Les technologies de l'information ont fait exploser l'organisation classique du travail, en particulier dans les services. Le respect strict des horaires reste de rigueur dans les fonctions opérationnelles. Clarté des objectifs et système de mesure efficace des performances sont les garants de la productivité. Karim B., ingénieur télécoms chez un éditeur informatique, passe en revue avec beaucoup de concentration son planning de la semaine. «Lundi matin : séance de gym. L'après-midi, je reste chez moi pour avancer sur le dossier d'un client. Mardi matin : courte virée au bureau pour un briefing avec le boss puis retour à la maison…». Il sourit puis continue : «C'est vrai ! Depuis que j'ai intégré cette boîte, les horaires classiques ont volé en éclats. Je ne travaille que sur des missions. On ne me demande pas où j'étais, où je vais. Ma seule présence au bureau se limite à la réunion hebdomadaire». Idem pour Kamal M., dirigeant d'un cabinet conseil. Lui qui supervise une équipe de dix consultants s'interdit d'exiger de ses collaborateurs une présence au bureau. «Du moment qu'ils sont à l'extérieur, cela prouve que les affaires marchent. En plus, nous avons une règle dans l'équipe. Nous avons tous accès aux agendas des uns et des autres pour savoir qui travaille quand ; et l'on doit être joignable en cas d'urgence. A part ça, chacun s'organise comme il veut», poursuit-il. Ces cas ne sont pas isolés. De plus en plus de managers penchent pour cette nouvelle forme d'organisation du travail, encouragée par l'explosion des technologies de l'information. Avec l'internet et le PC portable, on peut envoyer ses reportings à n'importe quelle heure de la journée, où que l'on soit, recevoir du courrier, suivre en temps réel l'évolution d'un dossier… Le téléphone mobile permet d'être joignable partout et n'importe quand. Nous sommes dans un contexte où les organisations sont régulièrement remises en cause. Et la flexibilité occupe une place importante dans ce nouveau contexte ; elle est partout présente, qu'elle concerne les compétences ou la distribution du travail. Cette flexibilité est un nouveau choix de vie pour de nombreux salariés. Une sorte de «nomadisme professionnel», selon les spécialistes du management. Ils font valoir leurs propres priorités, se lient moins durablement à un seul employeur. Ils gèrent leur carrière et leur temps en toute autonomie. Certaines entreprises suivent cette tendance. Et comme dans beaucoup de domaines en matière de management, l'exemple nous vient des Etats-Unis. Ainsi, Best Buy, l'une des plus grosses chaînes américaines de magasins d'électronique grand public, qui emploie 4 000 salariés, a enclenché une révolution. Fini le temps des horaires classiques et la prime d'assiduité ! Et fini, tout simplement, le temps de travail… Elle ne s'intéresse plus qu'à la performance des salariés. Dans un programme mis en place et baptisé «Rowe» (results only work environment ou environnement de travail prenant en compte les seuls résultats), on retrouve ce type de recommandations : «Que les gens, à tous les niveaux, cessent toute activité qui représente un gaspillage de leur temps, de celui des clients ou de l'entreprise», ou encore «OK pour faire ses courses un mercredi matin, de voir un film un mardi après-midi ou de faire une sieste un jeudi matin». Le principe est d'être dans une logique de performance. Il n'y a plus «le travail à la maison» et «le travail au bureau», mais seulement le travail. Personne n'a jamais à donner une excuse ou à se justifier, du moment qu'il atteint ses objectifs. Dans le même pays, beaucoup de sociétés de la Silicon Valley partagent les mêmes principes. Les ingénieurs y disposent de leur temps comme ils veulent, mais doivent répondre présent à l'heure du bilan. De nombreux métiers ou activités se prêtent à cette forme d'organisation du travail. Un consultant ou un commercial, par exemple, n'ont rien à faire entre quatre murs, sauf pour rédiger un rapport. Dans la communication, dans les services informatiques, comme dans toute activité où la gestion par objectifs est privilégiée, l'organisation du temps devient de plus en plus individualisée, à quelques exceptions près. Pour Brahim Zriba, DG de Progress Partner, société opérant dans les nouvelles technologies, «la présence est obligatoire pour les employés du front office. C'est tout à fait normal car il y a des interlocuteurs externes qu'il faut satisfaire. Sinon, les consultants travaillent sur des missions. Leur présence n'est obligatoire qu'en cas d'urgence», souligne-t-il. Idem dans les ressources humaines où le DRH (dans le cas ou il gère des effectifs importants) est amené à être souvent sur le terrain. Le présentéisme est contre-productif Le débat sur la flexibilité du travail semble résolu pour ce genre de managers. Ce qui n'est pas le cas pour d'autres. Pour beaucoup d'entreprises de la place, la présence au bureau est indispensable, voire nécessaire. «Pour nombre de chefs d'entreprise et de managers, le contrôle du temps de travail est un élément central de leur pouvoir hiérarchique», souligne Abdelillah Sefrioui, consultant RH. Le contrôle comme outil de pouvoir est réel ; certains patrons en usent et en abusent. Cependant, et il faut bien le dire, toutes les fonctions ne peuvent se permettre la flexibilité du temps de travail. On imagine mal un préposé au guichet d'une banque, un trader d'une société de Bourse ou un chef de production se permettre une telle souplesse. Et pour cause, il y a un client à satisfaire durant des heures précises, des ordres à passer pendant une période déterminée et une ligne de production qui doit tourner. Pour ces métiers qui relèvent de l'opérationnel, le respect des horaires de travail est indispensable. Pour autant, le respect des horaires assure-t-il une productivité optimale ? Pas à tous les coups. Dans certains cas, il se transforme tout simplement en «présentéisme», ce qui d'ailleurs constitue une préoccupation majeure pour nombre d'entreprises. Sur la place, on ne dispose pas d'étude chiffrée sur la productivité ou le temps effectif de travail. Mais si l'on en croit la dernière étude d'un institut américain, le présentéisme serait un problème récurrent dans plus de la moitié des entreprises et coûterait aux employeurs la bagatelle de 180 milliards de dollars par an, en raison d'une productivité amoindrie. L'absentéisme coûterait en fait beaucoup moins cher que le présentéisme dans certains cas. Dans le cas de la chaîne américaine Best Buy, le résultat est inverse. Même si la quantité de travail est la même, le travail est plus efficace. La productivité des équipes ayant adopté le système mis en place a progressé de 33% en moyenne, et le turn-over entre divisions a diminué de 3,2%. Reste qu'une organisation parfaite du temps de travail est impossible. C'est un dosage subtil qu'il faut préserver. La présence est toujours nécessaire ne serait-ce que pour entretenir des relations avec son entourage professionnel, partager des expériences… Mais l'important est quand même de se focaliser sur la performance. «Un manager doit passer de la logique de présence obligatoire à la logique de la clarté des objectifs et à la mesure de la performance réelle», note M. Sefrioui.