Un plan stratégique intégré a été élaboré suite à l'étude menée par un cabinet suédois. Alcootest, amende pour les piétons, permis à points, code de la route revu, limitation du nombre de passagers dans les grands taxis… D'ici à 2005, tout va changer. Près de 4 000 morts et plus de 81 000 blessés en 2002. Chaque année, 8 milliards de DH, soit 2,2% du PIB, s'en vont en fumée. L'hémorragie doit être stoppée. Il y a un peu moins d'un an, et à peine installé, Karim Ghellab, ministre de l'Equipement et du Transport, avait annoncé la couleur : le taux d'accidents de la circulation devait baisser considérablement, à coups de lois répressives et de mesures préventives. Aujourd'hui, un «Plan stratégique d'urgence intégré» est dûment élaboré, qui vise à juguler le fléau. Car c'est bien d'un fléau qu'il s'agit. Un fléau qui, se nourrissant de la frilosité des responsables et de l'irresponsabilité des usagers, prend de l'ampleur au fil des ans, comme en atteste sa progression monstrueuse. En 1992, nous totalisions un score de 41 331 accidents ; il a été de 52 137 en 2002; en 1992, les morts sur le bitume se chiffraient à 3 524 ; ils étaient 3 761 en 2002. Durant les vingt dernières années, selon le ministère de l'Equipement et du Transport, 741 971 accidents corporels de la circulation ont été enregistrés, soit, en moyenne, 37 100 accidents par an, 102 par jour. Ces accidents ont fait 1 147 564 victimes et provoqué la mort de 59 109 personnes. Ce qui correspond à 157 blessés et 8 tués par jour. Entre 1983 et 2002, le parc automobile est passé de 505 764 à 1 740 000 véhicules. Dans le même temps, la circulation routière a évolué de 20,6 à 47,6 millions de véhicules kilomètre par jour. A ce rythme, le nombre d'accidents augmenterait, dans les 10 prochaines années, de 35 % (on atteindrait ainsi 70 789 accidents en 2013) ; le nombre de morts s'accroîtrait de 32 % (4 947 tués en 2013). Tout cela sans compter la majoration du coût, qui s'élève déjà à 8 milliards de dirhams par an (2,2 % du PIB). Des familles brisées, des vies saccagées, de l'argent dilapidé, n'est-ce pas là un lourd tribut ? La dérive de notre circulation routière est devenue inacceptable, il est temps d'y mettre le holà. Au rythme actuel, il y aura 70 689 accidents en 2013 Conséquences de cette dérive, ce n'est pas parce que l'on respecte le Code de la route qu'on a plus de chances d'éviter un accident. Les plus prudents parmi les automobilistes en sont arrivés à faire des concessions sur leur droits. Un exemple ? Ceux qui s'aventurent, la nuit, sur la route qui mène d'El Jadida à Marrakech, prennent la précaution de se ranger lorsqu'un camion les croise, afin d'éviter le choc fatal. Car un camionneur, à ces heures-là, devient un danger public en raison de son intense fatigue. «Ils roupillent carrément au volant. Et si l'on n'y prend garde, on risque d'être jeté sur le bas-côté», nous dit un conducteur averti. Cependant, l'état physique (ivresse, sommeil, malaise, usage de médicaments…) n'entre que pour une faible part (7 %) dans les causes des accidents. Ceux-ci sont provoqués surtout par les réfractaires au code de la route. Il n'est pas rare de voir des taxis collectifs, par exemple, rouler à tombeau ouvert, griller un feu rouge ou enfreindre la règle de la priorité. «Pensez-vous à la mort quand vous prenez le volant ?», avons-nous demandé à un chauffeur de taxi. «C'est surtout aux flics que je pense, oui. Dès que je n'aperçois pas le bout de leur casquette, je mets le turbo. Il faut me comprendre, je n'ai pas le choix. Je loue le taxi à raison de 250 DH la journée, en sus du carburant. Plus je roule vite, plus je fais de voyages et moins j'en suis pour mes frais». Le nombre de personnes qui font, chaque jour, les frais de ces infractions dictées par l'appât du gain laisse pensif. Les taxis (cf encadré) restent plus mortels que les autres véhicules. La plupart des accidents résultent d'un manque de civisme Mais, il n'y pas que les taxis. Dans la hiérarchie de l'imprudence les autocars et bus sont champions, aidés en cela par une carrosserie surélevée par rapport aux autres types de véhicules. Et quand un autobus décrépit essaie de doubler un chauffeur de taxi ultra-pressé, ce dernier le laisse complaisamment faire. «C'est risqué de faire le malin avec ces engins-là. Ils vous écrabouillent vite fait, et vous ne récoltez rien. Ils ne sont même pas assurés». L'autobus menaçant appartient à une société publique. Si l'Etat y met son grain de sel, on n'est pas sorti de l'auberge ! De manière générale, les usagers de la route ne s'embarrassent guère de scrupules civiques. «Il est établi que l'immense majorité des accidents est due essentiellement au manque de civisme des usagers. C'est un fait déplorable sur lequel il convient de se pencher. Le même Marocain, qui enfreint ici le code de la route, se fera un devoir de le respecter strictement une fois qu'il aura franchi la frontière», confirme Karim Ghellab. Au défaut de civisme s'ajoute la dimension psychique liée à la conduite. De fait, l'inconscient des Marocains est intimement concerné par l'automobile, symbole de puissance tous azimuts. Ce n'est pas du bidon, mais un fait clinique qui, de la pathologie, déborde carrément sur le «normal». L'automobile, ce fétiche exemplaire, est investi d'une force qui fait de chaque homoncule un dieu. L'homme fort au volant de sa grosse auto écrase, au propre et au figuré, le faible; le faible, piteusement motorisé, défie le fort avec une susceptibilité de roquet. Et fort de ce sentiment de puissance que lui procure sa «caisse», l'homme au volant n'éprouve que mépris rageur pour le misérable piéton qui entrave sa trajectoire. Résultat : 1 201 piétons ont été tués en 2002, 19 831 ont été blessés pendant la même année. Une série d'actions à déployer en trois ans seulement Dans la funeste répartition des victimes des accidents, les piétons, avec 31,93% de tués et 24,37 % de blessés, sont à peine devancés par les automobilistes (38,08% et 42,38 %), et loin devant les passagers d'autocars (1,86 % et 2,36 %) et ceux des bus (0,45 % et 1,15 %). Contre le fléau, les responsables, jusqu'ici, étaient désarmés. On a édifié un magnifique bâtiment, à Hay Ryad, à Rabat, pour y abriter le Comité national pour la prévention des accidents de la circulation (CNPAC). A quoi s'y occupe-t-on ? A concocter des campagnes de sensibilisation estivales. Pour sûr, l'été, au Maroc, est notoirement meurtrier (en 2002, 5 012 accidents en juillet, 5 609 en août, 4 584 en septembre, contre 3 793 en février), mais les accidents ne connaissent pas de saison. Quant au Comité interministériel de la sécurité routière, constitué depuis le 24 janvier 2001, il s'est réuni deux fois, sans jamais prendre de mesures susceptibles de juguler le mal. Il a fallu attendre la nomination de Karim Ghellab comme ministre de l'Equipement et du Transport pour voir le taureau pris par les cornes. «Il fallait agir au plus vite. D'où l'élaboration d'un plan stratégique, fondé sur une étude confiée par le ministère de l'Equipement et du Transport à un cabinet suédois. Ce n'est pas un diagnostic superficiel qui a été établi, mais une enquête substantielle dont nous nous sommes servis pour définir les axes prioritaires de notre politique visant à remédier à la situation dramatique de notre sécurité routière», assure le ministre. Le programme prévoit une série d'actions déployées sur trois ans (2003-2005). Vaste et ambitieux programme, dont on ne peut esquisser ici que les aspects novateurs. Telle que l'instauration du système de permis à points à titre de sanction et de prévention. Rappelons que le nombre de victimes de la route a considérablement chuté en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, depuis que ces pays ont adopté cette mesure. Mais elle ne passera pas sans heurts chez nous. «Pour instituer cette loi, il faut au préalable informatiser tous les permis de conduire. Ceux-ci sont encore écrits à la main. Nous œuvrons dans ce sens. Le centre de Rabat-Témara est déjà opérationnel. Dans un délai de 18 mois, l'ensemble sera informatisé», annonce le ministre. Le code de la route fera l'objet d'une refonte consistante. Incomplet, il comporte de graves lacunes, telles l'absence d'obligation d'attacher la ceinture de sécurité ou d'interdiction quant à la présence d'enfants à l'avant de la voiture. L'examen du permis de conduire sera automatisé, afin d'éviter les documents de complaisance. Les enfants à l'avant ? Interdit Les piétons qui ne traversent pas dans les clous sont désormais passibles d'une amende de 50 DH. A cet égard, on se souvient que cette sanction était de mise dans les années 60 (amende de 10 DH) et qu'elle a été vite abandonnée. Ces mêmes piétons, impliqués dans 91 705 accidents entre 1997 et 2001, se verront «sécurisés» grâce à des aménagements et équipements spécifiques. Enfin, entre la «caisse» ou la dive bouteille, il faudra choisir. Les conducteurs en état d'ébriété ont causé 4 501 accidents de 1997 à 2001, provoquant la mort de 639 innocents. Pour éviter de pareils dégâts, l'alcootest sera introduit dans le nouveau code de la route. Les soiffards n'auront qu'à prendre un taxi collectif. Avec un peu de chance, ils profiteront du confort d'être placés à l'avant, où ils seront désormais seuls. Car le nombre de passagers des taxis collectifs sera réduit, afin d'éviter les accidents (11 838 taxis ont été impliqués dans 11 270 accidents, de 1992 à 2001). Leurs homologues routiers ne seront pas logés à meilleure enseigne : leurs véhicules se verront minutieusement contrôlés et les défectuosités seront sévèrement punies. Le coût de la nouvelle politique de sécurité routière est estimé à 266 656 000 DH. Le ministère de l'Equipement et du Transport s'enorgueillit d'y consacrer ce budget. Car une vie humaine n'a pas de prix et près de 4 000 vies humaines sont brutalement abrégées chaque année, à cause de l'inconscience des conducteurs