Initiatives politiques Deux moments clés ont marqué un regain d'impulsion du débat politique par l'USFP : l'appréciation du rapport final de l'IER et la publication d'une partie des mémoires du leader socialiste Abderrahim Bouabid. Au-delà des grincements que ces moments ont pu provoquer, des questions de fond ont été mises en relief. Le débat politique a été réanimé ces derniers jours par l'appréciation nuancée de l'USFP quant au rapport final de l'Instance équité et réconciliation (IER) et par la publication sur les colonnes des quotidiens « Al Ittihad al Ichtiraki » et « Libération » d'une première partie des mémoires du leader socialiste Abderrahim Bouabid. Tout en soulignant l'importance et l'étendue du travail, d'investigation entrepris par l'IER sur les multiples violations graves des droits humains commises entre 1956 et 1999, Mohamed Elyazghi, a au lendemain de la réunion du conseil national de l'USFP tenu à exprimer quelques réserves. Il a relevé que ces investigations n'ont pas pris en compte la particularité des procès répressifs intentés aux opposants ainsi que des détentions illégales et prolongées avec leur lot de tortures physiques et morales. L'USFP considère que les cas des disparitions de Mehdi ben Barka et de dizaines d'autres militants restent à élucider et c'est désormais le conseil consultatif des droits de l'homme qui devra mener à bout les recherches à ce sujet. Elyazghi souligne que puisque, la responsabilité des organes de sécurité est avérée, selon le rapport de l'IER, il importe à l'Etat d'ordonner aux personnes qui ont refusé de collaborer avec cette instance de changer d'attitude et de fournir toutes les données dont ils ont connaissance. Il est de même nécessaire que tous les responsables avérés des violations commises qui sont encore en fonction, soient écartés. L'USFP considère, enfin, que les recommandations de l'IER doivent être mises en application avec la participation des partis politiques qui, à l'instar du parlement et du gouvernement, « ont un rôle essentiel » à jouer dans cette mise en œuvre. À différentes reprises, Mohamed Elyazghi et d'autres responsables de l'USFP ont évoqué le caractère largement positif du travail de l'IER dont l'existence même était significative du tournant pris par le processus de démocratisation depuis la fin des années 90. Les réserves émises, est-il suggéré, ne diminuent en rien cet acquis. Elles sont davantage l'expression de la volonté de voir s'accomplir entièrement l'orientation prise. Le changement serait non seulement proclamé mais continuellement pratiqué et mis en acte. Il semble que cette attitude ne satisfait pas tout le monde, le quotidien « Aujourd'hui le Maroc » en écho à cette réaction a même affirmé que « Elyazghi s'enferme dans le passé ». Assumer tout le passé Dans l'optique de l'USFP, l'accent est plutôt mis sur la nécessité d'assumer tout le passé pour pouvoir en prévenir toute forme de retour. La référence au style de Bouabid n'est pas ici fortuite au moment où les mémoires de ce dernier commencent à être publiées. Ce style se veut franc, exigeant sans verser dans la crispation, la fermeture ou l'extrémisme. C'est pour cela qu'il peut parfois heurter et indisposer, même si sa finalité est plutôt modérée et consensuelle. La publication de la partie des mémoires inédites d'Abderrahim Bouabid portant sur la période située autour de 1960-1961 qui marqua une rupture lourde de conséquences pour l'évolution du pays est située dans l'optique de « l'ouverture de la mémoire ». Alors que les périodes convulsives vécues notamment depuis les années 60 ont fait l'objet des recherches de l'IER ainsi que des auditions publiques des victimes des répressions, les mémoires de Bouabid sont présentées comme une contribution majeure à la connaissance et à l'évaluation de cette histoire. Le leader socialiste apparaît, malgré la sévérité de certains de ses jugements, comme un partisan lucide du consensus entre le mouvement national et la monarchie pour instaurer un processus de démocratisation. Il met en lumière le rôle néfaste joué par les forces conservatrices, hostiles au principe même de démocratie car selon eux la majorité « peu évoluée » voulait seulement « être gouvernée ». Il relate aussi les débats au sein de la gauche marocaine divisée entre réalistes et radicaux et dont les dirigeants avaient des personnalités et des vues trop différentes et divergentes. Ce sont autant d'éléments qui, surtout après la mort subite de Mohamed V, ont fait que la dynamique des premières années de l'indépendance a été brisée et que le pays s'est enfoncé dans une suite de péripéties conflictuelles et douloureuses. Si l'histoire se trouve ainsi convoquée c'est que le tournant pris durant la dernière décennie de la transition démocratique semble être à l'opposé de la rupture qui eut lieu au début des années 60. La leçon implicite qui y transparaît est celle de l'inéluctable nécessité du choix démocratique, à approfondir et à prémunir par opposition à l'impasse conflictuelle à laquelle conduit le choix anti-démocratique et de son lourd tribut en matière de droits humains et de développement humain. Différence et ouverture Les passages des mémoires de Abderrahim Bouabid qui ont égratigné l'Istiqlal et son leader Allal al Fassi ont choqué les dirigeants istiqlaliens à un moment où l'alliance avec l'USFP est à nouveau considérée comme « stratégique ». Néanmoins, pour tout lecteur un tant soit peu attentif, les critiques de Bouabid vont à la collusion de fait de l'Istiqlal d'alors avec les adversaires des réformes nationalistes et progressistes et dont Ahmed Reda Guedira était l'une des principales figures. La complicité, voire la soumission, de l'Istiqlal était jugée par Bouabid, « indigne » et préjudiciable aux intérêts nationaux. C'est ainsi que dans l'optique de Bouabid la fermeté sur des positions essentielles n'est pas synonyme d'extrémisme ou d'aventurisme. Il s'agit de s'en tenir à la juste mesure entre le refus de négation de soi (principes et dignité) et la nécessaire recherche du consensus et des compromis pour instaurer la démocratisation. C'est là un usage de l'histoire qui peut sans doute revigorer les esprits, loin de l'engourdissement léthargique qui semble avoir prédominé de nos jours. En relançant le débat sur la nécessité d'aller jusqu'au bout de la volonté qui a présidé au travail de l'IER et sur l'exigence de nouvelles avancées démocratiques, leçons d'histoire à l'appui, l'USFP veut renouer avec sa capacité à stimuler la vie politique. Les propositions en matière de réformes constitutionnelles ainsi que de mode de scrutin et de découpage électoral sont ainsi à l'ordre du jour. C'est dans le cadre de la Koutla, si possible rénovée et élargie, que ces propositions seront formulées, étant entendu que c'est en plein accord avec le roi qu'elles seront examinées et réalisées. La question des alliances qui a aussi quelque peu agité le débat est, dans la foulée, mise au point. Il n'est pas question d'alliance avec le PJD à l'horizon 2007 comme l'avait préconisé Mohamed Lamrini, membre de la direction de l'USFP et partisan d'un « compromis historique » avec les islamistes. Dans le contexte politique actuel où la loi sur les partis a été adoptée, il s'agit, selon Elyazghi, d'aller vers une polarisation qui clarifiera les positionnements et le débat public. Avec l'intégration au conseil national, au bureau politique et dans les structures régionales des nouveaux venus de l'ex-PSD, l'USFP veut voir revigorée l'alliance à gauche et au sein de la Koutla. En marquant à la fois sa différence et son ouverture, le parti héritier du legs de Abderrahim Bouabid, veut ainsi reprendre l'initiative et concilier « fidélité » et « force de proposition ».