Le chiffre d'affaires du secteur a atteint 2,3 milliards de DH pour 5,5 millions de tonnes collectées au titre de l'année 2017. Des opérateurs dénoncent des pratiques douteuses dans l'attribution des marchés. Les arriérés de paiement des communes s'élèvent à 1,4 milliard de DH. Le marché de la gestion déléguée du nettoiement et de la collecte des déchets continue de progresser. Jadis cantonnée dans les grandes villes du Royaume, elle s'est peu à peu généralisée depuis la signature du premier contrat décroché par Veolia à Hay Hassani à Casablanca en 1997. En fait, toutes les grandes villes du Royaume ont délégué le nettoiement et la collecte des déchets à l'exception de la ville d'Agadir qui continue de gérer directement ce service communal. Mehdia, Ain Atiq, Harbil (ville nouvelle de Tamansourt), Tamesna…, même les petites communes ou les centres urbains dans le monde rural font désormais appel aux délégataires. Ces derniers se divisent en deux grandes catégories : des opérateurs locaux comme Ozone, SOS NDD, Casa technique, Mecomar et des filiales de multinationales, à l'instar de Véolia, Suez, Pizzorno, Averda, Derichbourg et Tecmed. Croissance, oui, mais… Autre nouvelle tendance de ce marché, la montée en puissance des opérateurs locaux, à tel point que le leader actuel du marché, du moins en termes de nombre de contrats, n'est autre qu'Ozone. D'après les chiffres de l'Association marocaine des métiers de collecte et de nettoiement urbain (AMCN) -seul groupement professionnel des opérateurs de ce secteur-, le chiffre d'affaires du secteur est de 2,3 milliards de DH pour 5,5 millions de tonnes collectées au titre de l'année 2017. Quant aux emplois directs et aux populations desservies, ils s'élèvent respectivement à 30 000 postes et 16,7 millions d'habitants. Si tous les dirigeants des délégataires sondés par La Vie éco font état d'une croissance à deux chiffres durant les dernières années, peu d'entre eux sont satisfaits du modèle actuel de la gestion déléguée et pointent du doigt beaucoup de problématiques. Absence de transparence dans le processus d'attribution des marchés, déphasage entre l'offre financière et l'offre technique, mauvaise gouvernance des contrats, cumul des arriérés, incompétence des élus, cadre légal n'ayant jamais été mis à jour, climat social instable et incivisme des citoyens sont quelques-uns des maux qui, selon la profession, font que leur activité se porte mal malgré l'urbanisation galopante. «Le chiffre d'affaires du secteur progresse, le marché est là, mais de grandes problématiques de gouvernance persistent. Quand les multinationales ne répondent plus aux appels d'offres ou préfèrent plier bagage, c'est qu'il y a certainement un problème quelque part», commente, avec amertume, un dirigeant d'un groupe international. Le patron de SOS NDD et président de l'AMCN, Abdelwafi Said, abonde dans le même sens. Il n'y va pas par quatre chemins en pointant du doigt l'absence de transparence qui est selon lui «une problématique structurelle» dans ce marché. «Dès le départ, les sociétés marocaines étaient disqualifiées puisque le marché a été ouvert par des appels d'offres internationaux vers la fin des années 90. Au début des années 2000, les sociétés marocaines ont commencé à s'imposer après avoir consenti beaucoup d'efforts. La concurrence était acharnée mais loyale. A partir de 2008, tout a basculé avec l'entrée sur le marché d'un nouvel opérateur qui, sans expérience et en l'espace de quelques mois, a commencé à remporter les contrats en bradant les prix», s'insurge-t-il. Ozone est le leader du marché en nombre de contrats S'agissant des arriérés des communes, ils ont atteint, 1,4 milliard de DH, toujours selon les chiffres de l'AMCN. «Quand vous combinez la baisse des prix avec les arriérés de paiement qui s'accumulent depuis 2003, c'est la catastrophe. L'équilibre financier des opérateurs, en l'occurrence historiques, se trouve altéré», indique Abdelwafi Said. Aziz Badraoui, directeur général d'Ozone, s'inscrit -à l'évidence- en faux contre le jugement que porte, l'AMCN et ses membres sur le secteur, bien qu'il partage avec ses confrères certaines problématiques. «Ozone dispose d'un portefeuille de 44 contrats. En prenant en considération le départ de Sita de Casablanca, notre entreprise est actuellement le leader du marché en volume et en valeur. Nous avons récupéré plusieurs contrats pour la simple raison que nous offrons un bon rapport qualité/prix. Nous sommes également présents au Mali, au Sénégal et au Soudan où nous exportons le savoir-faire marocain», déclare le patron d'Ozone. Selon lui, la problématique des arriérés est à lier avec une mauvaise stratégie de recouvrement des opérateurs. «L'opérateur doit sensibiliser et encadrer les élus et les communes. Beaucoup d'entre eux croient à tort qu'ils seront subventionnés par l'Intérieur en omettant de budgétiser leurs dus. D'autres ont les moyens, mais n'ont pas parfois les compétences techniques pour exécuter les contrats», poursuit Aziz Badraoui. Toutefois, le patron d'Ozone reconnaît quelques problématiques ayant trait au climat social et à l'ambiguïté de certaines dispositions de la loi 54-05 régissant le secteur de la gestion déléguée. Quand nous l'interpellons sur son interprétation du recul des multinationales, il rétorque «que cela ne veut pas dire forcément que le secteur se porte mal». Et de conclure : «Les multinationales ont fait de bonnes affaires des années durant mais les temps ont changé. Nous avons construit l'expertise nécessaire pour les concurrencer. Moi-même j'ai participé à la gestion de nombre d'entre elles». Sur le plan social, le changement fréquent du statut des employés, en passant d'un délégataire à l'autre, ainsi que l'absence de convention collective font que le climat social est souvent tendu. L'incivisme d'une partie des citoyens complique la tâche aux délégataires. Selon la profession, la destruction ou le vol des bacs et des poubelles atteignent parfois 20%. «Les problématiques de la gestion déléguée ne concernent pas un seul contrat ou une seule société. Ça concerne la majorité des contrats et des sociétés. Elles sont d'ordre structurel», insiste Abdelwafi Said.