La comédie référendaire est terminée. Et la plupart de ceux qui se sont donnés la peine de faire le déplacement aux bureaux de vote ont voté en faveur de la Constitution, à une écrasante majorité, sachant que la plus grande partie de cette majorité n'a pas lu le texte, voire ignore même jusqu'au sens du mot « constitution ». Et ceux qui l'ont lu n'en ont pas véritablement saisi le contenu. Mais malgré cela, ils ont dit « oui », suite aux directives de l'autorité qui a mobilisé l'ensemble de ses moyens de communication, en plus de tous les services dont elle dispose, pour attirer les gens et les inciter à voter en faveur de… son nouveau projet. Et même ceux qui ont assimilé le contenu de la Constitution, qui est devenue la loi suprême du Maroc d'aujourd'hui, ont saisi qu'il reste encore des années-lumière entre le Maroc et la démocratie, et malgré cela ils ont voté « oui », par conviction ou par intérêt ou parce qu'ils ont compris que, au regard des contraintes de ce moment historique, il était impossible de faire… mieux. Qu'est-ce qui a changé, en réalité ? Commençons par les moyens officiels d'information. Ils restent soumis, officiellement, au contrôle et à la volonté de l'autorité. Elle les dirige et s'en sert pour ses besoins politiques. Et les responsables de ces structures que leurs propres fonctionnaires incitaient, avant le reste de la population, à partir sont toujours là, et le resteront… Pire, on a nommé dernièrement à la tête de l'agence officielle d'informations une personne connue pour sa défense inconditionnelle des approches sécuritaires dans la gestion des affaires médiatiques. Et depuis que l'Etat s'est assuré du « oui » à son nouveau projet, on n'entend plus de voix discordante dans ses canaux d'information officiels ou officieux. De même que l'on n'évoque plus dans ses supports, écrits soient-ils ou audiovisuels, les informations sur les manifestations hebdomadaires revendiquant de vraies réformes politiques. Quant aux talk-shows des télévisons publiques, ils n'invitent plus que les mêmes têtes qui ruminent inlassablement la même langue de bois qui a épuisé les téléspectateurs. Et le nouveau mot magique de cette langue est « matérialisation » ou « concrétisation » de la nouvelle constitution. Chaque intervenant demande la concrétisation et la matérialisation des dispositions de la constitution, pensant faire par là acte de bravoure exceptionnelle. Comme si un miracle allait intervenir avec cette matérialisation. Alors qu'en réalité, il ne s'agit que d'un nouveau vocable dans cette langue de bois que maîtrisent toujours les mêmes, ceux-là qui meublent encore et toujours les écrans télés et les accablent de mots qui ne changent rien à la réalité du vécu du peuple. Mais de l'autre côté, celui des coulisses, celui où les « consultations secrètes » se tiennent pour la matérialisation des dispositions constitutionnelles, rien ne garantit que demain sera mieux qu'hier. Le ministère est revenu à ses anciens réflexes, avec les mêmes personnages - après avoir éliminé ceux qui le gênaient - pour recueillir leur avis, comme l'a annoncé Khalid Naciri, la langue de bois gouvernementale, sur le calendrier des prochaines élections, dont la date a d'ores et déjà été arrêtée. Et celui qui lira le communiqué du PJD, qui refuse la politique du fait accompli que l'Intérieur souhaite imposer aux partis politiques, celui-là comprendra à quel point de déception est arrivé ce parti qui a, selon le même communiqué, œuvré pour affronter le 20 février et appeler à voter en faveur de la Constitution ; et le voilà aujourd'hui qui met en garde l'autorité qui a été son alliée que la catastrophe est imminente et qu'elle emportera tout sur son passage ! Ainsi parlent les amis de Benkirane… mais un peu tard, tout de même. Et c'est dans le mépris le plus total pour cette opinion publique qui a été embrigadée par l'Etat pour voter en faveur de sa constitution, que les partis et les structures de l'Etat viennent aujourd'hui parler des coalitions politiques dont chacun sait comment elles sont « mijotées » dans les bureaux clos du ministère de l'Intérieur, et à des conditions que personne, en revanche, ne connaît. Et souvent ces rapprochements sont imposés aux officines politiques dont on n'entend parler que durant les campagnes électorales. Quant à la rue, elle connaît toujours la même situation tendue, et cette tension est régulièrement alimentée par les autorités, certains de ses partis et certaines de ses associations qui incitent chaque semaine ceux qu'ils qualifient comme leurs partisans à sortir à la même heure et aux mêmes endroits pour provoquer les autres qui demandent le changement. Et à chaque fois, le risque d'embrasement s'approche un peu plus. La tension et la crispation objectives sont créées par les conditions de vie de la grande majorité de la population, et elles sont exacerbées par ces politiques qui continuent de faire dans le clientélisme et le favoritisme pour honorer les différentes échéances. Nous en avons vu le résultat à Khouribga et à Youssoufia. Et même les anciens prisonniers de guerre au Sahara qui ont passé un quart de siècle dans les camps de Lahmada, n'échappent pas à cette règle discriminatoire, eux qui se retrouvent oubliés et marginalisés, sous les regards des passants, pendant qu'ils observent depuis 50 jours déjà un sit-in devant le parlement dont les « honorables membres » qui le hantent enchaînent les réunions nuits et jours pour faire adopter des lois qui feront bénéficier leurs descendances après leur mort de leurs indemnités parlementaires. Quant à tous ceux dont les protestataires brandissaient les portraits, ils sont toujours rivés à leurs postes, dans une sorte de défi lancé à tous ceux qui se sont usés à réclamer leur départ… depuis plus de quatre mois. Et même le centre secret de détention de Temara, qui vient d'organiser sous la pression de la rue « des journées portes ouvertes », au cours d'une opération de marketing et de communication, a sitôt fait de refermer les portes de… ses cellules, dans l'attente qu'un autre supplicié vienne surprendre, choquer et indigner ceux qui auront cru que le bourreau s'était repenti et amendé. Un jour viendra où la vérité jaillira, et où les gens comprendront alors, comme c'est arrivé aujourd'hui au PJD, que rien n'aura changé... Et en attendant que ce jour arrive, il faut continuer de réclamer le changement avec un seul cri : le changement d'abord !