Libérale, progressiste ou simplement officielle, l'élite marocaine a toujours médité, sinon appréhendé le modèle chinois avec émerveillement. Historique Autrefois modèle révolutionnaire, la Chine continue de faire rêver. A un contexte nouveau, un idéal nouveau. Pour une grande partie de l'élite, le pays du Grand Timonier, le nom paternaliste de Mao Tse Tong, est un objet de fascination. Plusieurs fois millénaire, il n'est pas pour laisser l'intelligentsia et les décideurs du pays, indifférents. D'autant plus que l'empire du milieu a sempiternellement revendiqué sa “spécificité” démographico-civilisationnelle. Un reflet, si l'on croit la propre conception des Marocains d'eux-mêmes, de notre image. Des millions de fois grossi. Les « beaux jours » Cette fascination a une histoire qu'il est regrettable qu'elle ne soit pas encore écrite. Dans le Maroc post-colonial, le père fondateur du nationalisme chinois passait pour le rebelle qui a tenu tête à des empires occidentaux arrogants. La longue marche, initiée et menée à bon port par Mao Tse Tong, donnant naissance à la République Populaire de Chine, en octobre 1949, résonnait dans les milieux intellectuels et les rares responsables politiques de l'époque comme la fin heureuse d'un long combat ; l'aboutissement de l'irrépressible volonté des peuples. Mehdi Ben Barka, cheville ouvrière du nationalisme marocain en général et l'Istiqlal en particulier, alors fraîchement élu à la tête du Conseil Consultatif, sorte de parlement à l'état embryonnaire, multipliera les déplacements pour rencontrer les leaders «hors pair» à Pékin. Dans le volontarisme qu'il insufflera, par la suite, à l'action publique, nombreux sont les chroniqueurs qui y voient l'inspiration chinoise. C'est dire que le parti de Mao, sorti vainqueur, drainait bien des foules et savait galvaniser les troupes. Pour un pays traumatisé par Paris, le succès chinois est alors appréhendé comme résultat édifiant, sinon lumineux d'un modèle non occidental. Le même opposant marocain, une fois engagé dans un monde de guerre froide et de lutte anti-impérialiste, dans la création de la tri-continentale, réussira à aplanir la discorde entre Moscou et Pékin. Les deux Mecque de la révolution contre l'expansionnisme américain. Bien que l'organisation tiers-mondiste ne voie pas une meilleure fortune, comme la voulaient ses initiateurs, il n'en demeure pas moins que les liens entre une partie de l'élite marocaine et les nouveaux mandarins chinois sont bel et bien avérés. Il a fallu attendre l'année 1966 pour voir l'impact du messianisme révolutionnaire de Mao prendre corps dans l'esprit de l'intelligentsia marocaine. Après la fameuse « campagne des cent fleurs », en avril 1957, celle du “Grand bond en avant”, le petit « livre rouge » devient la bible de tous ceux qui, déçus de bureaucratisation de la révolution marxiste-léniniste par le Kremlin dans l'ex-URSS, aspirent à un deuxième souffle de la révolution permanente. On s'en souvient encore : le petit format, petit par la taille et grand par l'impact, inondait les points de vente. Plusieurs fois pièce à conviction entre les mains du parquet, l'Etat qui le tolérait sur la voie publique incriminait ses détenteurs devant le tribunal. Ce n'est guère le seul paradoxe “sino-marocain” ! La révolution culturelle, dont l'acte de naissance fut la publication, par Mao, de son « dazibao », “Feu sur le quartier général”, fera le reste. Son mot d'ordre, « détruire les quatre vieilleries (vieilles idées, culture, coutumes et habitudes) », embrassé et mis en exécution par les grands rouges, ne tardera pas à devenir un slogan planétaire. L'exemple le plus frappant, et donc historique, a été la révolution de mai 68, menée par les étudiants français. La nouvelle gauche Imbue, la jeunesse marocaine en fera l'alternative à une “classe politique en déshérence continue”. La défaite arabe en 1967 aidant, la nouvelle vulgate fera rage. Le présupposé « pourrissement politique des partis réformateurs », à savoir UNFP et PLS (Parti de Libération et du Socialisme, autrefois Parti Communiste), était le coup d'envoi idéologique d'un revirement qui coûtera cher à la jeunesse, tellement extraordinaire qu'elle était martyr. On s'en rendra compte après. Retour en arrière, les plus ultras, par ailleurs baptisés en même temps enfants du chœur, et maîtres donneurs de leçons, s'en prenaient à la « caste » rigoriste nationaliste. Naît alors le front marxiste-léniniste en apothéose du culte de la personnalité : “Mao, ou mourir”. L'Afrique de Patrice Lumumba, de Nkrumah, d'Ampâté Bâ, se relevait de sa léthargie. Mais, en contrepartie, elle créait “l'africanité des jaunes” : terme de l'époque colonialiste, mais qui répond à une entité libératrice de plus en plus rebelle. Le Maroc, ni plus ni moins, sacrifiait sa plénitude au mythe de sa révolution. En clair, la première vague de son élite n'est pas celle de son état. Et pourtant ? Même un Hassan II, rallié au libéralisme politique et, par contrainte géographique, faisant partie du choix libéral, voit dans la Chine un portail d'équilibre géostratégique. Au summum de la guerre froide, le souverain défunt conclut un accord de haute portée, étant donné la place du phosphate dans l'économie mondiale. En 1975, la Marche Verte, sous le prisme de l'actualité, n'est que l'interprétation marocaine de la marche de Mao. Le principe, somme toute patriotique, a fertilisé, dans un cas comme dans un autre, le sentiment libérateur. La Chine, traînant, elle-même, un boulet de l'ère coloniale, la séparation de Taiwan, sera toujours l'allié du Maroc dans sa lutte pour l'intégrité territoriale. D'ailleurs, le Maroc s'est toujours félicité de la position de Pékin en ce qui concerne la question du Sahara. La visite de S.M. le Roi Mohammed VI, en février 2002, la première de son genre, est désormais un tournant. Le pays le plus peuplé de la planète, qui vient de ravir à la France et à la Grande-Bretagne la position de la quatrième force économique mondiale, garde encore toute sa fascination.