Dans son discours prononcé à l'occasion de la conférence intitulée « un monde sans sionisme », le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, a surpris le monde entier en poussant le bouchon très loin. En appelant à « rayer Israël de la carte », il annonça ainsi le retour à l'ère Khomeïni. Reste à savoir maintenant s'il a les moyens de cette politique combative. "Ahmadinejad n'a pas seulement pris de court tout l'Occident, mais aussi une partie de l'establishment des mellalis en Iran'' s'accordent à dire les analystes, toutes tendances confondues à Téhéran. Il ne s'agit pas d'un «excès de langage», comme cela a été qualifié par la diplomatie française qui a réagi, juste après son homologue israélienne. En effet, le jeune président de la République islamique a, selon les proches collaborateurs de Mourched al-Thaora, Ayatollah Khomeïni, bien pesé chaque mot, chaque phrase utilisée dans son intervention. Il a également calculé l'ampleur des réactions qui pouvaient émaner d'une Communauté internationale qui attendait l'Iran au tournant. Ahmadinejad savait d'emblée que son offensive idéologique par excellence allait provoquer et mobiliser les pays les plus ciblés et les plus concernés, Israël et les Etats-Unis. Ce discours ne s'arrête pas aux frontières de ces derniers. Il va bien au-delà pour menacer « quiconque reconnaît Israël brûlera au feu de la fureur de la oumma musulmane » ; et d'ajouter : « que la lutte en Palestine est une guerre entre cette oumma et le monde de l'arrogance ». Au Caire, à Riyad, et même à Amman, ce message menaçant a été pris trop au sérieux. Notamment, après la publication des informations à la veille de ce discours évoquant la présence de dizaines de cadres d'Al-Qaïda sur le territoire iranien. D'une source saoudienne, La Gazette du Maroc a appris que toutes les médiations entreprises ces dernières semaines pour calmer les Iraniens après les déclarations du ministre des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal, accusant l'Iran de jouer un rôle perturbateur en Irak, ont été vouées à l'échec. Ahmadinejad et son équipe ne voulaient rien entendre. Ils ont répondu indirectement en poussant les chiites saoudiens à se mobiliser « pacifiquement », en revendiquant leurs droits de citoyens du premier degré. Par ailleurs, force est de souligner que Téhéran n'a pas encore avalé les déclarations, il y a quelques mois, du roi Abdallah de Jordanie qui avait parlé du danger de la naissance d'un « croissant chiite » formé de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie. Radicalisation et jeu interne Les vives réactions d'Israël, des Etats-Unis, de la France et des autres ne semblent pas inquiéter, au moins pour l'instant, les dirigeants iraniens. Ces derniers qui attendent la visite, dans les prochaines semaines du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, ont affiché une indifférence totale allant jusqu'au mépris vis-à-vis des condamnations de la communauté internationale. Celle-ci d'après Téhéran ne bouge pas le petit doigt à l'égard des crimes perpétrés par les Sionistes contre le peuple palestinien.En fait, le président iranien n'a pris ces positions idéologiques que pour rappeler à ses électeurs qu'il tenait ses engagements pris dans sa campagne présidentielle. Il a voulu prouver qu'il peut trancher dans le jeu du chat et de la souris concernant le dossier nucléaire. Le plus significatif dans l'offensive idéologique d'Ahmadinejad, c'est qu'il a voulu rappeler la « Garde révolutionnaire » qu'elle est le fer de lance de cette nouvelle ère ; et que ses slogans ne mourront jamais malgré tout ce qui avait été fait ces dernières années par les réformateurs dirigés par l'ancien président, Mohamed Khatami, ou par les arrivistes qui avaient soutenu l'équilibriste, Hajjat al-islam Hachémi Rafsandjani. Dans cette foulée, certains observateurs estiment, en revanche, que cette radicalisation exagérée n'est que le reflet des difficultés auxquelles est confronté, à l'heure actuelle, Ayatollah Khomeïni et son poulain Ahmadinejad. En effet, ces observateurs affirment que la République islamique a été mise à l'épreuve à plusieurs reprises, depuis l'arrivée de celui-ci aux commandes. Elle n'a réussi qu'à reporter les échéances concernant la crise du nucléaire sans pour autant résoudre ce problème, même si elle est arrivée à diviser les Etats membres de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), réunie à Vienne. Les Français qui ont vivement critiqué les propos du président iranien à l'égard de l'Etat hébreu laissent entendre que l'appel de ce dernier à « rayer Israël de la carte » provient de la crainte d'une frappe aérienne de la part d'Israël des installations nucléaires à Isfahan et Bouchar. Dans ce cadre, on apprend de sources françaises concordantes que la Russie et le Pakistan ont mis récemment Téhéran en garde contre une telle éventualité. Le retour en force d'Ahmadinejad sur la ligne de défense des Palestiniens et faire à nouveau de leur cause une priorité iranienne est le message adressé à Tel-Aviv. Côté autorité nationale palestinienne, on affirme que le régime iranien pousse le Djihad islamique à mener des attentats contre les Israéliens. Ce, pour faire comprendre au gouvernement Sharon qu'il a la main très longue et qu'il est capable de frapper à tout moment. Pressions réciproques ou enlisement vers une confrontation militaire sur le terrain entre la République islamique, d'une part, et les Etats-Unis et Israël, de l'autre ? Il est prématuré, estiment les analystes occidentaux, interrogés vendredi dernier par la Gazette du Maroc. Tout ce qu'ils ont souligné, c'est que l'équilibre de dissuasion qui perdure depuis quelques années risque d'être rompu après les propos d'Ahmadinejad lors de la conférence du « Monde sans Sionisme ». Tel-Aviv peut les prendre pour alibi pour mener des attaques préventives sans être gênée par la communauté internationale. Elle est sûre qu'il n'y aura pas de réactions ou même de condamnations. Par ailleurs, force est de remarquer que l'alliance euro-américaine d'antan est sur la voie d'être rétablie. Cette alliance semble aujourd'hui se mettre en place autour des nouvelles constantes telles que : l'isolation du conflit israélo-arabe de toutes ingérences syro-iraniennes. Sécher les aides financières en direction du Hamas et du Djihad islamique en Palestine, également au Hezbollah libanais que l'ONU, sur consigne des Etats-Unis, tente de déstabiliser à travers la résolution 1559 visant dans un de ses volets à retirer ses armes, enfin briser l'alliance syro-iranienne en assiégeant la première à travers les répercussions du rapport du juge allemand Mehlis, et la 2ème en accentuant les pressions au niveau du dossier du nucléaire. A Washington, on tient à répéter que le président iranien aurait probablement oublié que les néo-conservateurs sont conscients jusque-là qu'ils n'ont pas perdu les deux guerres en Afghanistan et en Irak. Ce qui les encourage à se lancer dans deux autres, mais cette fois par le biais de leur allié stratégique dans la région, Israël Le retour aux principes de l'imam Rouballah Khomeïni ont suscité trop d'interrogations aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Iran. Les responsables occidentaux tout comme les observateurs en Iran et dans la région du Moyen-Orient, se demandent si le président iranien, manquant selon eux d'expérience, aurait assuré ses arrières avant de prendre de telles positions risquées. Arrières assurées ? Sur ce point, les analystes les plus avisés à Téhéran répondent que la République islamique, dans son état actuel, possède plusieurs cartes lui permettant de faire face à différentes éventualités. Contrairement aux points de vue de certains responsables occidentaux, notamment les Français, le dossier du nucléaire ne représente pas le talon d'Achille. Ce programme est jusqu'ici méconnaissable, d'autant que plusieurs pays influents qui coopèrent dans ce sens avec l'Iran, n'acceptent toujours pas le transfert de ce dossier au Conseil de sécurité. Autre carte sur laquelle mise le gouvernement irakien, sa forte présence en Irak et, par là, le besoin aussi bien américain que britannique de ses ramifications religieuses et politiques pour sauvegarder leurs intérêts. Les forces d'occupation craignent qu'une confrontation directe avec les Iraniens risquent de leur faire perdre tout en Irak. En plus, les Iraniens ont fait savoir par divers canaux, qu'ils peuvent à tout moment réactiver leurs réseaux dormants aussi bien en Europe que dans les pays arabes et musulmans où les Américains ont des intérêts significatifs. Les Iraniens ont fait comprendre à qui de droit à Washington et à Londres qu'ils ne peuvent laisser indéfiniment la scène aux extrémistes sunnites qui luttent contre les ennemis de l'Islam. Et qu'il est désormais indispensable d'intervenir. L'Iran peut à tout moment contrecarrer le projet américain au Liban via Hezbollah et le mouvement chiite Amal et, en Palestine à travers Hamas et le Djihad islamique. Mais la carte la plus importante, c'est celle de l'alliance stratégique avec les Syriens. Cet axe est capable de déstabiliser toute la région. C'est dans ce cadre qu'il faut situer la visite, vendredi dernier, du président égyptien, Hosni Moubarak à Damas, et sa rencontre avec son homologue syrien, Bachar al-Assad. Ce dernier qui, selon ses proches, pourrait se rendre incessamment dans la capitale iranienne. Autre atout qui pourrait être classé parmi les arrières assurées, l'augmentation de la production pétrolière, et, par là le volume des revenus. A cet égard, les dernières statistiques montrent que cette production qui est sur une tendance haussière depuis 2002-2003, a atteint 4,1 millions de barils/jour au premier trimestre de 2005 (l'année iranienne commence le 21 mars). Par ailleurs, la hausse des prix du pétrole a eu un très fort impact sur la balance commerciale et la balance des comptes courants du pays avec des excédents de 4,430 milliards de $. De son côté, la dette extérieure à moyen et long terme de l'Iran est sur le déclin avec 6,367 milliards de $ à la fin du 2ème trimestre 2005, contre 7,309 milliards en mars 2004. Facteurs qui ne peuvent que consolider les positions socio-politiques du pouvoir. Nous pouvons conclure de ce qui précède que Mahmoud Ahmadinejad a, avant de s'aventurer dans la voie d'une nouvelle radicalisation, assuré, en partie certes, ses arrières en créant la surprise. Il faut maintenant attendre la riposte concrète des Etats-Unis, d'Israël et de la communauté internationale.