"Rien de ce qui est humain ne m'est étranger". Hanif Kureishi prend à son compte la maxime. La honte, la médiocrité, le flottement, autant de sentiments d'entre-deux qui habitent les personnages de La Lune en plein jour. Violence sourde des rapports humains, entre amants, entre mari et femme, entre mère et fille. Un livre d'une rare acuité sur l'avant et l'après d'un instant de vie. Jouissif. La plupart des personnages de ces dix nouvelles vouèrent un culte au mouvement pop. Frivoles, ravageurs, ils se bourraient de cocaïne au point de se faire péter la cloison nasale. Puis ils ont vieilli, sont devenus des membres de la tribu bobo, abandonnés, la quarantaine venant, aux séismes conjugaux. Ramdam d'états d'âme, festival de femmes sous la plume de Kureishi, ces scènes de la vie ordinaire sont une plongée originale dans les tréfonds des êtres. Hanif Kureishi possède un sens aigu de l'observation cruelle de ses contemporains. Dans ce dernier livre qui explore les fêlures de personnages ballottés par leurs sentiments et leurs désirs, parfois au bord de la mort ou de la folie, c'est un ancrage du réel dans le monde irrationnel des sens. Un univers que Kureishi aborde avec dérision et en homme libre. Il a intégré l'éclatement des structures traditionnelles du couple et de la famille, sans doute parce qu'il a vécu lui-même de telles expériences et sait les projeter dans ses fictions. Dans Comme des étrangers, on retrouve l'homme détaché des contraintes qui apparaissait à la fin du Bouddha de banlieue. Le même, quelques années plus tard, qui dans la nouvelle En ce temps-là regarde une liaison passée comme un rêve à sa fenêtre. On parle toujours de la cruauté de la séparation, mais que dire de ses délices. Que pourrait-il y avoir de plus rafraîchissant de ne plus jamais dormir dans le même lit que ce corps rébarbatif... Il y aurait de quoi se féliciter éternellement d'une telle délivrance. Spéciale dédicace aux hommes enfin, dans la délirante nouvelle Le pénis contant les affres d'un étalon privé de son appendice vital. Ou comment exhorter les mâles à ne plus vouloir posséder l'autre mais à accepter la liberté de chacun. À travers des nouvelles qui disent la banalité et la dureté du quotidien, l'auteur nous emmène toujours au plus près d'une fêlure. Celle de la société britannique, celle du monde contemporain, celle de tout un chacun. Toujours sur le fil du rasoir, il laisse transparaître le malaise du couple et de la famille, un sentiment ambigu, quelque part entre tendresse et détestation. Véritables tranches de vie sans début ni fin, les nouvelles nous font pénétrer une facette toujours différente de notre contemporanéité. Hanif Kureishi peint par petites touches ces vies, passant sans discontinuer de l'hyperréalisme au surréalisme. Comme dans cette dernière nouvelle, "Le pénis", qui n'est pas sans faire penser au Moi et lui d'Alberto Moravia, sorte de dialogue absurde mais signifiant entre un homme et ses attributs. Hanif Kureishi explore à sa façon, ambiguë et crue, les abîmes d'une société britannique contemporaine complètement disloquée. L'écriture agressive de Kureishi est, dans son désenchantement, une des voix les plus originales de la littérature britannique contemporaine. Kureishi en quelques mots Né à Londres en 1954 de père pakistanais et de mère anglaise, Hanif Kureishi a fait des études de philosophie au King's College de Londres. Il a signé les scénarios de My beautiful Laundrette et de Sammy et Rosie s'envoient en l'air, tous deux portés à l'écran par Stephen Frears. Ses deux romans - Le Bouddha de banlieue et Black Album – dans lesquels Hanif Kureishi, nous donne à voir une autre Angleterre, sont devenus des livres cultes. En 1997, il publie son premier recueil de nouvelles, dont l'une d'entre elles a été adaptée au cinéma par Udayan Prasad sous le titre My Son the Fanatic. Viennent ensuite Des bleus à l'amour et La Lune en plein jour. En 2000, Patrice Chéreau met en scène Intimacy, librement inspiré d'Intimité.