Quelques jours avant son adoption, les grandes lignes de la charte de la déconcentration se précisent. Le processus de décentralisation est abouti sur le plan législatif, en pratique beaucoup reste encore à faire. Bien qu'elles aient toujours été deux démarches distinctes, la déconcentration et la décentralisation ont fini par se rejoindre. Très attendue en ces moments, la charte de déconcentration se trouve en phase finale. C'est ce que vient d'affirmer le chef du gouvernement à l'occasion de sa visite, la troisième du genre, à la tête d'une forte délégation dans la région Fès-Meknès. «Ce genre de projets structurants sont de nature à réaliser un saut qualitatif dans la mise en œuvre de la régionalisation avancée», a-t-il notamment affirmé. La régionalisation avancée étant, rappelons-le, et de loin, le chantier le plus évolué du processus de la décentralisation, initié il y a presque un demi-siècle. Depuis des décennies, on parle donc de la décentralisation et, concomitamment, de la déconcentration, sans que ce dernier chantier ne soit vraiment avancé, faute justement de cette fameuse charte à l'élaboration de laquelle le Souverain ne cesse de presser le gouvernement depuis 2002. Un nouveau terme vient s'ajouter à ces deux concepts et qui est en vogue depuis quelques années, la subsidiarité. Ce sont certes des concepts différents, mais complémentaires. Le principe de la décentralisation a été notamment explicité, mais de manière indirecte, dans le discours royal du 20 Août 2015, dans lequel le Souverain a incité les citoyens-électeurs à faire une distinction nette entre les institutions. Ainsi, selon les termes de ce discours, «le gouvernement est responsable, sous l'autorité de son chef, d'assurer la mise en application des lois et d'élaborer les politiques publiques et les plans sectoriels dans les différents domaines». De même, l'Administration étant mise à sa disposition, «il est de son devoir d'améliorer les prestations administratives et de les rapprocher des citoyens». Le gouvernement n'est donc pas responsable de la qualité des services fournis par les conseils élus. D'une manière plus concrète, ce n'est pas le ministre qui est responsable de l'éclairage des quartiers, du raccordement des foyers aux réseaux électriques, des branchements de l'eau potable, ni de l'assainissement. Il n'est pas, non plus, responsable de la propreté des rues et des quartiers ni de veiller à la réfection des voiries dans les communes, ni de fournir les moyens de transport urbain. Walis, pouvoirs renforcés Ces services administratifs et sociaux dont le citoyen a besoin dans sa vie quotidienne relèvent des conseils élus locaux, principalement la commune et accessoirement la région et le conseil préfectoral ou provincial. Pour faire simple, quand on parle de la décentralisation, il s'agit de la gestion des affaires publiques. La déconcentration renvoie, elle, à la gestion administrative. Du point de vue fonctionnel, selon Abdellah Harsi, professeur de droit à l'Université de Fès, «la déconcentration vise à rapprocher l'Administration des administrés, la décentralisation a pour objectif de faire participer les habitants, à travers leurs représentants élus, à la gestion des affaires locales». Cela en partant du principe que des organes proches des citoyens sont plus à même de déterminer leurs besoins et de les satisfaire en connaissance de cause. «La déconcentration est un transfert des attributions de l'Administration centrale aux services régionaux des différents départements ministériels», explique pour sa part le chef du gouvernement. Pour Abdellah Harsi, «des rapports entre les deux modes d'organisation administrative s'est développée une certaine articulation organique et fonctionnelle, le tout pour une meilleure gouvernance locale». Dans les faits, le wali assure à la fois la coordination des politiques publiques et entre les services extérieurs au niveau de sa région et le contrôle administratif des actes des présidents et des conseils des régions. Le gouverneur qui se trouve un grade en dessous du wali est le principal représentant du pouvoir central au niveau provincial et préfectoral. Il est également le chef du réseau local des agents d'autorité. En même temps, il assure le contrôle administratif des communes et conseils préfectoraux et provinciaux. A un niveau plus bas, les pachas, les chefs de cercles et les caïds. Le ministère de l'intérieur est, à un certain niveau, sinon le service administratif, l'un de ces services, les plus déconcentrés. On notera en ce sens que des prérogatives ministérielles importantes ont été déléguées aux walis des régions, en application à la lettre royale adressée au Premier ministre le 9 janvier 2002, relative à la gestion déconcentrée de l'investissement. Il s'agit de prérogatives importantes relatives particulièrement à la gestion du domaine public et privé de l'Etat et des collectivités locales, au domaine forestier et à la classification des établissements hôteliers. Les nouvelles compétences des walis s'étendent également, depuis cette date, aux autorisations d'investissement dans le secteur minier, aux établissements classés, à l'approbation des marchés et conventions conclus par les collectivités locales dans la limite de 10 millions de DH, ainsi qu'au transfert des crédits au niveau des budgets des collectivités territoriales. Education, département précurseur Le ministère de l'éducation nationale est un autre exemple, entre autres, où le processus de déconcentration est très avancé. La Charte nationale de l'éducation-formation, mise en place en 1999, a, en effet, ouvert la voie à une déconcentration accrue des services de ce département. Les académies régionales de l'éducation et de la formation, AREF, réorganisées et érigées en autorités régionales en la matière, décentralisées et dotées de moyens humains et matériels pour exercer un nombre important d'attributions. Leur champ de compétences va de la gestion des ressources humaines, au niveau de la région, y compris le recrutement, la formation et l'évaluation, à la supervision de l'édition et de la documentation éducatives, en passant par la supervision des examens, l'élaboration des études et statistiques régionales, la supervision des projets de construction et d'équipement des institutions d'éducation et de formation, ainsi que la supervision du fonctionnement général de l'éducation et de la formation dans la région. C'est juste un exemple, favorisé d'ailleurs par la nature du domaine, mais qui est loin d'être généralisé à toutes les administrations. Or, le gouvernement veut aller plus loin, on parle actuellement d'une nouvelle vision de l'intervention de l'Etat, au niveau territorial, par les biais de ces services déconcentrés, sous la supervision et la coordination du représentant de l'Etat au niveau local que sont les walis et gouverneurs. Concrètement, le gouvernement veut clarifier le rôle des administrations centrales qui devront se limiter à la conception, la programmation, l'orientation, l'évaluation et le suivi de la performance des services déconcentrés, ainsi que la préparation des textes législatifs et réglementaires. C'est ce qu'on appelle le principe de subsidiarité. Il est également question d'harmoniser les politiques publiques au niveau régional, notamment par la programmation des projets interministériels. Les administrations provinciales s'acquitteront, dans ce cas, de la mission d'exécution de ces politiques publiques et de réalisation des projets et programmes, ainsi que l'assistance et l'appui technique au profit des collectivités territoriales. De même, il est de plus en plus question de la possibilité de regrouper les missions similaires, compatibles ou complémentaires, à travers la création de structures régionales fortes et en mesure de réaliser des projets régionaux exigeant l'implication de plusieurs services ministériels installés au même niveau territorial. Contrats-programmes en préparation D'une manière concrète, il sera question de rassembler un certain nombre de ministères au sein de pôles. Schématiquement, dans chaque région, il devrait y avoir trois pôles, un à caractère économique, un autre social et un troisième culturel. Cela devrait donner, en définitive, une administration régionale, chapeautée par un directeur et comprenant les services de plusieurs ministères. C'est un chantier dont la mise en œuvre «nécessite beaucoup de temps et surtout un travail pédagogique très important», insiste le chef du gouvernement. Cela d'autant qu'il nécessite un budget, des ressources humaines, des outils de travail et un programme d'action qu'il est difficile de mobiliser immédiatement. D'ailleurs, note-t-il, cela a pris des décennies à d'autres pays pour achever ce chantier alors que le Maroc est déterminé à atteindre un niveau respectable dans ce processus en seulement quelques années. L'Exécutif a, pour ainsi dire, du pain sur la planche. Ce qui complique encore la tâche c'est que malheureusement l'ancien gouvernement a complètement négligé cet aspect, corollaire de la décentralisation. En effet, le Maroc a accéléré la mise en œuvre du processus de régionalisation sous le mandat de Benkirane, mais sans toucher à la charte de déconcentration. L'ancien chef du gouvernement n'était certainement pas conscient que sans déconcentration administrative les régions ne disposent pas d'outils pour travailler et engager des programmes de développement sectoriels entre autres. Aujourd'hui, Saad-Eddine El Othmani et son équipe veulent aller encore plus loin dans les rapports entre le gouvernement et les régions. C'est ainsi qu'ils planchent actuellement sur un autre chantier, non moins important, qui consiste à élaborer des contrats-programmes entre la région et l'Etat et entre la région et le gouvernement. Ce projet qui est encore au stade de réflexion est de nature à donner une grande visibilité pour l'ensemble des acteurs concernés. In fine, ces efforts déployés en matière d'organisation des services qui se dirigent vers une mutation profonde de l'organisation des services de l'Etat au niveau territorial l'ont été dans l'objectif d'accompagner le chantier de la régionalisation qui fait de la décentralisation un outil efficace pour le développement économique et social. Notons qu'à ce niveau, le schéma est relativement clair. Les régions, tout comme les communes ou encore les collectivités intermédiaires que sont les conseils provinciaux et préfectoraux, disposent à la fois des attributions propres, d'autres transférées par l'Etat et d'autres encore transférées par ce dernier. Les nouvelles lois organiques adoptées en 2015 relatives à ces collectivités territoriales énoncent clairement le domaine d'évolution et le champ de compétences de chacune. Depuis cette date, chaque échelon territorial a gagné en autonomie et en pouvoir de décision sur ses affaires. C'est pour dire que l'architecture institutionnelle du Maroc est en pleine mutation, le Royaume s'est désormais entièrement engagé dans un projet de grande envergure, celui d'élaborer un modèle marocain en matière de décentralisation et de régionalisation. [tabs][tab title ="Un modèle en construction depuis des décennies"]Les premières divisions territoriales, et les suivantes d'ailleurs jusqu'à une date récente, ont été dictées par des considérations d'ordre sécuritaire et dans l'objectif de maintien de l'ordre. L'histoire nous apprendra que les textes instaurant la division territoriale coïncident avec des évènements majeurs qu'a connus le pays. On parle dans ce sens des divergences entre différentes tendances politiques qui ont engendré une situation d'insécurité au lendemain de l'Indépendance, des évènements de 1965 à Casablanca, ceux de 1970 dans certaines zones rurales (Moulay Bouazza, entre autres), puis à nouveau à Casablanca en 1981, dans plusieurs villes du nord en 1984 et enfin à Fès, notamment en 1990. En conséquence, le principal souci était au début de nature sécuritaire, ce n'est que plus tard qu'il a été question d'une nouvelle division territoriale de nature économique. Ainsi, il y a eu d'abord, à partir de 1959, la création des provinces et préfectures et vers 1971, la mise en place des régions économiques. Entre-temps la charte communale a été adoptée pour la première fois en 1960 (amendée en 1976, puis en 2002) et la charte provinciale et préfectorale en 1963. On n'a commencé à parler de régions, en tant que collectivités locales, que depuis 1992 mais leur organisation effective n'a commencé qu'en 1997 et ont connu un bond significatif avec l'adoption de la Constitution de 2011. Ce sont deux chantiers qui vont de pair au point que les spécialistes du droit public parlent d'une administration bicéphale. C'est ainsi que le dahir du 10 décembre 1959 relatif à la division administrative est promulgué. Texte fondamental toujours en vigueur, il a donné naissance à 16 provinces et deux préfectures. Depuis, toutes les modifications dont il a fait l'objet sont allées dans le sens d'un meilleur contrôle de l'espace et de la population, grâce à un mouvement de création et de suppression de provinces. La dernière modification étant la généralisation du système des wilayas (il n'y en avait qu'une au début, celle de Casablanca en 1981 et puis Rabat-Salé en 1984) après la création des régions en tant que collectivités locales. Actuellement, à chaque région correspond une wilaya, sauf la région de Tanger-Tétouan qui en comprend deux. En même temps, les provinces sont subdivisées dans le monde rural en cercles afin de rendre les représentants du pouvoir central (chefs de cercles) plus proches des administrés. Cela dit, le nouveau concept de l'autorité annoncé dans le discours royal du 12 octobre 1999, la lettre royale adressée au Premier ministre en 2000 et la mise en place de la régionalisation avancée, prévue par la Constitution de 2011, ont complètement rompu avec cette logique du tout-sécuritaire qui a prévalu des décennies auparavant.[/tab][/tabs]