Responsabilité et liberté de presse Comment réconcilier liberté et sens de responsabilité ? La question quasi existentielle pour la presse a été au cœur d'une rencontre d'Eduardo Cue avec la presse. La démocratie peut se permettre " le luxe " d'une presse irresponsable. Non seulement le journaliste américain Edouardo Cue défend l'utilité d'une presse irrévérencieuse, mais il inscrit sciemment son existence dans un " rapport conflictuel permanent entre pouvoir et presse ". Lors d'une rencontre avec la presse marocaine, mercredi dernier à Casablanca, l'ex-journaliste devenu expert en médiologie est allé jusqu'à inviter l'audience à entretenir la méfiance, tout en respectant les critères déontologiques. " Toute connivence entre la presse et le pouvoir est suspecte ". Dans l'équation liberté et pouvoir, la morale et l'éthique de responsabilité doivent l'emporter. En clair : " Le rôle de la presse est de contrôler les pouvoirs et déclencher l'alarme chaque fois qu'un dérapage est commis ". Néanmoins, "la liberté est-elle absolue" ? Modération Eduardo Cue n'y va pas par quatre chemins. "Nous sommes suffisamment majeurs pour déduire qu'il n'y a pas d'absolu dans la vie". D'autant plus que la presse doit se cantonner à jouer son propre rôle ; et se garder de céder à la tentation de remplir celui de la classe politique. "Tout transfert nuira à la démocratie et à la profession en premier lieu". Un pouvoir qui met la presse à ses bottes est à craindre, une presse qui "fait l'opposition systématique est inutile", voire "sans valeur" selon les propres termes du conférencier. Liberté et responsabilité ? Un débat quasi existentiel et qui n'est pas près d'être clos. Il y va d'ailleurs de l'avenir même de la démocratie. Seulement, les journalistes "pas toujours en odeur de sainteté", doivent garder en tête que " le pouvoir, toutes institutions confondues, a sa légitimité ", que même les sacro-saintes vertus de la liberté ne sauraient dénigrer, encore moins mettre à mal. Le débat auquel ont participé presque tous les patrons de la presse nationale, outre des responsables politiques, n'a pas toujours été de tout repos. Des moments de divergence somme toute évidente ont émaillé les interventions des uns et des autres, sans pour autant remettre en question l'essentiel : l'évolution que connaît le champ médiatique marocain depuis les années 90. Un constat que partage et défend Eduardo Cue. A une question ayant trait au rapport de force –dit permanent et inégal- entre l'Etat et certaine presse, l'expert américain a été on ne peut plus clair : " Il y a cinq ans, j'aurai partagé sans hésitation le point de vue qui incrimine l'Etat ". Les choses ont réellement changé. Un signe parmi d'autres : le code déontologique récemment établi. Un pas en avant qui ne saurait être valorisé à tel point que le combat pour pousser les limites de la liberté d'expression soit interrompu. " Seule la profession, nous enseigne l'expert américain, est à même de tracer ses propres limites ". Le marché également. Un regard sur soi, le cas échéant, est plus que nécessaire. Il n'en reste pas moins que cette introspection ne doit aucunement verser dans l'auto-flagellation. Le sens de la mesure, insiste le conférencier, fait que les " mauvais sont partout et dans toutes les professions ". L'auto-régulation, explique l'ancien correspondant de la chaîne américo-planétaire CNN, se fera d'abord par la profession, et c'est le marché qui assurera la sélection. L'histoire de la presse à travers le monde est édifiante à cet égard : si le machiavélisme est monnaie courante dans les couloirs du quatrième pouvoir, seul le journalisme peut se valoriser en traçant les contours de l'éthique professionnelle. Dans une démocratie en constitution plus qu'ailleurs.