmées. Cette bactérie secrète une toxine, l'«exotoxine», ou «toxine botulique», responsable de l'intoxication. Quant à leur fréquence par rapport aux autres intoxications, les intoxications alimentaires, selon le Dr Sanaa Benalarabi, responsable au Centre antipoison, «occupent la troisième place après les intoxications dues aux médicaments, et celles dues au monoxyde de carbone. Mais tout dépend des saisons». Si, en été, les aliments constituent la première cause d'intoxication, en hiver c'est le monoxyde de carbone qui en est la principale cause. Cela s'explique : la chaleur est un facteur très important de détérioration de la qualité et de la salubrité des aliments non conservés dans un milieu froid. «Plus de 50 % des intoxications alimentaires ont lieu pendant l'été», précise le Dr Benalarabi. Pendant l'hiver, le gaz butane ou le charbon, utilisés comme moyens de chauffage dans des lieux confinés, entraà®nent des empoisonnements par asphyxie, parfois mortels. Le Centre antipoison n'a pas beaucoup affaire aux intoxications dans les lieux publics, nous informe-t-on, mais surtout aux intoxications domestiques en raison des mauvaises conditions d'hygiène : absence de réfrigérateur, aliments mal conservés. 70 % des intoxications déclarées au Centre antipoison ont lieu dans les maisons. Et ce sont les milieux défavorisés, comme on peut le deviner, qui en souffrent le plus. Quels sont les aliments les plus incriminés? Légumes, poulet, escargots, pâtisserie… Mais c'est surtout le lait et ses dérivés qui causent le plus de dégâts, particulièrement le petit-lait (lben). Et dans les lieux publics ? Ce sont les restaurants, les cantines, les repas servis pendant les fêtes, «là oà1 il y a des gens qui consomment collectivement des aliments préparés à l'avance, ou conservés dans de mauvaises conditions d'hygiène». Et la praticienne de pointer du doigt les sauces comme la moutarde ou la mayonnaise, qui sont, souvent, responsables d'intoxications alimentaires. Impossible de contrôler ce que consomment les gens chez eux, le seul moyen est de lancer des campagnes de sensibilisation pour inculquer une culture de l'hygiène à la population. Mais dans les lieux publics, y a-t-il un contrôle d'hygiène pour vérifier la conformité des aliments servis aux normes d'hygiène et de salubrité alimentaires ? Ce contrôle existe, de par la loi, en l'occurrence la charte communale, qui donne au président de la commune (le maire, à Casablanca) et aux présidents des arrondissements pleins pouvoirs en matière de prévention et de contrôle de l'hygiène publique, dans le cadre de ce qu'on appelle la «police administrative». En mai dernier, une descente de cinq commissions de contrôle au niveau des arrondissements de Sidi Belyout, Anfa et Maârif, pour ne parler que de Casablanca, s'est soldée par des mises en demeure ou la fermeture de 113 établissements: restaurants (23), snacks (46), laiteries (32), crêperies (6) et glaciers (6). Mais ce contrôle, déplore-t-on, n'est pas continu et il est loin d'être rigoureux. «C'est de la poudre aux yeux, lancée annuellement à la veille de la saison estivale», se plaint un médecin médico-social affecté dans un arrondissement casablancais. La loi n'est pas toujours appliquée. Or, au niveau de chaque arrondissement, il y a un bureau d'hygiène censé faire un travail de prophylaxie, de dératisation, de désinsectisation et de désinfection (les fameux trois D). Il y a aussi un travail de contrôle et de surveillance alimentaire qui doit être effectué par des techniciens d'hygiène, des techniciens de laboratoire et un médecin hygiéniste. Les professionnels du secteur se plaignent de trois carences : insuffisance des effectifs, manque de professionnalisme et chevauchements de prérogatives entre plusieurs services. Le contrôle de l'hygiène relève des arrondissements et du maire Le Dr Karim Boudhir, chef du service d'hygiène alimentaire à la division d'hygiène et de salubrité publique (division qui fait un travail de coordination entre les seize arrondissements de Casablanca), nous livre cet exemple, illustrant l'insuffisance humaine. Durant le mois de Ramadan dernier, et dans le cadre du contrôle que la division s'était fixé, il était prévu de visiter 7200 établissements. Seuls 1251 l'ont été. Or, c'est pendant Ramadan que la consommation alimentaire connaà®t, paradoxalement, une nette augmentation, donc autant de risques d'intoxications alimentaires. Au niveau de tout Casablanca, ajoute le Dr Boudhir, il n'y a pas plus de soixante médecins, cinq biologistes et quatre contrôleurs par arrondissement, à contrôler ce que mangent quotidiennement quatre millions d'habitants. Quant au Dr Mohamed Jabari, directeur de l'hygiène et des affaires sociales et culturelles, à Casablanca (direction qui vient d'être supprimée), il déplore l'inexpérience et le manque de formation des techniciens de contrôle. «L'hygiène, dit-il, est une spécialité médicale à part, qui n'existe pas au Maroc, et qui n'est même pas enseignée à la Faculté de médecine. Donc, on n'a que des médecins qui font de l'hygiène, qui font des efforts, certes, pour assurer leur travail, mais ce n'est pas suffisant. L'hygiène n'est pas uniquement une affaire de techniciens de contrôle et de médecins spécialistes en la matière. Il faut inculquer la culture de la propreté et d'hygiène à tous les citoyens. On demande aux techniciens de contrôler l'hygiène alimentaire des citoyens alors qu'ils en sont, eux-mêmes, à mille lieux. Si on n'a ni techniciens formés, ni moyens matériels et logistiques, impossible de circonscrire les foyers insalubres. Comme une maladie, comment l'éradiquer si on ne la diagnostique pas». Dernière tare : le chevauchement de prérogatives entre plusieurs intervenants en matière de contrôle d'hygiène et, par conséquent, le manque de coordination : ministères de l'Intérieur, de la Santé, de l'Agriculture. Or, la charte communale est limpide : selon les articles 50 et 104, le contrôle de l'hygiène relève de la police administrative des arrondissements et du maire. Les autres services peuvent intervenir également, mais ils doivent le faire avec ces derniers. «Cette absence de coordination empêche que les intervenants effectuent leur travail de manière rigoureuse et efficace», tonne le Dr Jabari. Les établissements de restauration qui ont pignon sur rue risquent, de par la loi, de subir un contrôle d'hygiène, mais le danger des intoxications alimentaires ne provient pas que d'eux. Les marchands ambulants livrent aux consommateurs des produits douteux qui échappent à tout contrôle. Et ils sont légion. Leur achalandage, présent à tous les coins de rues, est très varié : viande hachée, saucisses, mortadelles, fromages, boà®tes de sardines et de thon, bocadillos, escargots, moules, etc. Et ce commerce informel, souvent meurtrier, sévit au nez et à la barbe des responsables du contrôle de l'hygiène alimentaire publique Qui contacter en cas d'urgence ? Si vous êtes victime d'une intoxication alimentaire, quel que soit votre lieu de résidence, vous pouvez contacter 24/24 h, le Centre national antipoison et de pharmacovigilance, à Rabat. Par téléphone, le patient peut, à travers ce centre, recevoir les premiers conseils, et, le cas échéant, être orienté vers des adresses pour recevoir les premiers soins Recommandations du Centre antipoison Le Centre antipoison et de pharmacovigilane du Maroc à Rabat (CAPM) dresse une liste de précautions à prendre pour éviter les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC). Parmi elles : – Se laver les mains à l'eau et au savon fréquemment dans la cuisine. – Eviter d'utiliser les ustensiles ayant contenu des aliments crus pour les aliments cuits sans les avoir lavés. – Mettre les aliments au réfrigérateur en séparant les aliments crus des aliments cuits, dans des boà®tes fermées. Respecter les délais de stockage au réfrigérateur ou au congélateur selon les aliments. Ne pas recongeler ce qui a été décongelé. Laisser de l'espace entre les aliments au réfrigérateur. – Eviter de manger des crudités à l'extérieur. – Manger dans des endroits très fréquentés oà1 le risque de manger des aliments conservés trop longtemps est moindre. – Ne pas manger chez les marchands ambulants. – Ne pas manger ou acheter des aliments sans emballage. En cas d'intoxication, appeler le CAPM qui pourra ainsi prévenir à temps les autorités compétentes. Celles-ci pourront prendre les mesures nécessaires : enquêter sur place pour voir l'état des lieux, faire un prélèvement des aliments et peut-être même saisir la marchandise et/ou fermer l'établissement. Staphylocoques et salmonelles, les principaux coupables Selon les médecins, deux types de bactéries sont responsables des intoxications alimentaires : le staphylocoque et les salmonelles. Le premier peut se développer dans les aliments mal cuits, dans les plats réchauffés et dans la crème. L'affection peut se déclarer quatre heures après le repas. Symptômes : fièvre, vomissements et douleurs abdominales. Quant aux salmonelles, elles sont présentes dans les aliments insalubres ou souillés. Le symptôme le plus fréquent est une diarrhée qui se déclare entre 12 et 24 heures après l'ingestion de l'aliment.