L'humour permet de faire passer un message, améliore la communication, désamorce conflits et objections. Pour la vente ou le management, il peut s'avérer un excellent outil de persuasion. Si son impact très positif sur l'ambiance de travail et la productivité est prouvé, l'entreprise marocaine demeure réticente à l'intégrer à sa culture. Etymologiquement, le mot travail vient de «tripalium», mot latin désignant un instrument de torture constitué de trois pieux. A priori, rien de très drôle donc ! L'entreprise n'a d'ailleurs pas mission de faire rire. Elle est même un des terribles témoins de la tragédie humaine : à l'aube du IIe millénaire, et en attendant la fin du travail promise par les bonnes fées de la futurologie, l'homme, ce grand singe en costume, est encore et toujours contraint de trimer pour subsister… Alors, quelques entreprises ont pensé que de voir leurs salariés arriver du bon pied plutôt que de se présenter comme s'ils allaient à l'échafaud ne pouvait nuire ni à l'ambiance, ni à la productivité. Elles découvrent qu'on peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux et que le travail sera même de bien meilleure qualité lorsqu'il aura été fait avec plaisir plutôt que par obligation. Pourtant, «ces entreprises-là sont bien rares», regrette Fayçal, 48 ans, responsable communication. «Bien plus souvent, l'entreprise sanctionne l'humour, sans pouvoir d'ailleurs totalement l'empêcher. Le boss un peu coincé qui empêche l'humour devient d'ailleurs souvent une source inépuisable de plaisanteries. Empêcher l'humour, c'est simplement montrer aux collaborateurs que la vie de l'entreprise est une punition. Ce n'est pas vraiment la meilleure idée pour motiver les salariés !». Si la petite joke, le mot d'esprit, en début d'exposé ou de séminaire est quasiment une tradition chez les Anglo-saxons, voire une politesse, la France comme le Maroc se prennent encore beaucoup trop au sérieux. «L'humour a beaucoup de difficultés à entrer dans l'entreprise marocaine», constate Rolande Allène, coach à Casablanca. «Il semble décontenancer ses dirigeants et, pour eux, nuire à l'image de l'entreprise. Les plaisanteries sont en outre souvent incomprises ou perçues comme des attaques. Au nom du respect, un collaborateur sera très difficilement autorisé à plaisanter avec son patron… de même d'ailleurs qu'un fils avec son père. Et l'humour s'apprend dès l'enfance. Dans ce domaine, les Marocains sont un peu comme les Japonais». L'entreprise marocaine se prend-elle trop au sérieux? Est-ce à dire que l'humour ne pénètre jamais dans l'entreprise marocaine ? Evidemment non. Mais il sera rarement utilisé comme art de management. «J'essaie de m'en servir lors d'interventions. C'est souvent mal compris. Je dois expliquer et évidemment… c'est moins drôle !», poursuit Rolande Allène. «Dans le cadre d'un comité , à Casablanca, rassemblant le gouverneur, les présidents des plus grands groupes du Royaume, des réalisateurs, etc., nous avons été invités à rêver pour la ville. Sachant que seul 1,04% de ce qu'on dirait pourrait être réalisé. Une personne sur vingt s'est réellement permis de rêver ! Rêver, c'est aussi faire preuve d'humour. Et empêcher l'humour, c'est souvent brimer l'imagination». C'est sans doute pour cela que l'humour est souvent mieux accepté dans les secteurs où la créativité est le moteur même de l'entreprise. Dans les autres, la sinistrose semble de rigueur, s'imposant comme une nécessité pour conserver l'image de sérieux et éviter, côté salariés, la fitna qui fait tellement peur. La bonne humeur et le rire renforcent le système immunitaire Mais faut-il toujours être sérieux pour être crédible? La présentation des rapports annuels devra-t-elle être éternellement ennuyeuse à mourir ? Si quelques séminaires permettent de casser la sclérose de l'entreprise avec des séances de rire, des jeux de rôles, par exemple… ils restent encore au Maroc une exception. Quelques rares sociétés ont compris cependant le rôle pédagogique de l'humour. L'humoriste et comédien Saïd Naciri est ainsi fréquemment appelé à intervenir dans les entreprises. Car l'humour est bien plus qu'un ensemble de blagues qu'on échange entre collègues devant la machine à café ou sur le net. C'est un outil efficace de développement personnel, de productivité, de créativité. C'est aussi un outil extraordinaire de persuasion. Les professionnels de la vente le savent bien : les très bons vendeurs ont généralement le sens de l'humour. Probablement comme les bons politiques, les bons managers. L'humour et le rire rapprochent les personnes et servent la communication. Ils atténuent la structuration de l'entreprise en différents territoires : hiérarchie, fonctions, services. Pour Jean Christophe Barralis, consultant et coach à Déo Compétences (Casablanca), l'humour a sa place dans l'entreprise comme dans la vie en général. «Il génère des émotions de joie, est favorable au relâchement, à une détente créatrice d'énergie et vitale pour la motivation, l'endurance et l'approche de périodes de crise. Il détend et diminue le stress», explique-t-il. Le rire a même, pour ce coach, des effets bénéfiques sur tout le corps. «Il détend le corps des épaules jusqu'au bas du dos. Après une séance de rire, nous sommes créatifs, de bonne humeur, ouverts aux autres et extrêmement productifs !» L'«humour management» a fait ses preuves Selon des chercheurs, la bonne humeur et le rire renforcent même le système immunitaire, diminuent la tension artérielle, purifient le sang et régulent le rythme cardiaque. Ils réduisent en outre le risque d'insomnie, de dépression et de maladies générées directement ou indirectement par le stress. Autant d'avantages pour l'entreprise qui peut voir ainsi une diminution de l'absentéisme comme celui des accidents du travail. Aussi, en Europe, les «clubs du rire» se développent-ils, enseignant le moyen de rire mécaniquement pour un bien-être physique et une meilleure détente. Des «formations sur l'humour» sont aussi dispensées dans le cadre du développement personnel. On y apprend les effets positifs de l'humour et ses mécanismes. On peut y apprendre aussi à développer son humour, après avoir détecté son propre référentiel humoristique. L'humour a aussi une fonction sociale essentielle. Lorsque des membres d'un groupe rient de la même chose, ils développent un sentiment d'appartenance communautaire. L'humour devient alors vecteur de valeurs communes, de complicité. Au niveau relationnel, il réduit l'agressivité entre collègues. Il contribue à une meilleure convivialité, à un esprit d'équipe. Il améliore l'ambiance de travail sans pour autant pousser à la désinvolture. Il peut aussi servir de point de départ à une discussion plus sérieuse, sans dramatisation. Par exemple, et c'est peut-être une exception dans le microcosme des patrons de la place, cet ancien président de banque entamait toujours ses entretiens par une bonne blague pour mettre à l'aise ses interlocuteurs. Au Canada comme aux Etats-Unis, l'humour management a déjà séduit nombre d'entreprises qui l'utilisent par exemple pour accompagner les changements, souvent source d'interrogations et d'angoisse. Quelques entreprises françaises ont aussi adopté cette approche non conventionnelle. Au Maroc, le management traditionnel qui prévaut souvent dans l'entreprise tuerait-il tout sens de l'humour et de l'autodérision ? Quelques bienfaits de l'autodérision L'autodérision est une qualité aussi précieuse que rare. Rire de soi, c'est d'abord prendre du recul par rapport à ses réactions, ses émotions, ses croyances. C'est ainsi dédramatiser et être plus efficace dans ses actions. C'est aussi offrir moins de prise aux critiques extérieures et être plus à même d'accepter les remarques des autres. Rire de soi nous réconcilie avec nous-mêmes : nous nous acceptons avec nos qualités et nos défauts. Cela nous rend plus patients face aux défauts des autres. Les relations avec nos collègues et notre hiérarchie sont également facilitées. En ne nous prenant pas au sérieux, nous devenons plus sympathiques aux yeux des autres. Enfin, l'autodérision renforce notre optimisme et accroît notre créativité. Petits exercices pour ne pas se prendre trop au sérieux Le coaching donne quelquefois de drôles de conseils. Il en est ainsi concernant le développement du sens de l'humour. Quelques petits exercices pour ne jamais se prendre trop au sérieux. Forcez-vous à rire pour rien. Seul ou en groupe, partez dans de grands éclats de rire. Ce rire que vous pensez sans doute déplacé est en fait aussi bénéfique pour la santé que le rire spontané. Il favorisera d'ailleurs le déclenchement du rire spontané. Devenez ridicule. Seul, c'est plus facile au début. Prenez-vous pour une star, mimez, chantez. Devenez clown. Pratiquez également avec des amis ou en famille : racontez une situation où vous n'étiez pas du tout à votre avantage. Imaginez et visualisez des situations grotesques où vous vous trouvez et la manière d'en sortir avec humour. C'est très utile pour induire de nouveaux comportements. Remémorez-vous vos plus grands fous rires et ressentez-en tous leurs bienfaits. Caricaturez vos comportements et émotions. Lorsque vous vous surprenez à sermonner quelqu'un, ajoutez-en deux couches jusqu'à rendre votre discours totalement surréaliste. Si vous vous surprenez en train de vous plaindre, faites de même jusqu'à apparaître grotesque. Interloqué puis amusé, votre interlocuteur accédera plus facilement à votre demande. Osez avoir des propos absurdes, des comportements totalement décalés… dans le respect de votre interlocuteur. Votre vie deviendra plus légère et, paradoxalement, les gens vous écouteront plus attentivement Le rire, un outil de travail comme les autres ? L'humour donne des résultats surprenants dans l'entreprise. Il permet de : Améliorer nettement la communication entre personnes, augmente la réceptivité de l'auditoire. Fluidifier les relations professionnelles. La communication passe mieux entre les collaborateurs. Il permet aussi de casser les strates hiérarchiques. L'humour est en effet une façon de se rapprocher, de se mettre au même niveau que l'autre. Prendre de la distance et de dédramatiser tout en exprimant réellement des problèmes, en posant des questions. Améliorer l'ambiance générale de travail et donc la productivité. L'humour n'est pas synonyme de désorganisation. Il est au contraire un moyen de détente, indispensable dans une approche managériale moderne. Il augmente le plaisir de travailler, stimule la motivation comme la créativité. Désamorcer les conflits et éviter d'aller vers l'escalade ou au clash irréparable. Exprimer une critique par une petite phrase qui fera rire, une boutade, un mot d'esprit permet de faire passer un message sans blesser l'autre. Exprimer ses émotions. Frustration, jalousie, déception… communiquer ses expressions tout en les tournant en dérision peut être une façon de les évacuer. L'humour a cet avantage qu'il n'est pas pris au sérieux mais peut dire des choses très sérieuses. Gagner en sympathie. Faire rire reste le meilleur moyen de séduire et d'attirer la confiance des autres. Cela vaut dans la vie en général comme dans le milieu professionnel. Et si développer le sens de l'humour nécessite un peu de courage et de patience, nous avons tout à y gagner… comme notre entourage familial ou professionnel