Barack Obama n'avait pas encore tourné les talons au point de presse qui avait conclu la réunion de son cabinet de crise, consacré à la Syrie, que Sergueï Lavrov, le Ministre russe des affaires étrangères l'interpellait sarcastique, par médias interposés, sur ce qu'il entendait par aide militaire aux rebelles syriens. Si le ministre russe s'est permis autant d'ironie, c'est pour rappeler que l'administration américaine s'était déjà fourvoyée en mensonges, à propos des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein. En coulisses, les diplomates russes en font des gorges chaudes et se gaussent du Président américain, rappelant le parallèle avec un Georges Bush fils et son propagandiste improvisé du moment, Colin Powell agitant, sans crainte du ridicule, une fiole d'Anthrax en plein Conseil de sécurité de l'ONU le 5 février 2003. Bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis, et Sergueï Lavrov n'ignore pas à quel point son pays tient à présent, le couteau par le manche. Et le temps qui passe augmente les chances de voir se renforcer, chaque jour un peu plus, le pouvoir du Président syrien. L'entrée en guerre du Hezbollah, aux côtés des troupes régulières syriennes et la prise de Qusaïr, en sont la preuve. Plus personne ne songe désormais, à poser comme préalable aux négociations de paix, le départ d'Assad. Pire, il est question que le parrain iranien impose sa présence, aux pourparlers de « Genève 2 », qui se dérouleront au Palais des Nations de la Cité de Calvin, le 25 juin prochain. Il est également question que l'Arabie Saoudite, bailleur de fonds des jihadistes de tous bords, vienne également mettre ses grands pieds, sous la table de conférence. On le voit, le monde se trouve confronté à une situation qui rappelle ces conférences de la dernière chance, avant l'apocalypse. Genève n'est pas Munich, bien que Bachar El Assad n'ait plus rien à envier à Hitler, mais à la conférence de Munich, un dictateur moustachu, parrainé par son complice italien, fort en gueule, avait réussi à imposer son diktat aux démocraties européennes. Dans leur quête éperdue, pour une paix honorable, celles-ci eurent tout de même droit à la guerre, après avoir renoncé à tout honneur, ce 29 septembre 1938. A Washington, Paris ou Londres, on sent que le coeur n'y est plus. Pour avoir laissé filer une chance de se débarrasser du régime Assad, aux premières heures de la révolution syrienne, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, ont raté le coche. Le régime n'en était pourtant pas à son coup d'essai. A Hama, Hafez el-Assad, le père de Bachar avait réprimé dans le sang le soulèvement de la ville, en février 1982. Au plus bas mot, la reprise en main avait, alors, fait dix mille (10 000) morts, le Conseil syrien des droits de l'homme, avait évoqué le chiffre de quarante mille (40 000). Ce qui avait commencé en février 2011, à Damas, comme une fronde d'écoliers, séchant les cours et taguant les murs de leur établissement, des mots de liberté, s'est transformé en abomination qui a emporté près de cent mille personnes, dont une majorité d'innocents. Les syriens étaient en droit d'attendre de la communauté internationale qu'elle les protégeât, dés les premières heures, lorsque la répression féroce s'en était prise aux lycéens, sous la forme d'arrestations et de tortures moyenâgeuses. Au lieu de quoi, celle-ci s'est contentée de rhétoriques creuses sur le danger d'armer les rebelles, ou sur la prétendue ligne rouge décrétée en Août 2012 par Barack Obama, alerté sur des déplacements suspects de stocks d'armes chimiques, par les troupes syriennes. Le président savait pourtant tout, de l'ampleur des monstruosités qu'accomplissaient le régime syrien sur les siens. A présent, tout porte à croire que la situation menace, à tout moment, d'échapper à tout contrôle, pour dégénérer en conflit régional. En effet, samedi, le Président Morsi est apparu, à la télévision visiblement courroucé et remonté contre le régime syrien. Il a annoncé que son pays rompait toutes relations diplomatiques avec Damas, et décidait la fermeture de l'ambassade syrienne au Caire et le rappel de son chargé d'affaires en Syrie. Le jeudi précédent, lors de la "Conférence islamique de soutien à la Révolution syrienne : ensemble jusqu'à la victoire", qui s'est tenue dans la capitale égyptienne, des Oulémas et des clercs musulmans avaient, dans des discours d'une rare violence, appelé leurs coreligionnaires du monde entier, à mener le « Jihad », la lutte sainte, contre la Syrie, l'Iran et le Hezbollah réunis. Enfin, ce dimanche, selon des informations concordantes, Téhéran aurait levé un corps expéditionnaire iranien, fort de quatre mille (4000) hommes, qu'elle met à la disposition de Damas, pour la défendre, en cas d'attaque Israélienne. Si l'on ajoute à toutes ces gesticulations et ces bruits de bottes, les assassinats des dernières heures et les escarmouches confessionnelles qui ont endeuillé le Liban voisin et la mobilisation de Tsahal, au nord d'Israël, on peut légitimement s'attendre au pire, dans les semaines à venir. Barack Obama le sait. Sa marge de manoeuvre se rétrécit de jour en jour. Il en est réduit à solliciter une conférence internationale sur la Syrie, côte à côte avec la Russie, comme on quémanderait une sortie honorable, histoire de sauver la face. Mais se résigner à négocier à la même table que Bachar El Assad remettrait ce dernier en selle, triomphalement et entacherait le second mandat du Président américain, d'un camouflet insupportable. Les alliés occidentaux perdraient à Genève, toute crédibilité, car après avoir crié à l'assassin, ils devront s'obliger à toutes sortes de concessions à l'axe Damas-Moscou-Pékin-Téhéran qui en ressortirait renforcé, au plus grand péril de la poudrière Moyen-orientale. Pas sûr que l'Etat hébreux apprécie un tel scénario. Tout porte donc à croire que les négociations de Genève sont vouées à l'échec, si elles n'étaient pas simplement reportées sine die. Reste la question de la livraison des armes. Une initiative qui aurait du intervenir bien plus tôt, alors que les défections se comptaient par centaines, dans les rangs des forces syriennes et que les jihadistes et les mercenaires du Pétro-wahhabisme n'avaient pas encore contaminé le champ de bataille, de leurs insupportables exactions. Après avoir repris Qussair, la coalition pro-Assad se trouve aux portes d'Alep où sont retranchés les rebelles. C'est là que se jouera le sort de la Syrie, ces prochains jours. Sans armes anti-aériennes, et anti-chars, les adversaires du régime syrien n'ont aucune chance d'éviter une réédition de la défaite de Qussair et son cortège d'horreur. L'âne du parti démocrate américain pourra donc braire autant qu'il voudra, les tergiversations américaines lui ont coupé ses belles oreilles. Sans elles, il ne ressemble plus tout à fait au joli baudet qu'on nous avait promis. Salah Elayoubi