Abderrahmane Chaoui Roqai, directeur des Domaines Industrie, habitat et tourisme sont les trois grands consommateurs du patrimoine foncier privé de l'Etat. S'il est unanimement admis que le foncier ne pose plus de problème au développement du tourisme, ce n'est pas encore le cas pour les deux autres secteurs. Interview exclusive avec le directeur des Domaines. La Gazette du Maroc : quel est l'état des lieux du patrimoine foncier privé de l'Etat en 2005 ? Abderrahman Chaoui Roqai : le domaine privé de l'Etat est aujourd'hui constitué d'un patrimoine foncier de 780.000 hectares. Cette superficie peut être abordée de différentes manières. Retenons simplement que du point de vue juridique, il y a une partie immatriculée et une autre qui ne l'est pas encore. La partie immatriculée représente 433.000 hectares. Celle qui est en voie de l'être et pour laquelle des réquisitions d'immatriculation ont été déposées est de 282.000 hectares. La partie dont aucun dépôt n'a encore été entrepris est estimée à 65.000 hectares. Comment faire du foncier un facteur incitatif d'investissement ? C'est une préoccupation qui se trouve au cœur de l'action gouvernementale. Elle vise à mobiliser le foncier appartenant à l'Etat afin d'inciter l'investissement dans les secteurs de l'habitat, de l'industrie et du tourisme. Cette stratégie d'ensemble consiste à faire appel à des institutions d'aménageurs privées ou publiques pour répondre aux besoins de l'investisseur en foncier. Ce qui éviterait l'accaparement des terrains par un seul investisseur. Ne pensez-vous pas que les développeurs pourraient être tentés par la spéculation ? Au contraire, cet aménagement global permet d'augmenter non seulement l'offre en terrains bruts mais aussi en espaces aménagés. A cet égard, si on prend le cas du Plan Azur, les prix de vente de tous les terrains réservés à l'hôtellerie sont déjà fixés dans le cadre du cahier des charges et de la convention passée avec l'aménageur. Mais ce dernier a une certaine liberté dans tout ce qui est terrain résidentiel. D'ailleurs, je vous renvoie à ce qui était dit tout dernièrement durant “Les Assises nationales du tourisme”. Un certain nombre de professionnels ont déclaré dans leurs interventions que le foncier ne pose plus de problème. Faut-il que l'Etat ait une réserve foncière ? Faire des réserves, cela signifie se comporter en spéculateur. La notion de réserve suppose également la mobilisation de fonds dont le coût n'est pas souvent pris en compte. Enfin, un devoir de surveillance et de gestion de la réserve s'impose. Dans ces conditions, comment gérer une réserve que vous avez sinon que de la remettre en location ? Pour l'instant, je peux dire que la question n'est pas à l'ordre du jour. L'Etat a un grand potentiel de terres brutes. L'essentiel est de les aménager pour les rendre disponibles à l'investissement. L'Etat dispose également, à l'entrée d'un grand nombre de villes d'un potentiel important de terres, la nécessité de faire des achats massifs ne s'est fait donc pas sentir, sauf lorsque les projets sont bien déterminés ou bien ficelés. C'est le cas de l'effort que nous menons à Jorf Lasfar où nous finalisons l'acquisition de 500 hectares auprès du privé pour l'installation d'une zone industrielle. Pour les indemnisations, il y a eu une commission qui a estimé le prix d'achat du mètre carré à 13 dirhams. On a procédé purement et simplement à une expropriation de la partie pour laquelle nous n'avons pas pu avoir un terrain d'entente. Comment sont gérés les terrains agricoles qui sont sous la direction des Domaines ? La direction des Domaines gère 110.000 hectares sous forme de location donnés aux agriculteurs. La procédure utilisée fait appel à la concurrence pour des durées ne dépassant pas cinq années. C'est vrai que pour rentabiliser l'activité agricole, il faut que les agriculteurs disposent d'une plus longue période. Une proposition de contrat soumise à l'approbation de la Primature permettra une période plus longue mais avec, en contrepartie, un engagement du locataire de réaliser les investissements promis. D'ailleurs, tous les terrains repris à la Sodea-Sogeta se placent dans cette optique. La concession des terrains arboricoles sera de quarante années tandis que la location de terres où l'on pratique les cultures annuelles sera de 17 années. Mais, je rappelle que cela ne concerne pas les petites propriétés. Est-ce que vous avez une estimation des retombées financières de la location des 56.000 hectares de la Sodea-Sogeta ? Annuellement, cette location rapportera 95 millions de dirhams à l'Etat. Ce montant est très important dans l'Agriculture. Pour rappel, la moyenne à l'hectare dans ce secteur est de 2.000 dirhams. Ce montant ne sera pas constant durant les quarante années à venir. Il existe des clauses de révision de prix à la hausse de 10 % tous les cinq ans. Mais l'objectif qui est poursuivi à travers cette location ce n'est pas tant le rendement en redevance que l'investissement lui-même. Ce qui est important, c'est la production , le montant de l'investissement, la valeur ajoutée et les emplois à créer. Il existerait plus de 6.000 dossiers de contentieux portant essentiellement sur des problèmes de propriété et de prix. Sont-ils régularisés ou en voie de l'être ? Sur les 6.000 dossiers, il y a abondamment de problèmes d'évacuation des occupations irrégulières, de contestations concernant la réévaluation des prix de certaines locations. Par ailleurs, les décisions judiciaires sont rendues au fur et à mesure. Pendant plusieurs années et afin de favoriser l'investissement, la création d'agence foncière était à l'ordre du jour. Où est l'idée ? Le problème qui se posait au niveau de l'agence foncière était la définition de sa mission. On a toujours parlé d'une agence foncière mais sans que les objectifs de sa création ne soient bien identifiés par rapport aux organismes existants. Est-ce qu'elle devait remplacer la direction des Domaines ? Cela n'était pas à l'ordre du jour. Une agence foncière serait celle qui aménagerait, qui aurait une vision d'avenir. Il existe déjà des organismes qui travaillent dans ce sens-là. Ce sont ces organismes qui relèvent du ministère de l'Habitat comme les ERAC... Pour ce qui est de l'industrie et du tourisme, il existe également des aménageurs. Ce ne sont pas nécessairement des organes de l'Etat, mais cela peut aussi concerner le privé. D'ailleurs, la lettre Royale relative à la gestion déconcentrée de l'investissement a évoqué cette possibilité d'intervention du secteur privé dans le cadre de l'aménagement. Le but de réaliser l'aménagement sera atteint non pas au niveau d'une agence centralisée mais plutôt au niveau d'une déconcentration avec plusieurs intervenants par secteur d'activité. Ce que vous récusez pourtant dans ce domaine a donné des résultats probants en Tunisie… Nous aussi, nous aurons de bons résultats avec cette multiplicité d'intervenants. Permettez-moi de vous dire que le cas tunisien connaît un certain essoufflement. Les organes qui étaient chargés de créer ces zones de développement sont arrivés à la limite de leurs interventions. Au départ, ils ont pu acheter un certain nombre de terrains à des prix intéressants. Cela n'est plus possible aujourd'hui. Je pense qu'en Tunisie la réflexion est orientée vers une politique de partenariat public - privé. Quelle solution si la réserve foncière de l'Etat arrivait à épuisement ? D'après les données disponibles, il est possible d'affirmer qu'il n'y a pas à moyen terme de risques majeurs d'épuisement. En tous les cas, des instruments existent pour pallier une éventuelle indisponibilité de terrains publics. Beaucoup de choses ont été dites sur l'expropriation. Le cadre juridique y afférent est sujet à différentes interprétations. Ne faut-il pas le re-lifter ? La loi sur l'expropriation est relativement récente. Mais son application a montré qu'il fallait améliorer un certain nombre de points dans la procédure tout en maintenant les principes de base. Ce qu'on essaie de faire c'est d'améliorer la procédure pour activer les formalités de transfert de propriété et d'indemnisation.