Les annulations sont rares, et ne sont pas toutes motivées par la tragédie. Mais, la meilleure clientèle du trekking, la tranche de 60 ans et plus, risque de faire défaut sur le long terme. Décryptage. Le coup est dur, mais menace-t-il l'avenir de l'écotourisme, un des piliers de l'industrie touristique de la province d'Al-Haouz? La commune d'Imlil et ses 11.000 habitants n'en reviennent toujours pas, eux qui côtoient les touristes de diverses nationalités depuis un demi-siècle déjà. Leur grande majorité vit des rentrées générées par le trekking, pilier du tourisme de montagne. Leurs gîtes, auberges, riads et hôtels ne désemplissent pas de randonneurs qui y passent la nuit avant de se diriger vers le mont Toubkal, la vallée d'Ouirgane ou les villages berbères avoisinants. La question est de savoir si ce flux, qui a nourri le développement de l'axe Imlil-Toubkal-Asni-Ouirgane et les environs, risque de s'assécher à la suite de l'acte de barbarie perpétré il y a quelques jours? Etablissements touristiques : rien à signaler dans l'immédiat Les différents administrateurs d'établissements touristiques contactés par La Vie Eco, s'accordent à dire que, dans l'immédiat, les annulations sont rares, et ne sont pas toutes motivées par la tragédie. Par exemple, le gérant d'un riad qui a ouvert ses portes en septembre dernier nous déclare que quelques clients ont envoyés des emails pour annuler leurs réservations, « mais nous avons tout fait pour les convaincre de la maintenir et nous avons réussi dans certains cas ». Rachid Talaoune, gestionnaire du Riad Atlas 4 Seasons basé à Imlil, déclare pour sa part que «tout va normalement» pour le moment. « Au contraire, nous venons d'enregistrer des réservations pour janvier et février prochains. De même, ceux qui viendront passer Noël et la fin d'année ici ne se sont pas désistés», nous informe-t-il. Le milieu professionnel est choqué mais l'échange d'informations est continu. «D'après ce qui court, certains établissements ont reçu des demandes d'annulation, mais pas forcément liées au drame. Un confrère vient de m'informer que certains clients étaient bloqués à l'aéroport en Angleterre (le trafic aérien était suspendu à l'aéroport de Gatwick à Londres, survolé par des drones le 20 décembre) », rapporte Talaoune. En grande majorité, les touristes étrangers qui visitent la commune sont attirés par le tourisme de montagne. «Les randonneurs savent ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin. Ils sont bien équipés et sont familiers avec ce genre de topographies. Si quelque chose leur manque, ils la louent du centre d'Imlil (crampons, pieux, etc.). Nous leurs offrons même des gants ou des petites choses s'ils le réclament», explique le gérant d'un gite basé à Imlil en assurant que les propriétaires et gérants d'établissements touristiques veillent à satisfaire toutes les requêtes des touristes. «Nous prenons le soin d'assister ceux qui ne sont pas familiers de ce genre d'expéditions, de leur conseiller les endroits à visiter et ils font leurs choix en conséquence. Ils font des allers-retours entre la maison d'hôtes et les lieux environnants», développe-t-il. En somme, tous gardent l'optimisme et s'accordent à dire qu'il est difficile que la destination perde de son attractivité à la suite de ce drame. Preuve en sont les excellentes notes attribuées à ses établissements sur Tripadvisor, AirBnB et Booking.com. Selon les données recueillies sur ces plateformes mondiales, plusieurs réservations ont été effectuées dans des hôtels, riads et gîtes de la région dans les dernières 24 heures. Mohamed Belouad, guide touristique et membre du Conseil Provincial de Tourisme d'Al-Haouz, confirme leurs informations mais se réserve de dresser un constat dans l'immédiat. «D'après les données que je viens de recueillir de l'Association des maisons d'hôtes d'Al-Haouz, une majorité d'établissements affichent toujours complet pour la fin d'année. Certains hôtels réputés, surbookés, redirigent la nouvelle clientèle chez les collègues. Mis à part quelques régions comme Demnat, où il fait actuellement très froid, rien d'irrégulier à signaler», nous informe-t-il. Les efforts de promotion de la destination, sapés à jamais? Cependant, Belouad estime qu'«il faudra attendre un an, au minimum, avant d'évaluer concrètement l'impact de ce drame sur la région. L'image négative est là, et le temps doit passer pour que les gens l'oublient». Le risque s'accroît quand on sait que la meilleure clientèle du trekking est la tranche de 60 ans et plus, que Belouad évalue à plus de la moitié des marcheurs et randonneurs visitant la région d'Al-Haouz. Ils viennent généralement en petits groupes de 11 ou 12 personnes pour sillonner la région pendant des jours, voire deux ou trois semaines. «Je crains que cette catégorie soit très pointilleuse sur l'aspect sécuritaire. Par expérience, les jeunes ont la veine aventurière, mais les vieux… Ils préfèrent ne pas prendre de risque. Ils préfèrent être accompagnés depuis l'aéroport jusqu'au moment de leur départ». Mais le guide expérimenté appelle à relativiser, en évoquant que «des pays connus pour leur taux de crime élevé comme l'Afrique du Sud ou les Etats-Unis sont également des destinations touristiques de premier choix où afflue un nombre colossal de touristes. Généralement, ce ne sont que les lieux ou les établissements où les crimes se produisent qui sont blacklistés, et j'espère qu'Imlil et le tourisme de montagne local ne subiront pas le même sort». Abderrahim Bentbib, directeur du Conseil Régional du Tourisme (CRT) de Marrakech, est originaire d'Imlil, y a grandi et y fait toujours de la randonnée de temps à autre. Il rejoint l'appel de Belouad et des autres acteurs touristiques de la région à la relativisation. «Les grandes destinations touristiques comme New York, Paris, Londres ou Barcelone connaissent également leur lot de crimes à l'encontre des touristes, et cela n'affecte pas pour autant la dynamique touristique», constate-t-il. Le responsable compte ainsi sur l'impact laissé par la population locale chez les touristes au fil des décennies, ainsi que sur la maturité de ces derniers pour dépasser cette crise. «Ce sont des gens paisibles, accueillants, qui vivent avec les touristes depuis des décennies. Ils n'ont jamais vu, ni cru qu'un jour ils seront exposés à pareille atrocité. Mis à part les incidents relatifs à l'escalade de montagne, je n'ai en mémoire aucun crime grave qui se soit déroulé ici en 50 ans», témoigne-t-il. La région a bâti sa réputation sur le tourisme chez l'habitant, qui s'est développé petit à petit vers diverses formes d'accueil. «Un local vous invitera à partager son repas, sachant qu'il peut ne posséder que ce repas», s'étale Bentbib, se désolant que des éléments «étrangers à nos coutumes, habitudes et patrimoines puissent le souiller de la sorte». Cependant, selon lui, les craintes que les efforts de promotion de la destination soient sapées n'ont pas lieu d'être. «En matière de promotion de la destination et des activités similaires dans la région en général, ce qui est prévu et programmé sera fait. Marrakech enregistre des taux de croissance à deux chiffres depuis quelques années, et développe parallèlement des segments comme le golf, le bien-être, les activités en plein air. Pour ce qui est d'Al-Haouz, la région travaille sur des circuits thématiques. A Rehamna, Chichaoua ou même Kalaât Sraghna, la création de produits de niche va bon train. Chaque territoire est conscient qu'il dispose d'atouts à mettre en avant pour développer le tourisme durable».