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La «Taquiah», grand vainqueur
Publié dans La Gazette du Maroc le 27 - 06 - 2005


Iran
Le «petit serviteur», Mahmoud Ahmedinejad, a fait subir à l'incontournable, Hojatoulislam Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, le plus grave revers de sa longue carrière politique. Pour la première fois depuis la création de la République islamique d'Iran en 1979, les conservateurs arrivent à verrouiller tout le système.
Allahoumma Achhad Inni Ballaght». C'est avec ces propos qu'a répondu, Ayatollah Ahmed Mountazari de sa résidence surveillée à Qom, samedi matin, à la question qui lui a été posée par La Gazette du Maroc portant sur les résultats du deuxième tour des élections présidentielles iraniennes. Ce grand contestataire du régime, qui d'ailleurs n'a jamais porté Rafsandjani dans son cœur, a pourtant été presque le seul à tirer la sonnette d'alarme. Il voyait dès le début l'arrivée de l'outsider Ahmedinejad à la présidence.
Loin de la ville sainte, dans sa résidence située à Téhéran, le président sortant, Mohamed khatami, se tournait vers son candidat perdant du premier tour, Mahdi Kharroubi, pour lui rappeler sa déclaration au bureau de vote. Les médias m'ont mal compris lorsque j'avais indiqué que la «nation iranienne a l'habitude de déjouer les pronostics». Et d'ajouter :«en fait, je voulais dire de faire très attention à la surprise que pourrait créer le balayeur de rues de la nation iranienne». Une phrase qui avait été utilisée par le maire de Téhéran, Mahmoud Ahmedinejad, tout le long de sa campagne électorale.
En arrivant en tête du 2ème tour avec 61,69% des suffrages, face à son rival qui n'obtient que 35,92% des voix, le civil «petit serviteur» a, non seulement tourné la page aux «barons» de la «première République islamique», mais il est venu aussi imposer sa deuxième génération avec la bénédiction du «Guide suprême» de la Révolution, Ayatollah Ali Khamenei. Ces élections vont sans doute consolider la mainmise totale sur le système. Au point que quiconque, réformateurs ou autres, pourrait dorénavant bouger. Est-ce un retour aux anciennes pratiques voire à la période de répression qu'avaient vécu les Iraniens quelques mois après l'installation du régime des Mollahs ? Les analystes politiques iraniens, contrairement à leurs homologues occidentaux, estiment que le «pouvoir pur race»- allusion faite au contrôle total des conservateurs de l'appareil politique-, prendra des initiatives d'ouverture aussi bien socio-économique que politique afin de rassurer les populations. Il n'hésitera pas, disent-ils, à s'ouvrir envers les réformateurs en tentant de réaliser certaines de leurs revendications. Notamment au niveau de la lutte contre la corruption au sommet et l'application de la transparence dans toutes les décisions qui seront prises à l'avenir.
La victoire du candidat des Iraniens les plus démunis devra faire réfléchir dix fois le vieux renard, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, avant de prendre la décision de retourner sur la scène ce, comme il le faisait chaque fois qu'il a été écarté d'un poste de responsabilité. Le contexte est aujourd'hui différent, aussi l'adversaire. Le richissime homme d'affaires, le président de la «Maslahat tachkhiss al-Nizam», cette haute autorité du pouvoir, devra faire face quasi-quotidiennement à une catégorie au sommet qui n'est pas prête à lui faire le moindre cadeau, ni geste de complaisance. Cela commece fut le cas avec la présidence de Mohamed Khatami qui avait besoin de tout le monde pour faire, d'une part, avancer ses projets de réformes et, de l'autre, atténuer les attaques émanant de la part des conservateurs, notamment de la Garde révolutionnaire.
Démunis contre bazaris
En votant, Rafsandjani qui était presque sûr de sa victoire, plus précisément après le ralliement- pour le moins formel- des réformateurs, avait répété devant les médias vouloir «empêcher que l'extrémisme ne s'installe pas dans le pays». C'est avec cette phrase que l'éternel équilibriste des mollas vient de signer son arrêt de mort politique. Car, il sait mieux que quiconque qu'en s'attaquant de la sorte à son adversaire, il vise directement Mourched al- Thaoura, Ali Khamenei. Ce qui n'est pas permis ni toléré dans l'état actuel du régime. Une heure après cette déclaration, ce dernier est entré personnellement sur scène en appelant les électeurs à voter tôt sans plus attendre afin d'éviter le vote de nuit qui pourrait favoriser Rafsandjani. Le mot d'ordre a été ainsi donné. Tous les organes du système religieux se sont mobilisés dans toutes les régions de la République islamique. En effet, les Gardes de la révolution, les Basidjs, ainsi que Qom qui abrite la Haouza scientifique religieuse, ont mis le paquet dès les premières heures du matin. De ce fait, Mahmoud Ahmedinejad a réussi à avoir 80% des bulletins de vote contre 20% pour son concurrent. Ainsi, le rattrapage du soir émanant des électeurs traditionnels de Rafsandjani tel que le Bazar de Téhéran ou les forces réformatrice et libérale, n'ont pas pu réduire l'écart qui s'est agrandi au fil des heures de la journée.
Les pauvres qui défendaient à travers Ahmedinejad leurs mutiples causes, étaient plus efficaces que les bourgeois, les intellectuels et les opportunistes bazaris, qui voyaient avec l'arrivée de Rafsandjani la préservation de leurs intérêts et privilèges. Alors que les premiers faisaient les va-et-vient sans relâche pour assurer l'arrivée des électeurs en groupe aux bureaux de vote, les seconds prenaient leur temps, faisaient leur sieste avant de se rendre individuellement pour faire leur devoir. Ils étaient presque certains que leur candidat était favori, qu'il a le soutien de l'Occident et l'aide des médias internationaux. Ce qui était suffisant, à leur avis, pour remporter une victoire écrasante face à celui qui est considéré comme étant l'ultra- conservateur qui constitue un danger d'avenir puisqu'il risque d'engager la République islamique sur la voie de radicalisation. Et, de là, la garder dans l'«axe du mal», cible permanent des Etats-Unis.
L'évaluation des alliés de Rafsandjani de la situation sur le terrain était complètement erronée. La preuve, les sympathisants d'Ahmedinejad ont mené dès le début une bataille sur fond social, et l'ont en définitif gagné sur cette base. En effet, le sud de la capitale Téhéran qui regroupe plus de 65% de la population, constituée en majorité des plus démunis, a donné ses voix en masse au «petit serviteur». Tandis que le nord, fief des riches, qui représente les 35% qui restent, n'a pas fait le plein pour accorder son soutien à Rafsandjani. De plus, on note que les deux grandes villes d'Ispahan pro-réformatrice et Machad, la conservatrice ont, contrairement à tous les sondages, accordé l'avantage à Ahmedinejad. Pour ce qui est de la ville de Chiraz qui a été fortement divisée entre riches, d'une part, et pauvres de l'autre, elle a fini par céder au raz-de marée des derniers qui, selon les observateurs, menaient une véritable lutte de classes. Dans ce contexte, ces derniers estiment que les dernières déclarations «mercantilistes» de Hojatsoulislam, concernant la distribution des actions de la bourse, avaient créé un effet contraire auprès de la population, notamment les plus démunis et aussi la classe moyenne iranienne. Cette dernière qui a basculé en dernière minute.
Véritables pragmatiques
En appelant juste après son élection à la réconciliation nationale, Mahmoud Ahmedinejad, montre qu'il est le pur produit des véritables pragmatiques au pouvoir. Cela dit, que son adversaire Rafsandjani, tant considéré comme étant le plus habile des pragmatiques de la République islamique, n'est qu'un parmi d'autres. Et que les différentes conjonctures par lesquelles avait passé le régime l'ont aidé à acquérir ce titre. Les résultats de ce scrutin que personne ne peut jusqu'ici encontester la transparence,le prouve. Les erreurs cumulées par le «pragmatique» Rafsandjani qui s'était posé comme le mieux à même de préserver les impérieuses réformes économiques, mais aussi de restaurer les liens avec les Etats-Unis, ont montré qu'il était loin des aspirations de la population à la fois jeune et pauvre.
Par ailleurs, force est de souligner que les conservateurs, dont Ahmedinejad fait partie, avaient su tirer les leçons des rudes épreuves sociales des années précédentes. Ils ont agi en conséquence en travaillant en profondeur auprès des plus démunis, des jeunes qui avaient perdu tout espoir dans les réformateurs et leurs promesses. En effet, le maire de Téhéran ne vient pas d'un vide. Il a emporté avec lui un bagage et des initiatives concrètes et propres que les Iraniens avaient oublié depuis belle lurette. Ce qui a fait sa force en si peu de temps.
Mais le plus important, qu'il ne faut d'ailleurs jamais oublié, c'est que les conservateurs et les haouzates religieuses avaient travaillé jours et nuits pour préparer cette échéance électorale. Ils avaient choisi leur candidat, depuis sa nomination, il y a plus de deux ans, à la tête de la mairie de Téhéran. Un choix très bien ciblé qui a placé Ahmedinejad au cœur des contacts directs avec les populations. Ce qui lui a aussi permis de recenser leurs besoins, leurs inquiétudes et plus significatif leurs mécontentements. Les conservateurs ont montré qu‘ils étaient les véritables pragmatiques en utilisant le principe de la «Taquiah» pour arriver à leurs buts. Montrer le contraire de ce qu'ils pensaient, adoptant un profil bas et discret, encaissant les coups de tout bord, ils ont su investir tous ces facteurs dans leur intérêt le moment venu. «L'Iran défie à travers ces élections transparentes et démocrates les Etats-Unis», déclara le lendemain des élections, Mourched al-thaoura, Ali Khamenei. Il répondit ainsi aux propos émanant du Département d'Etat américain qui considérait que la République islamique est plus que jamais «déphasée» du mouvement de la région vers la liberté.
Avec l'arrivée d'Ahmedinejad à la présidence de la République, la boucle du pouvoir conservateur est bouclée. Les Etats-Unis devraient s'attendre à un durcissement des positions, notamment en Irak où leur échec s'affirme de plus en plus et, où la perturbation de l'administration Bush apparaît au grand jour; ce même, si le président américain s'abstient à fixer le plan de retrait du pays. Le retour au renforcement du tandem Téhéran-Damas devait revenir rapidement à l'ordre du jour. Idem pour le soutien du Hezbollah au Liban et des mouvements islamiques palestiniens. Cela dit, Israël reviendra à la charge pour encourager Washington à s‘aventurer en Syrie en lui laissant la mission de frapper les centres nucléaires en Iran.
En résumé, la victoire de Mahmoud Ahmedinejad ouvrira la région à toutes les éventualités.
Celles-ci ne seront nécessairement pas en faveur des Etats-Unis et son principal allié, Israël.


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