Ni la réunion des ministres des Finances du G7, tenue à Washington, ni le «dialogue» entre pays consommateurs et pays producteurs, organisé du 22 au 25 avril à Doha, dans le cadre du «10ème Forum International de l'Energie (IEF)», n'ont permis d'atténuer les menaces qui pèsent sur le marché pétrolier. En attendant une accalmie qui est loin de se réaliser, les pays arabes pauvres révisent leurs déficits budgétaires à la hausse, alors que les riches craignent une guerre régionale qui pompera tous leurs excédents. Quelles que soient les déclarations des responsables et des experts en matière d'énergie, ce qui est certain, c'est que les tensions politiques sont à l'origine de la flambée des prix du brut. En d'autres termes, ce sont elles qui mènent la danse. Dans ce contexte, force est de constater que les éléments haussiers sont aussi bien multiples que différents. Ils sont, d'ailleurs, pour l'essentiel, de nature politique avec la trilogie «Iran-Nigeria-Irak». Ils comprennent, cependant, des facteurs spécifiquement pétroliers, notamment les inquiétudes sur la capacité de l'industrie américaine de raffinage à approvisionner son marché local dans les prochains mois. Dans ce climat trop chargé qui affecte de plus en plus l'économie mondiale, les participants aux réunions du G7, tout comme ceux du 10ème forum de Doha, n'ont pu trouver les issues adéquates pour freiner une flambée qui a tendance à persister pour se répercuter négativement sur les pays pauvres. L'appel du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à l'OPEP afin d'accorder des prix préférentiels à ces derniers est resté lettre morte. Toutes les discussions engagées lors de ces deux manifestations citées insistaient sur les investissements dans l'exploration, la production, les infrastructures énergétiques et les capacités de raffinage. On demande aussi aux pays producteurs d'assurer un environnement ouvert et sûr aux investissements pétroliers. En d'autres termes, garantir, en toute sécurité, l'afflux permanent du pétrole sur les marchés occidentaux dans les meilleures conditions, quels que soient les prix. Pour ce qui est des pays non producteurs qui devraient supporter cette flambée au détriment de leur développement socio-économique, aucun des 68 ministres, des 8 présidents des institutions internationales, des 40 directeurs exécutifs des plus grandes compagnies d'énergie du monde, présents à Doha, n'a consacré un seul passage dans son allocution ou s'est attardé au moins quelques minutes pour tirer la sonnette d'alarme sur ce fléau qui pourrait déstabiliser les pays pauvres. Le groupe du G7 n'a fait que réitérer, comme d'habitude, ce qu'il avait déjà souligné à l'issue de sa réunion de septembre 2005, avec les résultats flous qui n'ont rien donné pour empêcher les prix de dépasser les 75 $ le baril. Quant à la réunion de Doha, elle a été beaucoup plus objective et franche. Elle a bien illustré, au-delà des déclarations de bonnes intentions de certaines figures de proue du monde de l'énergie, l'impuissance des pays concernés à neutraliser les facteurs de tension qui alimentent la hausse des prix. Pour Nicolas Sarkis, directeur du Centre arabe d'études pétrolières, ces prix qualifiés de record ne sont, en fait, qu'un «avis de tempête» sur le marché pétrolier. De son côté, le ministre saoudien du Pétrole, Ali Al-Nuaïmi, s'est exclamé, en réponse à la énième question sur ce que l'OPEP allait ou pouvait faire pour inverser la tendance haussière : «Que voulez-vous que nous fassions ?» ; et ce dernier d'ajouter : «Ça suffit, l'Arabie Saoudite fait de son mieux depuis des années pour répondre à une demande qui ne cesse d'accroître, parfois au détriment de ses intérêts économiques». De leur côté, les ministres maghrébins de l'Energie, l'Algérien Chakib Khélil et le Libyen Fathi Ben Chatwane, s'accordent à dire que le scénario est presque le même depuis des années. Lorsque les prix montent, les pays consommateurs, occidentaux en l'occurrence, tiennent pour responsables les Etats membres de l'OPEP. Ceux-ci répondent, comme à l'accoutumée, qu'ils ont déjà augmenté leur production, que le marché pétrolier est correctement approvisionné, que les stocks sont reconstitués, ce qui a poussé la France à exiger des pays de l'Union européenne de donner, mensuellement, un état de leur stock en la matière. Parmi les réponses les plus percutantes de la part de l'OPEP, celles considérant que les principaux facteurs des flambées successives sont liés à des problèmes politiques, aux goulots d'étranglement dans le raffinage et à la spéculation. Les décideurs des pays occidentaux refusent toujours de reconnaître, ces deux derniers éléments. Répondant à la question posée par La Gazette du Maroc concernant les perspectives dans le court terme, le secrétaire général par intérim de l'OPEP, Adnan Chehabeddine, a exprimé un sentiment général qui prévaut dans les pays exportateurs en s'interrogeant sur l'opportunité d'accroître les investissements et les capacités de production, alors qu'il y a des incertitudes au sujet de la demande. Pour Chehabeddine, il faut s'attendre à une nouvelle flambée avec la forte hausse de la demande d'essence aux Etats-Unis durant la «driving season» qui accompagnera les vacances d'été à laquelle pourrait s'ajouter le risque d'ouragans prévus dans le golfe du Mexique à partir de juin prochain. Ce constat pessimiste ne peut qu'inquiéter les pays non producteurs, plus particulièrement les plus pauvres parmi eux. Un cas qui s'applique à plusieurs pays arabes qui commencent, d'ores et déjà, à supporter les conséquences néfastes des dernières hausses du mois d'avril. Déstabilisations en vue Les Etats arabes non producteurs, qui avaient calculé leurs budgets à base d'un prix du baril variant entre 57 et 59 $, se retrouvent, aujourd'hui, contraints à les réviser à la hausse et, par là, imposer aux citoyens de payer une partie de la différence. Ce qui ravive les mécontentements populaires au moment où les gouvernements en place peinent à répondre aux besoins sociaux grandissants et n'arrivent pas à tenir leurs promesses. C'est le cas par excellence de la Jordanie où le gouvernement a augmenté à deux reprises les prix des hydrocarbures, soit de plus de 65%. Ce qui a engendré un tollé populaire, obligeant le roi Abdallah II à rencontrer les notables de la région de Maâne, celle qui s'est révoltée violemment par le passé. Le souverain hachémite qui craint le pire veut, aujourd'hui, anticiper sur d'éventuelles émeutes qui pourraient être déclenchées dans une situation socio-politique et sécuritaire assez critique. Force est de rappeler que le royaume jordanien a perdu, avec la chute du régime de Saddam Hussein, une aide considérable sur le plan de sa facture pétrolière. En plus des 30% des besoins qui avaient été offerts gratuitement, le reste était réglé sur une base de prix préférentiels au-dessous des prix du marché. Le Yémen, qui produit du gaz et un peu de pétrole qui ne suffit pas à répondre à la demande interne, est confronté, depuis quelques mois, à des difficultés de taille. Des confrontations avec les forces de l'ordre, suite à l'augmentation des prix des carburants et du fuel ont engendré des émeutes dans les rues de la capitale Sana'a et la grande ville portuaire d'Aden. L'augmentation de la facture pétrolière risque de peser lourd sur le climat socio-politique où le courant islamique, tout comme en Jordanie, profite du mécontentement populaire pour s'imposer comme la seule alternative à la mauvaise gestion des gouvernements successifs. Dans les pays du Maghreb, les analystes politiques estiment que les autorités concernées, aussi bien au Maroc qu'en Tunisie, arrivent, jusqu'ici, pas si facilement certes, à gérer le dossier de la hausse des prix de l'Energie. Les milieux les plus démunis auxquels s'ajoute une partie de la classe moyenne marocaine éprouvent déjà un mécontentement à l'égard de cette hausse. Cependant, la poursuite de la politique de soutien social, à travers le maintien des subventions des produits de première nécessité, joue un rôle capital dans l'absorption de ce mécontentement. Reste à savoir si la situation pourrait être maintenue au cas où une nouvelle flambée s'installe, à travers laquelle les prix franchissent la barre des 80 $ ? Pour ce qui est de la Tunisie, le choc est plus ou moins amorti. Cela est dû aux campagnes menées en permanence par le gouvernement, appelant à économiser l'énergie. Ce qui fera, sans doute, d'une part, diminuer la facture énergétique à l'Etat et, de l'autre, peser beaucoup moins sur les dépenses des citoyens. Si ces derniers supportent mal les conséquences de l'augmentation des tarifs imposés, ils estiment que les hausses régulières des salaires compensent en partie cet inconvénient. Les Tunisiens comme leurs voisins marocains s'interrogent, cependant, sur les répercussions d'une nouvelle envolée des prix dans le proche avenir. Les craintes des riches Cela s'applique plus particulièrement aux monarchies pétrolières des pays du Golfe, tous membres de l'OPEP. Ces derniers craignent sérieusement que les grandes puissances ne les obligeraient à dépenser tous leurs excédents financiers pour financer une nouvelle guerre dans la région, comme cela a été le cas avec la première guerre du Golfe entre l'Irak et l'Iran dans les années 80, la deuxième guerre pour la libération du Koweït en 1991 et la troisième guerre qui a destitué le régime de Saddam Hussein en 2003. Les dirigeants des pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe), dont les pays abritent des bases militaires américains, ne cachent pas leurs inquiétudes de la tension qui monte crescendo entre l'Iran et les Etats-Unis. De plus, ils ne croient ni aux promesses des premiers ni aux garanties des seconds. Ils estiment qu'une attaque militaire de la République islamique et la riposte de cette dernière, en bombardant les intérêts américains chez eux, n'épargneront pas les sites pétroliers et gaziers. La fièvre qui ne cesse de monter inquiète ces monarchies pétrolières qui évitent de s'incliner devant les pressions de leurs alliés occidentaux qui leur forcent déjà la main pour acquérir de nouvelles armes et se préparer à financer la guerre qui se profile à l'horizon. L'Arabie Saoudite, qui n'a pas encore rayé définitivement les séquelles financières de la 2ème et la 3ème guerre du Golfe, tente de manœuvrer, gagner du temps afin de contourner les pressions exercées sur elle, notamment de la part des Etats-Unis. Si elle joue indirectement le jeu des Etats-Unis dans leur bras de fer avec Téhéran, elle n'est pas du tout prête à prendre des engagements directs comme cela a été le cas envers l'Irak. C'est le cas du Koweït qui reçoit à bras ouverts les responsables iraniens afin d'éviter le pire si les hostilités militaires reprennent dans la région. Les pays du Golfe, producteurs et exportateurs du pétrole et du gaz, feront tout afin que le détroit d'Hormuz reste ouvert. Ils sont prêts, disent les proches du ministre qatari de l'Energie, Abdallah al-Attiah, à donner toutes les garanties possibles et imaginables aux Iraniens que les bases militaires occidentales installées sur leurs territoires ne seront pas utilisées comme tremplins pour attaquer ou frapper l'Iran. Ce que les responsables iraniens ne croient pas et demandent, en contrepartie, la signature des traités de bon voisinage et de défense avec les 6 pays du Golfe.