Dans la région de Ouarzazate, au Maroc, 4600 personnes refusent de rembourser les prêts des organismes de micro-crédits, réclament l'audit de ces institutions et leur convocation devant les tribunaux. ATTAC/CADTM Maroc a rejoint ce mouvement populaire et fait de son combat contre ces crédits de la honte l'un de ses axes de lutte. Les analyses et témoignages de Mina Amzil, Fatimazahra Elbelghiti et Rabia Elhouari (ATTAC/CADTM Maroc) démontrent encore une fois à quel point le micro-crédit se nourrit de la pauvreté des femmes et l'accentue jusqu'à mettre en danger leur santé physique et mentale, fonctionne main dans la main avec la Banque mondiale et constitue l'une des multiples facettes de la gestion néolibérale de la dette. Face à quels enjeux, à quelles réalités, le mouvement des victimes des micro-crédits de la région de Ouarzazate est-il né ? La crise du secteur du tourisme de masse associé à celle de l'industrie du cinéma, qui tous deux employaient beaucoup de femmes, n'a fait qu'accroître le taux de pauvreté déjà fort élevé de la ville (les femmes y gagnent moins de 20€ par semaine). Pour assurer la survie de leurs familles, beaucoup de femmes ont dès lors contracté des micro-crédits, ignorant leurs retombées catastrophiques. Si au moment de la signature des contrats, le taux indiqué est de 2% avec les échéances, sans qu'on communique aux contractant-e-s nullement l'information, les taux grimpent allègrement jusqu'à atteindre entre 45 à 300% ! Souvent analphabètes, les femmes ne peuvent lire les clauses des prêts d'autant plus qu'on les presse d'aller les légaliser très rapidement devant les autorités locales, ce qui les empêche de demander une aide pour comprendre les conditionnalités des contrats qui vont les lier. Ne parvenant rapidement plus à faire face aux échéances, nombre d'entre elles ont dû contracter de nouveaux micro-crédits pour rembourser les précédents et sont ainsi entrées dans la sphère infernale du surendettement. Sous l'impulsion de deux femmes issues du mouvement du 20 février, les personnes assujetties aux taux usuriers des organismes de micro-crédit se sont mobilisées et ont créé le mouvement des victimes des micro-crédits qui refuse de rembourser ces prêts odieux et compte bien attaquer en justice les institutions de micro-crédit. Quelles analyses faites-vous des liens entre micro-crédit et dette publique ? Les plans d'ajustement structurel ont au Maroc, comme partout ailleurs, détruit l'Etat social (santé, enseignement, infrastructures, structures sociales collectives, etc.), ce qui s'est instantanément traduit par une augmentation sans précédent de la pauvreté des femmes marocaines. A la solde de la Banque mondiale, se présentant comme une alternative à la pauvreté et un tremplin pour fonder sa propre petite entreprise, les organismes de micro-crédit ont profité de cette précarisation généralisée pour passer à l'offensive. Avant de contracter un micro-crédit, les femmes avaient des biens, une certaine sécurité... mais ne parvenant plus à payer en monnaie sonnante et trébuchante les remboursements, les institutions de micro-crédit n'hésitent pas à saisir tout ce qui leur appartient, autant leur bétail que leurs meubles, leurs bijoux et même leurs vêtements, gonflant ainsi leur profit au prix du dénuement total de leurs « client-e-s ». Si les prêts des agences de micro-crédits atteignent actuellement au Maroc 40 milliards de dirhams, les retours sur les intérêts s'élèvent quant à eux à 54 milliards de dirhams. Les pauvres ont ainsi payé comme intérêts 14 milliards de dirham, bénéfices nets pour ces organismes. Alors que les banques fournissent des liquidités aux institutions de micro-crédit à un taux de 5%, ces institutions en prêtant aux pauvres à des taux largement supérieurs s'enrichissent grassement et de manière éhontée sur leur dos. Pourquoi les femmes sont-elles les premières victimes des institutions de micro-crédit ? Quels sont les impacts de ces prêts sur leur vie au quotidien ? Comme ces institutions de micro-crédit visent les pauvres et que les femmes en forment la majorité, ce sont elles qui sont majoritairement en première ligne de mire de ces organismes. Puisqu'au Maroc, ce sont les femmes qui gèrent le foyer, ces agences s'adressent en toute priorité à elles. De plus, selon un stéréotype bien répandu, les femmes sont présumées être plus dociles et dès lors, plus sensibles aux diverses pressions. Les agences de micro-crédit présupposent qu'elles rembourseront d'office et ce malgré tous les sacrifices qu'elles devront faire pour y parvenir. De fait, malheureusement, beaucoup de femmes n'ont pas d'autre issue que de vendre leur dignité, que de se prostituer, pour rembourser, d'autres entrent en mendicité, ce qui implique au Maroc qu'elles doivent quitter leur maison, leur quartier, leur ville, leur famille et leurs proches... Sous la pression psychologique des employés de ces institutions, qui n'hésitent pas à adopter des pratiques illégales allant jusqu'à se faire passer pour des policiers et venir exiger avec bruit, fracas et menaces les remboursements jusque sur les pas de portes des maisons des victimes des micro-crédits, certaines femmes avortent ou doivent déscolariser leurs filles pour les faire travailler comme domestiques afin qu'elles aident au remboursement des prêts. Quelles sont les synergies entre le mouvement des victimes des micro-crédits et ATTAC/CADTM Maroc ? A l'occasion du 8 mars 2012, ATTAC/CADTM Maroc s'est joint à ce mouvement populaire via l'organisation d'une Caravane de solidarité qui a permis à ses militantes de rencontrer les femmes victimes des micro-crédits de Ouarzazate, de comprendre ce qu'elles vivaient, de les renforcer et de visibiliser leurs luttes et expériences au niveau du pays mais aussi à l'international. Des vidéos ont été réalisées et des pétitions en soutien aux leaders du mouvement menacés par la justice ont été diffusées notamment lors du FSM de Tunis. Le 8 mars de cette année, les militantes d'ATTAC/CADTM Maroc ont à nouveau été à la rencontre des femmes de Ouarzazate. Lors de plusieurs ateliers du FSM, elles ont témoigné de leurs luttes et ont fait connaître la dynamique et les perspectives du mouvement. Souvent les militantes d'ATTAC/CADTM Maroc donnent des formations sur les réalités des femmes victimes des micro-crédits dans des universités et ont publié des articles dénonçant ce phénomène qui détruit toute émancipation des femmes. Comment le réseau international du CADTM peut-il soutenir les luttes de ces femmes ? D'une même voix, Rabia, Mina et Fatimazahra appellent le réseau international et sa Coordination des luttes féministes à se solidariser où qu'il se trouve avec le mouvement des femmes en lutte contre les institutions de micro-crédit, à inclure le micro-crédit comme une composante de la dette odieuse et à le prendre en considération lorsqu'il entame des processus d'audit citoyen partout dans le monde. Suite à cet appel, le CADTM Afrique a volontairement décidé de tenir son Séminaire de renforcement des capacités des femmes sur la dette et l'audit de 2014 au Maroc dans la région de Ouarzazate. Cette activité sera le point de départ d'une Caravane dans la région pour témoigner des luttes des femmes de Ouarzazate, sensibiliser les populations aux dangers des micro-crédits et fédérer les luttes existantes. Déjà, à la fin de l'Assemblée mondiale du réseau international CADTM |1|, Emilie Atchaka du Cercle d'Autopromotion pour le Développement Durable (CADD) au Bénin prenait le bus pour Ouarzazate afin d'y rencontrer les militant-e-s du mouvement des victimes du micro-crédit, partager avec eux son expérience de crédit mutuel autogéré par les femmes, alternative concrète au micro-crédit, et renforcer ainsi les synergies. Par Christine Vanden Daelen sur le CADTM Notes |1| L'Assemblée mondiale du CADTM s'est tenue du 19 au 22 mai à Bouznika au Maroc. Lire « Assemblée mondiale du CADTM sous le signe du partage et des luttes », http://cadtm.org/Assemblee-mondiale...