Une première rencontre formelle vient d'avoir lieu, mais rien de concret n'en est sorti. Les lois sur la grève et les syndicats, les réformes de la retraite, du code du travail, de la réforme de la fonction publique..., autant de chantiers ouverts. Les syndicats doutent de la capacité du gouvernement de mener de véritables négociations sociales. Lundi 14 octobre, le siège de la présidence du gouvernement a accueilli une réunion tripartite entre l'Exécutif, les quatre centrales syndicales dites les plus représentatives, à savoir l'UMT, la CDT, l'UGTM et l'UNTM, et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Au cours de la rencontre, le ministre de l'économie et des finances a informé les représentants des partenaires sociaux des grandes lignes du projet de Loi de finances 2020. Ces derniers ont, ensuite, été appelés à présenter leurs propositions sur le projet de texte qui leur a été exposé «en vue de les intégrer dans la mouture finale du PLF de l'année prochaine». Pour inédit qu'il peut en avoir l'air, cet exercice remonte pourtant à l'époque du gouvernement d'Abbas El Fassi, note Khalid Houir Alami, secrétaire général-adjoint de la CDT. Il était, en effet, question de deux réunions annuelles, l'une en avril et l'autre en septembre, dans le cadre de l'institutionnalisation du dialogue social, affirme la même source. Cet exercice fait également partie de l'accord social signé le 25 avril dernier, confirme Mohamed Haytoum, conseiller parlementaire et membre du secrétariat national de l'UMT. «La réunion d'avril est consacrée à l'examen des revendications des salariés et celles qui seront retenues seront annoncées dans la déclaration du 1er Mai. En septembre, il est question d'examiner les grandes orientations du projet de Loi de finances». Sauf que, d'après ce dirigeant de l'UMT, cette réunion est venue sur le tard, à une semaine à peine du démarrage du processus législatif. Ce qui fait dire à Mohamed Haytoum que «le gouvernement n'est pas sérieux aussi bien pour la mise en œuvre de l'accord du 25 avril que pour ce qui est de l'institutionnalisation du dialogue social». Même impression exprimée d'ailleurs par la CDT. «Nous aurions souhaité que la réunion de la semaine dernière ait lieu bien avant, en septembre, alors que le PLF était encore en préparation. Le fait est que M. El Othmani nous a demandé des propositions, nous les lui avons remises, à lui et au ministre des finances. Nous allons voir si elles vont être prises en compte au moment des débats au Parlement du PLF», souligne Khalid Houir Alami. De toutes les manières, insiste M. Haytoum, «nous avons exprimé notre point de vue au chef du gouvernement pendant la réunion. Nous nous sommes également interrogés, lors de cette même réunion, s'il y avait une marge pour qu'après nous avoir écoutés, le chef du gouvernement puisse intégrer nos propositions en tant qu'amendements dans le PLF ou s'il s'agit juste d'un échange de points de vue et, qu'après, chacun s'en va vaquer à ses occupations». Une rencontre pour la forme ? Manifestement, le gouvernement a bien respecté la forme, mais de là à parler d'une véritable institutionnalisation du dialogue social, il y a tout un chemin à faire. «C'est pour dire qu'aujourd'hui, l'institutionnalisation du dialogue social pose une grande problématique. Or, dans son message adressé, le 20 février 2017, aux participants à la deuxième édition du Forum parlementaire sur la justice sociale, tenue à Rabat, le Souverain a bien insisté sur le fait que l'institutionnalisation du dialogue social est "considérée comme un préalable essentiel au développement durable et à la justice sociale". Le Conseil économique, social et environnemental a également élaboré un rapport à ce sujet», affirme ce responsable syndical. Selon lui, «en toute logique, et c'est ce qui est attendu de lui, le gouvernement devrait prendre l'initiative d'institutionnaliser le dialogue social». Cela d'autant, poursuit-il, que sur le plan législatif «nous sommes en passe d'entamer un grand chantier social avec notamment la réforme de la fonction publique, la poursuite de la réforme de la retraite, l'adoption de la loi organique relative à la grève et de la loi relative aux syndicats et aux organisations professionnelles. Mais malheureusement, là encore il y a un hic, nous considérons, comme le veulent les conventions internationales, qu'il doit s'agir de négociations alors que le gouvernement se contente de recueillir nos propositions». Bref, conclut le secrétaire général-adjoint de la CDT, on ne peut pas dire que l'année démarre bien. Pourtant, il devait bien en être autrement. C'était d'ailleurs l'objectif de l'accord social. «En tant que syndicats, nous avons eu une rencontre avec le ministre chargé de la fonction publique à propos de la vision de réforme du secteur», affirme-t-il. C'était, en effet, la première grande réforme que les deux parties allaient aborder. Cela en plus, bien sûr, des deux chantiers déjà ouverts qui sont l'exercice du droit de grève et l'organisation syndicale. Pour le premier, un projet de loi organique est gelé au Parlement depuis octobre 2016. En fait, d'après le nouveau ministre du travail et de l'insertion professionnelle, le gouvernement a suspendu les débats, au Parlement, de ce projet de loi parce les syndicats ont demandé à le revoir. Aussi, le gouvernement leur a-t-il demandé, ainsi qu'aux représentants des employeurs, de lui soumettre des propositions à ce sujet dont les conclusions, assure le ministre, «pourraient être intégrées dans les amendements à apporter à ce projet de loi». Pour ce qui est du deuxième texte, une première mouture a été soumise aux syndicats et à la CGEM avec la même finalité. «Nous attendons les propositions des deux parties pour pouvoir présenter un texte qui réponde aux attentes de tous», affirme le ministre. Pour ce dernier, qui a insisté à ponctuer ses propos d'un «Inchallah» qui laisse dubitatif, «le projet de loi organique relatif à la grève et le projet de loi relative aux syndicats et aux organisations professionnelles seront adoptés au plus tard avant la fin de la législature, si en travaillant avec les syndicats nous arrivons à accélérer la procédure législative». Ces chantiers qui attendent Pour le reste, «c'est toujours rien», note le responsable de la CDT, bien qu'un agenda ait bien été annoncé dans l'accord du 25 avril. Ainsi, le gouvernement n'a toujours pas entamé les discussions sur le nouveau pacte social, ni abordé la question de la réforme de le retraite et encore moins les débats sur l'amendement du code du travail et les textes portant sur les libertés syndicales. L'amendement du code du travail, précisons-le, a pour objectif de créer un équilibre entre les besoins des entreprises et la lutte contre la précarité de l'emploi et la préservation des acquis des employés. Notons, en outre, qu'entre autres réformes, il est question également de mettre en place une stratégie nationale homogène dans le domaine de la protection sociale et ce, en concertation avec les partenaires sociaux et économiques. L'accord prévoit, de même, d'intégrer le dossier des retraites dans le dialogue social. Ce processus de réforme globale du système des retraites sera élaboré dans le cadre de consultations avec pour objectif la mise en place d'un système à deux pôles, public et privé. Quant à la mise en place d'un «pacte social», également prévu dans cet accord, elle vise à instaurer «la cohésion et la paix sociales et établir les règles du dialogue social et ses mécanismes juridiques et institutionnels dans le cadre d'une approche visant un développement économique et social équilibré». En d'autres termes, explique Khalid Houir Alami, «c'est ce pacte qui va définir les contours sociaux du Maroc de demain, dans le cadre du nouveau modèle de développement. Et pour important qu'il soit, le gouvernement n'a toujours pas évoqué ce sujet avec les syndicats». Mais, vu comment les choses se présentent, la centrale exprime ses inquiétudes sur le sort du pacte social que le Maroc est en passe de conclure. «Sincèrement, d'après l'expérience que nous avons vécue avec l'ancien ministre, nous avons de forts doutes quant à la capacité du nouveau à mener un chantier d'une aussi grande importance», relève Khalid Houir Alami. L'ancien ministre, ajoute-t-il, «nous a toujours paru hors contexte, malgré le fait qu'il ait évolué pendant longtemps au sein de la mouvance syndicale. Même avec cela, il n'était pas au niveau de gérer des relations avec les centrales syndicales et encore moins au niveau d'élaborer des projets de lois». Nous sommes bien loin de cette époque où les syndicats œuvraient presque en harmonie avec le gouvernement. Ce qui a donné par exemple un code du travail bien avancé par rapport au contexte de son élaboration. Une question d'hommes C'était à l'époque où Mustapha Mansouri dirigeait le ministère de l'emploi et des affaires sociales dans le gouvernement de Driss Jettou. «Je peux vous assurer qu'il y avait des divergences énormes entre les différents partenaires sociaux sur les termes de ce texte, mais le ministre a bien su diriger les négociations à tel point que le projet de loi a fini par être adopté à l'unanimité», se souvient le numéro 2 de la CDT. «Nous sommes loin de cet esprit», se désole-t-il. Pour preuve, «nous avons vu qu'à un certain moment, il a fallu l'intervention du ministre de l'intérieur pour sauver le dialogue social et conclure l'accord du 25 avril. Là encore je peux vous dire que si le ministre n'avait pas eu cet incident de santé et s'il avait mené les démarches jusqu'au bout, nous serions certainement, nous aussi à la CDT, parmi les signataires de cet accord». C'est pour dire que «ni le chef du gouvernement ni son ministre du travail de l'insertion professionnelle d'alors n'ont ce qu'on appelle la culture syndicale. Je ne crois pas que ce soit le cas pour l'actuel ministre», tranche-t-il. Pour les autres ministres, s'agissant bien sûr du dialogue sectoriel, malgré les tensions dans le secteur de l'enseignement, le ministère et les syndicats continuent à se réunir. Le dialogue n'est jamais interrompu. Pour ce qui est du ministère de la santé, jusque-là un département à problèmes, il était question d'une rencontre avec l'ancien ministre et les syndicats. Après son départ, les centrales syndicales sont dans l'attente d'une réunion avec son successeur. «Avec les autres ministres, rien ne se passe. Il n'y a aucun dialogue, en fait. Il faut noter toutefois quelques exceptions comme le ministère de l'agriculture avec qui nous nous retrouvons (nous les syndicats) régulièrement et avec lequel nous n'avons jamais eu de problèmes», souligne le secrétaire général adjoint de la CDT. Rappelons que dans l'accord du 25 avril, il a été question de lancer une déclinaison locale du dialogue social sous la houlette des commissions locales présidées par les walis et gouverneurs. Là encore, le ministère a adressé des circulaires en ce sens aux représentants de l'administration territoriale et il y a bien eu des rencontres au niveau de quelques régions. En d'autres termes, quand la volonté politique existe, il y a dialogue, que ce soit au niveau national, sectoriel ou local. Et, bien souvent, sauf exception, les choses ne dépassent jamais le stade du dialogue. [tabs] [tab title="Pour dialoguer, ce ne sont pas les occasions qui manquent" id=""]A travers le projet de Loi de finances déposé lundi 21 octobre au Parlement, le gouvernement compte poursuivre la mise en œuvre de l'accord du 25 avril dans sa partie financière. Or, le pacte social conclu entre les trois partenaires ne se réduit pas à la seule dimension de l'amélioration du pouvoir d'achat des fonctionnaires et salariés. Pour les syndicats et, bien sûr, les salariés, ce n'est jamais suffisant. Le risque de nouvelles tensions sociales n'est pas totalement écarté. C'est pour cette raison que les trois partenaires sociaux, le gouvernement, les syndicats et le patronat ont décidé de continuer à se rencontrer et à maintenir le dialogue ouvert. C'est justement pour cela qu'il a été décidé d'institutionnaliser le dialogue social et de renforcer des mécanismes de résolution de conflits. Pour ce faire, les partenaires sociaux se sont mis d'accord pour créer différents mécanismes permanents. Il s'agit, rappelons-le, de la Haute commission de consultation. Cette commission dans laquelle siègent le gouvernement avec les secrétaires généraux des centrales syndicales et le président de la CGEM se réunit à la demande du chef du gouvernement, à son initiative ou sur proposition de l'une des parties afin d'étudier les dossiers et les grandes orientations économiques et les décisions sociales à caractère national. Le deuxième mécanisme permanent est la commission nationale du dialogue social. Elle se réunira deux fois par an. Le premier round est programmé durant la période septembre-octobre pour la discussion des grandes orientations du projet de Loi de finances de l'année suivante. Le second round se tiendra en mars-avril pour évaluer et faire le suivi des résultats du dialogue social. Au niveau local, une commission régionale et provinciale du dialogue social a été instaurée dans chaque région et province. Celle-ci se réunira au moins deux fois par an sous la présidence du wali ou du gouverneur ou leurs représentants. Cette commission se compose des représentants des autorités régionales et provinciales, des représentants locaux des syndicats ainsi que de la CGEM. Elle a pour mission de résoudre les conflits du travail. Sur le plan sectoriel, une commission du secteur public est prévue. Elle étudiera les dossiers transversaux du secteur. De même, une commission similaire du secteur privé qui aura la charge de l'examen des dossiers des salariés du privé. En parallèle, il a été décidé de renforcer les mécanismes de médiation sociale pour le règlement des conflits du travail. Il est question en particulier des commissions provinciales de réconciliation. Les partenaires sociaux ont également convenu d'encourager la conclusion de conventions collectives sectorielles et renforcer le rôle de contrôle des inspecteurs du travail.[/tab] [/tabs]