Les litiges liés à l'activité économique prennent le plus de temps à être tranchés. Principal facteur, le taux d'appels relativement haut : 10 à 20% selon les juridictions. Vers une réforme de l'organisation judiciaire pour un «appel voie d'achèvement». L'augmentation du nombre de juges ces dernières années n'a manifestement pas permis de régler la problématique des délais de jugement, jugés «trop longs» par le ministère de la justice lui-même. Dans une allocution devant le corps de la magistrature, Mustapha Ramid a intimé aux magistrats de «respecter le principe constitutionnel du délai raisonnable de jugement». Une directive qui devient de plus en plus urgente, notamment pour les opérateurs économiques. En effet, les litiges liés à l'activité économique, comme le droit du travail (400 jours d'attente en moyenne), les transactions immobilières (300 jours) et les difficultés d'entreprises (260 jours) sont ceux qui prennent le plus de temps à être tranchés. La pression économique confère au temps une valeur plus importante encore. Or, les modes d'évaluation des systèmes judiciaires ont fait apparaître la justice marocaine comme «passablement lente et inefficace», selon une étude des juristes de la Chambre de commerce internationale (CCI). L'un des principaux facteurs de lenteur de la Justice est celui des voies de recours. Si l'appel vise à garantir une décision juste, il implique un deuxième regard et donc un deuxième examen de l'affaire déjà soumise au premier juge. Cela suppose que le premier juge ait déjà fait un vrai premier examen de tous les éléments du dossier, faute de quoi ce n'est pas la même affaire que jugera le juge d'appel. Or, force est de constater que la deuxième instance est trop souvent le lieu où se juge réellement pour la première fois un édifice de faits qui n'a pas été entièrement soumis au premier juge ou qui, en raison du temps écoulé, a changé de nature. Il en résulte que le juge de deuxième instance n'est plus alors que très partiellement un véritable juge d'appel. Cela explique que le taux d'appels des décisions rendues par les juges du premier degré -tribunaux de première instance et tribunaux de commerce- est relativement élevé, de l'ordre de 10 à 20 % selon les juridictions. Ce taux est similaire à ceux des pays voisins (Algérie, Tunisie, Egypte), mais dépasse largement celui de la France (dont le taux d'appel ne dépasse pas 5% en moyenne par juridiction). Une des principales failles de l'économie marocaine Autant dire que les juges sont devant deux impératifs contradictoires : une logique traditionnelle, celle du double degré de juridiction faisant de l'appel une voie de réformation ; et une logique nouvelle, faisant de l'appel une voie d'achèvement du litige dans un souci de célérité et d'efficacité de la justice. Les juristes d'affaires proposent de faire de l'appel «une voie d'achèvement» lors de la prochaine réforme de l'organisation judiciaire. Plutôt que d'enfermer le contrôle de la Cour dans les limites de la première instance, le second degré de juridiction devrait être mis à profit pour mettre un terme au litige par la prise en compte de son évolution entre les deux instances. «La conception de l'appel en voie d'achèvement pourrait alors apparaître comme une solution de bon sens permettant de terminer plus sûrement les procès», explique Mohamed Mernissi, membre de la CCI et considéré comme le doyen des juristes d'affaires. Il ajoute cependant que cette conception a un effet pervers qui est «de dissoudre la fonction de la première instance, souvent considérée comme un galop d'essai et de transformer l'instance d'appel en une seconde "première instance"». De son côté, le ministère de la justice a montré beaucoup d'intérêt aux propositions des juristes d'affaires, puisque ce nouveau mode d'appel évite au justiciable de retourner en première instance pour saisir le juge de prétentions accessoires ou complémentaires. En outre, il contribue à l'amélioration de la qualité de la décision, puisque le juge d'appel dispose d'une vision globale du litige, qui englobe toutes les évolutions factuelles et juridiques depuis la première instance, ainsi que toutes les prétentions accessoires et complémentaires. A noter que dans le dernier rapport Doing Business concernant le Maroc, la justice, et plus précisément ses délais, sont considérés comme l'une des principales failles de l'économie marocaine. Les rapporteurs ont eux aussi pointé du doigt l'inutilité de la multiplication des voies de recours «empruntées au droit français». [tabs][tab title ="12 juges pour 100 000 habitants "]Le ministère de la justice affirme que le Maroc compte aujourd'hui un peu plus de 12 magistrats pour 100 000 habitants. Ce chiffre peut paraître modeste mais il est en fait en hausse de 14,4% selon la tutelle. Ils sont donc 4 166 juges à exercer actuellement dans les différents tribunaux du Royaume. «Le personnel judiciaire peut paraître réduit mais nous faisons en sorte qu'il bénéficie de la meilleure formation pour répondre aux besoins des justiciables», explique Mustapha Ramid. Ainsi, l'Exécutif affirme que la formation continue a été généralisée à tous les magistrats et greffiers de justice. Ce ne sont pas moins de 1 000 juges et 6 000 cadres administratifs qui bénéficient annuellement de la formation continue.[/tab][/tabs]