Lors de cette troisième audience du procès d'Imlil, les 5 principaux accusés sont passés devant le juge. El Joud a reconnu son crime, dit l'avoir regretté et a énuméré ses références. Khayali a expliqué les raisons de son désistement. Hicham Nazih a contesté le PV de la police. D'autres détails d'un procès, qui va durer. Ce jeudi 30 mai 2019, deux semaines après la deuxième audience, le procès d'Imlil se poursuivait à l'annexe de la chambre criminelle, relevant de la cour d'appel de Rabat, se trouvant à Salé. Vers midi, la salle commençait à se remplir : avocats des parties, journalistes, tant des médias nationaux qu'étrangers – Danois et Norvégiens, en particulier, aidés par des traducteurs marocains – en l'absence des familles des accusés, sauf celle de l'Hispano-Suisse, Kevin Zoller, un des 24 poursuivis. Fait à noter : la présence prononcée des forces de l'ordre : agents de la DGSN et des forces auxiliaires, comparée aux précédentes audiences du procès. Figure du PAM, Abdellatif Ouahdi a été présent, en tant qu'avocat de l'Etat. A lire aussi : Meurtre d'Imlil : l'Etat marocain appelé au procès Comme lors de la dernière comparution, les accusés ont gardé, quasiment, la même disposition. Les quatre principaux : Abdessamad El Joud, Abderrahmane El Khayali, Youness Ouziad et Rachid Afati étaient au-devant de l'isoloir. Kevin Zoller, lui, ne comprenant pas l'arabe, a été déplacé en dehors de l'isoloir pour qu'un traducteur puisse l'aider. Ce qui fait suite à la demande de son avocat, Me Saad Sahli, lors de la précédente audience. Ce dernier a tenté de mettre en avant un vice de procédure : le fait que son client « n'était pas assisté par un traducteur, lors de l'enquête préliminaire ». Sans suite. Car, Khalid El Kardoudi, représentant du ministère public, a précisé que « même s'il ne comprend par l'arabe, l'enquêteur, lui, maîtrise la langue étrangère que parle Kevin Zoller, à savoir la langue française». Place, donc, au passage devant le juge, Abdellatif El Amrani, pour un interrogatoire, sur la base de l'enquête préliminaire et de l'instruction. Outre les quatre principaux accusés, Hicham Nazih s'est aussi présenté à la barre. El Joud regrette ! Il est le premier à avoir été appelé devant le juge, Abdessamad El joud a, tout d'abord, été interrogé sur ce qui l'a mené à son crime. En particulier, son incarcération, en 2014, pour avoir voulu rallier la Syrie, en vue de rejoindre les combattants de Daech. A la prison de Salé, où il avait purgé une peine de 13 mois, il dit « avoir rencontré des compagnons », avec qui il discutait de « jihad » et de « Hijra ». A lire aussi : Reportage : Le terrorisme frappe Imlil, le village a une seule de revenu : le tourisme Après avoir quitté la prison, en 2015, son projet continuait de l'habiter. Mais, il était dépourvu de son passeport. Ce qui l'a conduit à mentir, en déclarant l'avoir perdu, aux autorités. Son document avait été saisi. Pour « fausses-déclarations », il a été condamné à 3 mois de prison avec sursis, en 2016. C'est en cette année qu'il a fait la connaissance de Kevin Zoller, grâce à Abdelghani, un ami en commun. Ce dernier, selon Abdessamad El Joud, traduisait les conversations, puisqu'il ne maîtrise pas français. El Joud dit que l'unique projet de l'hispano-suisse était la Hijra, aux philippines. Et d'ajouter : « je ne m'attendais pas à des leçons de religion de lui. Je suis plus érudit ». Pour ce qui est de ses références, il énumère : « d'abord, le Coran, parce que c'est la parole de Dieu, ainsi que d'autres livres de la religion ». Alors que le temps passait, son projet, lui, ne s'usait pas. El Joud motive sa persistance par le fait que « les croisés bombardent des hôpitaux, où se trouvent des enfants et des femmes ». Interrogé par le juge sur ce qu'il pense, à présent, de Daech, il répond : « je suis l'actualité, je les aime et prie pour qu'ils soient victorieux ». S'il regrette son crime ? « Oui, je regrette. Que Dieu nous éclaire. Je cherche toujours à comprendre. J'ai besoin qu'on nous fasse comprendre », répond-t-il, incohérent, devant la stupéfaction de l'assistance. Si son crime lui garantit le paradis ? « Personne ne peut prétendre savoir. Seul Dieu en décide », répond-t-il, sèchement. Distribution des rôles Comme ils étaient nombreux à se rencontrer, les avis sur comment procéder pour « venger les musulmans », divergeaient. Ce qui fait que le passage à l'acte tardait à avoir lieu. « Un jour, nous avons, tous les quatre, décidé de passer à l'acte », raconte El Joud. Ainsi, les principaux accusés ont enregistré la vidéo, où ils prêtaient allégeance à Deach, dans le domicile de Khayali, le jeudi 13 décembre. Ce jour-là, les quatre principaux accusés se sont partagés les tâches : tandis que Ouziad et Khayali ont confectionné le drapeau de Daech, « El Joud et moi-même avons rédigé le texte d'allégeance », a reconnu Rachid Afati. Le lendemain, vendredi 14 décembre, ils se sont rendus à Toubkal à la recherche de proies : « des croisés, insiste El Joud, mais pas des Marocains ». Le samedi, Khayali a décidé d'abandonner les trois, pour revenir chez lui, en laissant son sabre à Rachid Afati. Le dimanche 16 décembre, jour du crime, « nous avons décidé de nous rendre à Chamharouch. Sur place, nous avons croisé les deux filles, qui étaient en train de descendre. Nous les avons vues, mais avons continué vers Chamharouch. En revenant, nous les avons perçues en train de préparer leurs tentes. Nous nous sommes installés, à quelques mètres d'elles, dans notre tente », raconte El Joud. Et d'enchainer : « nous avons réglé le réveil à minuit. Alors que nous étions dans la tente, nous avons entendu d'étranges voix, qui nous interpellaient. Mais nous nous sommes endormis ». Arrivé minuit, les trois se sont rendus vers la tente des deux touristes scandinaves. El Joud a décrit, dans le détail, la scène du crime, abjecte, que nous nous abstenons de décrire. Alors qu'il s'en est pris à la première victime, Youness Ouziad a décapité la deuxième dans sa propre tente, tandis que Rachid Afati, lui, s'est chargé de filmer, à l'aide d'un smartphone. La cavale Après avoir commis leur crime, les trois ont pris la fuite. Sur le lieu, El Joud a oublié sa carte d'identité nationale. « Nous avons marché à pieds jusqu'à Asni. Ensuite nous avons pris un taxi pour Marrakech », raconte-t-il. Le lendemain, lundi 17 décembre, en prenant le petit déjeuner, El Joud s'est chargé de publier la vidéo sur l'application Télégram. « Les frères ont fait l'effort de partager la vidéo sur Twitter et Facebook », reconnait El Joud. 2 jours après les faits, El Joud raconte avoir pris l'initiative de se rendre chez un compagnon, à l'extérieur de Marrakech, pour lui demander de l'argent mais aussi de quoi se nourrir. L'argent devait servir à un voyage vers le désert. Alors qu'ils revenaient, après avoir récupéré l'argent, ils ont été arrêtés au niveau d'un barrage de la police, à l'entrée de la ville. Sodea, une cible des trois Lors de leur passage devant le juge, Afati et El Joud ont reconnu, alors qu'ils étaient en fuite, avoir voulu mettre le feu dans une ferme. « Nous avons voulu mettre le feu, parce que la ferme appartient aux juifs », a répondu Abdessamad El Joud. Ce que confirme, pour sa part, Rachid Afati, qui était le quatrième à passer devant Abdellatif El Amrani. « Nous visions aussi les gendarmes », a avoué ce dernier, contrairement, à ce qu'a déclaré El Joud, se limitant à citer les « croisés ». Khayali abandonne mais ne dénonce pas « C'est en marchant, le samedi, que je me suis décidé à rentrer chez moi », a répondu Khayali au Juge. Interrogé sur le pourquoi de son désistement : « je me suis dit que ce que nous étions décidés de commettre est illégitime », a-t-il expliqué. Pourquoi, alors, n'a-t-il pas dénoncé les trois aux autorités, après avoir regagné son domicile ? . « J'avais peur qu'ils me fassent du mal. De plus, je croyais qu'ils allaient finir par revenir, sans rien faire », a expliqué Khayali qui, alors que Abdessamad El Joud répondait aux questions du président, était à côté de son cousin, impliqué parmi les 24 accusés, pour lui essuyer ses larmes. Cet ex-employé d'un établissement hôtelier à Gueliz a également reconnu avoir accueilli, plus d'une fois, ses complices dans son domicile, pour tenir des réunions. Hicham Nazih, ex codétenu d'El Joud Il est le seul à avoir contesté les éléments du PV de l'enquête préliminaire. « On ne m'a pas fait lire le PV », a-t-il insisté. Sauf que, Khalid El Kardoudi, représentant du ministère public, lui a signifié que les mêmes éléments, qu'il conteste, figurent dans le PV du juge d'instruction, en présence de son avocat. Classé 5ème sur la liste des accusés, Hicham Nazih avait rencontré El Joud, à la prison de Salé, alors qu'il purgeait une peine de 2 ans, pour une affaire de terrorisme. « A la prison, on discutait, avec d'autres compagnons », a-t-il répondu au président. Gérant une boutique à la place Jamaa El Fna, Hicham Nazih a fait savoir qu'il a recroisé, par « pur-hasard », un ex-compagnon, Said Nejjar. C'est ce dernier, selon lui, qui l'a mis en contact avec Abdessamad El Joud, son ancien codétenu. Il a reconnu avoir été en contact, virtuellement, avec une américaine. Avec cette américaine, il voulait partir en Syrie. Ce qui ne lui a pas été possible, à cause de son passif avec la justice. Tout en reconnaissant ce fait, Hicham Nazih a contesté que l'américaine soit aussi radicalisée que lui. Fin de la troisième audience, le juge a décidé que la prochaine sera tenue le 13 juin à 11H.