Auditions de l'IER Figure de proue du mouvement islamiste, Abdelkrim Moutii trouve “sournoise et douteuse” l'action de l'IER. Les adeptes de Cheikh Yassine, eux, y voient un manège makhzénien, ni plus ni moins. Plus subtiles, les Pjdistes tentent d'en tirer profit en mettant, implicitement en cause, sa logique et ses acteurs. Les islamistes et la réconciliation : quelle équation tangible ? Des réticences à l'opposition déclarée, les islamistes marocains n'adoptent pas les mêmes profils à l'égard du travail de l'Instance équité et réconciliation (IER). Les auditions publiques, en particulier. Qualifiant les témoignages et le cortège des douleurs ravivées de manœuvre sournoise, le plus fieffé des islamistes à appeler à l'arrêt pur et simple de ces auditions, est indéniablement le Cheikh Abdelkrim Moutii. Connu pour être le fondateur de la mouvance islamiste, au début des années soixante-dix, par le biais de la Chabiba islamya, le Cheikh actuellement en exil n'y est pas allé par quatre chemins. C'est sur les ondes de Radio Sawa que Moutii, a pour la première fois révélé tout ce qu'il pense de mal de ces auditions. “Il n'y a ni équité ni réconciliation” avait-il asséné. Et d'ajouter “présidée par un ancien marxiste léniniste, (allusion faite à Driss Benzekri) l'Instance concernée n'est en fait que la continuation des œuvres subversives de la gauche marocaine visant à déstabiliser la monarchie”. Accusant Mohamed Elyazghi le premier secrétaire de l'USFP et Mohamed Bouzoubaâ, ministre de la Justice, d'être derrière ce “putsch à peine voilé”, le cheikh pousse le zèle jusqu'à conclure que “la gauche sous-estime l'Etat. Encore en conflit contre ses institutions, elle ne déposera ses armes qu'une fois la monarchie mise à genou”. Plus encore : “les gens de la gauche ne s'arrêteront que si la monarchie se plie à leur diktat, partage ses pouvoirs avec eux, exécute leurs programmes (à la lettre), et surtout condamne ses fondateurs”. Après les ondes, viennent les communiqués de presse. Signé du nom du mouvement islamique marocain (Al Haraka Al Islamya), (MIM) le nouveau nom de baptême de la Chabiba Islamya, un communiqué publié le 18 janvier 2005 sur le site du MIM, fait état de connivence entre les socialistes et des forces occultes au sein du pouvoir. Il est logique, continue ledit communiqué, “qu'ils (les militants de gauche) aient une force occulte à l'intérieur : une force alliée sur laquelle ils fondent leurs espoirs et essaient de lui baliser le chemin”. Bluff ou conviction ? Plutôt, une inimitié inoxydable à l'égard de l'élite dite progressiste et moderniste. Raison d'être fortement revendiquée par la Chabiba Islamya, la guerre larvée contre la gauche a été pour les amis de Moutii ce que la cible est pour le tireur : un objectif. Mais aussi, une stratégie, que même les dissidents d'après Abdelilah Benkirane, Mohamed Yatime, et Abdellah Baha entre autres membres actuels du PJD, n'ont pas reniée. En dépit du conflit et du démarcage politico-organisationnel vis-à-vis de A. Moutii, “la dévotion par l'opposition à la gauche” (Attaâbboudou Bi Moukhalafat al Yassar) est une idée maîtresse, sinon structurante du mouvement Al Islah, d'abord et du PJD ensuite. Au-delà de l'aspect idéologique, des raisons plus pragmatiques président, sans doute aucun, aux positions adoptées par le PJD. Tout commence par la mystique et se termine par la politique. N'allant pas jusqu'à boycotter, sinon s'opposer aux auditions publiques, il n'en éprouve pas moins une certaine réserve. Un signe parmi d'autres : Seuls M. Ramid et A. Baha ont assisté, le 22 décembre 2004 aux premières auditions organisées à Rabat. Saâdeddine Othmani, le secrétaire général, lui, a brillé par son absence. En parallèle, le PJD n'a eu de cesse de revendiquer la révision des procès de l'après 16 mai. D'une manière implicite certes mais qui ne manque pas d'insinuation : Profiter de l'air du temps pour étendre sans le déclarer la période des violations des droits de l'homme jusqu'à 2003. Plus explicites, certains dirigeants, dont M. Ramid, vont jusqu'à établir le parallélisme entre les “deux passés”. Donner la parole, en surnombre, qu'aux gens de la gauche (l'UNFP et l'USFP surtout) équivaut pour les islamistes du PJD à redorer le blason des mouvements politiques et idéologiques “ennemis”. En clair : seule la gauche, et donc le camp moderniste, en tirera profit. Le plus grand courant islamiste extra-institutionnel, néanmoins demi-toléré, Al Adl Wal Ihsane, se positionne diamétralement à l'opposé de la logique de l'IER. Ses figures les plus en vue, aussi bien F. Arsalane que “le jeune loup” Abdessamad Fathi, y voient même “un subterfuge qui vise à maquiller les réalités”. Les réalités ? C'est un détenu Adli et qui répond au nom de Mohamed Lyaoui, l'un des condamnés pour l'assassinat d'un étudiant qui les détaillent. En un mot : l'IER est une “manipulation makhzénienne” et un outil de service. Ni plus, ni moins. Dans un article paru sur les colonnes “Al Baïdaoui”, l'auteur remet en cause la constitution de l'Instance, ses gens et son travail. Rejoignant ainsi les positions de l'islamiste en exil, Moutii, il n'y voit qu'une “initiative politicienne” d'une élite “essoufflée”. Comme quoi, de la prison de Kénitra au pavillon suédois, les islamistes ne sont pas encore prêts pour la réconciliation. Qui l'emportera, l'éthique ou la politique ?