Au moment même où la tension et la mésentente qui ont caractérisé, au cours des neuf derniers mois, les relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne, allaient être apaisées et dissipées, combien notre commotion fut grande d'apprendre l'invasion brutale et inattendue, par l'Espagne, de l'îlot marocain dit “Leila”. À l'origine de cette imprudente aventure : le conflit de la pêche. Vinrent ensuite et en cascade : les avertissements arrogants de José Maria Aznar au Maroc sur les conséquences de l'interruption de l'accord de pêche avec l'Union européenne ; les incriminations espagnoles réitérées et démesurées en rapport avec l'immigration marocaine et même subsaharienne; l'attitude espagnole hostile et contradictoire sur la question du Sahara marocain aux Nations Unies ; la célébration d'un simulacre de référendum sur le Sahara dans un siège institutionnel Andalou ; les déclarations malchanceuses du ministre espagnol de la défense ; d'autres procédés défavorables espagnols à l'encontre du Maroc, dont notamment l'excitation de la presse ibérique à s'en prendre, sans cesse, à notre pays, etc… Bref, quelle que soit l'étincelle qui provoqua ce conflit diplomatique, il existait déjà des cicatrices ouvertes qui s'étaient infectées au cours des derniers mois et qui nécessitent, à présent, des antidotes palliatifs urgents. Dans cette lignée, établie entre le dédain et la frivolité du gouvernement espagnol, il s'impose, désormais aux deux parties, de bien méditer sur les étapes qu'il faudra franchir pour sortir d'une telle situation fâcheuse et discordante. Incontestablement, il est de l'intérêt de l'Espagne d'avoir au sud un voisin ami, politiquement stable et socialement équilibré. Quant au Maroc, il est aussi de son intérêt d'avoir au nord un voisin allié, économiquement développé et moderne, et assez bien positionné et parrainé en Europe et ailleurs. La défense absurde et erronée que l'Espagne a prise sur les soit disant “droits des Sahraouis” a envenimé pitoyablement ses relations avec le Maroc, au cours de ces derniers temps. Dans le processus du Sahara marocain, l'ONU avait reconnu un groupe dit de “cinq pays amis”, en l'occurrence : les Etats-Unis, la France, l'Espagne, le Royaume-Uni et la Russie. Trois pays parmi ces cinq avaient estimé judicieux et honnête d'épauler et de soutenir l'intégration du Sahara au Maroc dans le cadre d'un statut spécial d'autonomie. Seule l'Espagne s'y était opposée énergiquement, sachant au préalable et pertinemment, que sa prise de position allait engendrer de graves conséquences… Avait-elle, donc, une quelconque possibilité, minime soit elle, de mener à terme un autre processus, de son initiative, avec l'opposition de tous ces pays et ignorer, ainsi, toute la réalité ? Je crois que pour n'importe quel autre exécutif espagnol, sensé et intelligent, ses relations historiques, culturelles, commerciales et de bon voisinage avec le Maroc l'emporteront, sûrement, sur les sensibilités puériles et les entêtements immatures du gouvernement Aznar. Le cynisme et l'audace n'ont plus d'espace dans les sociétés civilisées d'aujourd'hui. Du triste et lugubre épisode qui a trait à l'îlot “Leila”, il convient d'apporter le constat suivant : 1- Le traité franco-espagnol de 1912 qui détermine la zone du protectorat espagnol au Maroc ne fait aucune allusion ou référence à l'îlot “Leila” ou “Perejil”. 2- La carte topographique de l'Andalousie occidentale (page 3a 24-25) ne fait état d'aucun critère qui accrédite l'îlot “Leila” ou “ Perejil ” comme “ territoire espagnol ”. 3- “La prétention en titre de l'Espagne sur l'îlot “Leila” ou “Perejil” est très douteuse”. (Prestigieux quotidien espagnol “El Pais” du 20.07.02). Jordi Puyol, président du gouvernement autonome de la Catalogne a déclaré le 19 juillet 2002 : “le gouvernement Aznar a empêché le Roi Juan Carlos d'intervenir auprès du Maroc dans la crise de l'îlot “Leila” par le biais de contacts directs avec le Palais Royal au Maroc…”. Le renommé journal britannique “Financial Times” a qualifié “l'occupation par l'Espagne du rocher “Leila”, bourré de chèvres, de bêtise”. Nouvelles chances de coopération Il devient urgent et primordial de rectifier cette comédie d'erreurs pour éviter que cela dégénère en une impasse. Il faudra rembobiner et recommencer… L'Espagne et le Maroc ont toutes les chances, désormais, de manifester leur sincère disposition à favoriser une coopération sincère, franche et loyale. Je ne crois pas qu'il puisse exister d'autres raisons susceptibles de compliquer les choses encore davantage entre les deux pays, absolument aucune. On aurait dit que quelqu'un s'acharnait à troubler et à perturber les bonnes relations maroco-espagnoles. Dorénavant, il ne faudra plus qu'il y est d'escalades ou de menaces verbales de la part des responsables espagnols. L'Espagne n'avait et n'a aucun intérêt à faire chanter le Maroc en demandant à l'Union européenne de lui appliquer de fortes sanctions, pour le plaisir de José Maria Aznar. Comment l'Espagne aurait-elle réagi si dans une quelconque région marocaine, un prétendu référendum d'indépendance d'Euskadi était organisé ? L'Espagne, comme pays d'intégration, était et continuera d'être, par la volonté d'une nouvelle sagesse, un partenaire très attractif et compétitif pour le Maroc et vice-versa. Aucun pays de la Méditerranée, autre que le Maroc, n'a su et ne saura partager si amplement les valeurs historiques et éthiques de l'Espagne. Le Maroc et l'Espagne ont expérimenté des problèmes et des défis similaires, quoiqu'en des moments distincts de leur histoire. Ceci dit, analysons l'objectif des relations maroco-espagnoles dans une perspective interdisciplinaire. Les interrogations principales à devoir traiter dans les projets communs pourraient être les suivantes : Comment se sont transformés les modèles de la coopération maroco-espagnole au cours de l'histoire ? Quel rôle peuvent jouer les idées politiques et les idéaux sociaux respectifs ? À quels niveaux d'intermédiation et selon quels critères les échanges sont menés à terme et comment s'est faite leur évolution au cours de ces dernières années ? Quel est l'héritage historique censé se manifester à des niveaux distincts de leurs relations ? Quels seraient leurs intérêts communs en Méditerranée ? Dans quels domaines peuvent être détectées leurs divergences d'intérêts ? De quelle manière leurs intérêts à travers le dialogue peuvent être rapprochés ? Quels seront les acteurs principaux appelés à intervenir dans leur processus relationnel ? etc… Notre attente est immense et notre espoir est considérable dans la reprise, en septembre prochain, des négociations entre le Maroc et l'Espagne, à l'effet de fermer les plaies du passé, par un traitement translucide, franc et loyal de tous les sujets bilatéraux. Il est regrettable de constater que la plupart des Espagnols et des Marocains ignorent tout de leurs relations communes qui constituent un axe prioritaire de leurs politiques étrangères respectives. En fait, la perception sociale qui existe en Espagne sur le Maroc n'est aucunement réelle car elle repose, malencontreusement, sur le passé colonial… Le Maroc, quant à lui, est totalement absent de la réalité espagnole.