Zakaria Rbii : «Aujourd'hui, on demande aux DRH d'être des leaders dans les changements». Pour Zakaria Rbii, président de l'Association des gestionnaires et formateurs du personnel (AGEF), les changements de paradigmes que connaissent les entreprises ne sont pas de tout repos pour les DRH eux-mêmes. Cependant, avec la prise de conscience des changements de ces paradigmes, du vrai rôle du DRH, et l'écoute régulière des attentes des paires et des collègues, le changement se fait plus facilement. Comment analysez-vous l'évolution de la fonction RH dans le monde et au Maroc depuis une décennie ? La fonction ressources humaines (RH) a connu de profondes mutations dans le monde pendant cette dernière décennie. Elle a été impactée par son rôle prépondérant dans la transformation des organisations, la guerre des talents, l'adaptation aux générations Y et Z et l'accélération de la digitalisation de la fonction elle-même. Au Maroc, cette tendance, même si elle est suivie avec quelques années de décalage, est réelle et a été initiée d'abord par les sociétés multinationales et les grandes sociétés nationales. Par contre dans les TPME, l'existence même d'une fonction RH est rare. Elle est très souvent portée par le dirigeant lui-même. La fonction RH est passée progressivement d'une fonction transactionnelle à une fonction stratégique et qui essaye de se focaliser sur les activités à forte valeur ajoutée pour l'entreprise. Digitalisation, génération zapping, télétravail, bien-être..., l'entreprise connaît des changements perpétuels, comment la fonction RH s'adapte-t-elle à ces nouvelles exigences ? Plusieurs entreprises ont pris des initiatives pour s'adapter à leurs nouvelles exigences. D'abord l'aménagement des espaces de travail. Proposer un cadre de vie séduisant peut sembler futile, mais de nombreux candidats sont attirés par de belles terrasses, des espaces de travail informels et des salles de réunion connectées. Puis l'aménagement des rythmes de travail, des horaires plus flexibles, du travail à distance et l'utilisation des technologies nouvelles qui permet en quelques clics de communiquer avec la hiérarchie, éditer des rapports d'analyse rapidement et passer moins d'heures au travail. Les dernières nouveautés sont que plusieurs grandes entreprises, dans un but de favoriser l'apprentissage intergénérationnel, ont mis en place le «Reverse mentoring» ou les «Comité de direction des jeunes». La première pratique permet aux dirigeants d'avoir un mentor qui n'est autre qu'un collaborateur de la génération Y ou Z. Les Comités de direction de jeunes permettent de bâtir des stratégies adaptées aux consommateurs génération Y et Z, et de remonter des feedbacks francs, et d'introduire une dose de digitalisation plus accrue. n Pensez-vous que nos DRH et RRH sont dans cette perspective ? Est-ce qu'ils évoluent avec leur temps ? Franchement, malgré les stéréotypes qui pour la plupart sont faux, les DRH marocains ont énormément évolué et suivent les tendances les plus modernes des pratiques RH. C'est aussi une fonction qui s'est beaucoup féminisée et rajeunie avec des profils de DRH et RRH formés dans des Masters RH au Maroc et ailleurs et qui ont été confrontés aux meilleures pratiques RH sur le terrain ; ce qui a permis à la fonction RH de se moderniser plus vite, d'accélérer sa propre transformation et sa capacité à suivre les nouvelles attentes de l'organisation et des collaborateurs. Le titre de «HR business partner», créé pour donner des gages de crédibilité, a-t-il du sens aujourd'hui ? Pour répondre aux nouveaux challenges, la fonction RH s'est organisée depuis quelques années en deux pôles: le pôle «HR Business Partners» pour plus de proximité avec les métiers et le pôle des «Centres de compétences RH» pour une meilleure maîtrise de l'expertise, le développement des systèmes et l'encadrement des politiques RH. Comme le DRH va de plus en plus être un «leader de transformation», les rôles vont être fusionnés et nous aurons besoin de profils RH qui soient des partenaires de proximité au même titre que des experts dans des domaines RH. La séparation des deux pôles RH va laisser place à une organisation par projets de transformation. Comment avez-vous vécu ces changements ? Je dis très souvent que si j'étais payé pour toutes les erreurs que j'ai commises, durant mes 25 ans dans la fonction RH, je serais un homme riche. Donc j'ai d'abord appris et j'apprends toujours de mes erreurs. Les changements de paradigmes sont aussi difficiles pour les DRH eux-mêmes.Mais la prise de conscience des changements de ces paradigmes, du vrai rôle du DRH et avec l'écoute régulière des attentes des paires et des collègues, le changement se fait plus facilement. En 27 ans de carrière, j'ai surtout eu la chance de faire partie d'entreprises qui sont des écoles en pratiques RH. J'ai aussi compris que les pratiques qui peuvent réussir dans une organisation peuvent ne pas l'être dans une autre. Leur succès dépend de la culture de l'entreprise, de l'importance que les dirigeants accordent à la fonction RH et enfin du temps que l'organisation peut prendre à accepter des concepts nouveaux en matière de transparence, de partage de la fonction RH par les métiers et de l'effort que les professionnels RH doivent déployer pour se faire. On parle de la disparition de la fonction RH. Qu'en pensez-vous ? Que ceux qui craignent que la fonction RH disparaisse dorment tranquilles. La raison en est simple, ce qui est demandé aujourd'hui et qui le sera demain à la fonction RH justifie son existence pour plusieurs décennies au moins. Aujourd'hui, on ne demande pas aux DRH d'accompagner le changement, on leur demande d'en être les leaders. Aujourd'hui c'est le DRH qui est le vrai bras droit du dirigeant et qui constitue avec lui le partenaire indispensable face aux décisions difficiles et courageuses sur lesquelles il faut aligner le reste de l'organisation. C'est au DRH que les organisations ont confié tous les sujets d'actualité pour accroître la performance durable. En plus de la transformation, le bien-être des collaborateurs, la gestion des attentes des nouvelles générations et la guerre des talents font le quotidien du DRH. L'arrivée à grands pas de l'industrie 4.0 va donner encore plus de travail et d'importance à la fonction RH. Les mauvaises anticipations de ce changement vont causer des réductions d'effectifs, des recrutements massifs de nouveaux profils et des usines de formation continue pour transformer les compétences des collaborateurs. Si avec cela on estime que la fonction RH doit disparaître, je ne sais pas qui va jouer ce rôle.