Monde arabe Les pays du Golfe, plus particulièrement l'Arabie Saoudite, prennent trop au sérieux la dernière menace d'Oussama Ben Laden dans laquelle il appelle à attaquer les sites pétroliers. Si cette menace est mise à excécution comme il le souhaite, le Moyen-Orient entrera alors dans un tunnel dont on ne verra pas de si tôt le bout. Les enquêteurs britanniques qui avaient arrêté deux Saoudiens, un Yéménite et trois Irakiens à Bassora, il y a quinze jours, n'ont pas cru ces derniers lorsqu'ils ont révélé que l'objectif de leurs opérations était uniquement les sites pétroliers en Irak. Et qu'ils se sont entraînés pour effectuer ce travail, et que les forces d'occupation ne sont pas de leur ressort. Aujourd'hui, après la dernière sortie du chef d'Al Qaïda, les stratèges de la coalition, basés à Doha, à Koweit city et à Amman, étudient sans relâche les éventuelles répercussions du changement de tactiques du mouvement terroriste et de ses ramifications dans la région. Le jour même de la diffusion de la cassette de Ben Laden, l'Administration américaine a demandé à ses ressortissants de ne pas s'aventurer dans les rues de Koweit city; elle a également adressé un message où elle alerta le gouvernement koweitien d'attentats qui viseront la raffinerie et le terminal du port d'Al-Ahmadi. Depuis, tous les sites pétroliers sont hérmétiquement bouclés; idem pour les frontières, non seulement avec l'Irak, mais avec les autres pays arabes. De son côté, l'Arabie saoudite a mutiplié ses dispositifs autour des sites devenus une sorte de forteresse, notamment à Yanbu et Jubeil, à Dahran et Khobar-La région-Est, où se concentre la richesse en hydrocarbures du royaume. Son gouverneur, le prince Mohamed ben Fahd ben Abdelaziz accompagne personnellement l'élite de l'armée saoudienne chargée de la sécurité de ces sites. Dans ce contexte, on apprend que Ryad a demandé l'aide de la Jordanie et de l'Egypte pour renforcer son dispositif. Pis, elle a dépêché à Paris, le week-end dernier, une délégation militaire pour accélérer les négociations portant sur l'achat du système électronique avancé baptisé Miksa, dont le coût est estimé à 7 milliards d'euros. La panique s'installe Les cassettes livrées à certaines chaînes arabes sont parfois importantes et il ne faut pas les prendre à la légère. la dernière en date, dans laquelle il incite les “combattants pour l'Islam” à viser les sites pétroliers en Irak et dans les pays du Golf, en est une. Car, elle reflète ses nouveaux plans, également l'évolution de ses idées et de ses positions en fonction des évènements. De plus, ces cassettes confirment qu'il est toujours vivant et capable de communiquer à l'étranger. C'est ce qu'a d'ailleurs affirmé le président pakistanais, Pervez Musharraf, lors de sa dernière visite en Arabie saoudite. Quoi qu'il en soit, force est de souligner que la dernière cassette du chef d'Al Qaïda, diffuseé sur certains sites islamiques, jeudi dernier, est différente de par son contenu et ses indices. En effet, pour la première fois, elle comprend un signe claire comme quoi elle a été enregistrée il y a moins de deux semaines. Car, il fait l'éloge de l'attaque qui a visé le consulat des Etats-Unis à Jeddah. D'habitude, les dates d'enregistrement de ces cassettes laissent beaucoup d'interrogations du fait qu'elles n'évoquent pas d'évènements précis, ni leur timing. L'importance de cette cassette, qui a dépassé l'heure, c'est qu'elle comprenait des analyses basées sur des chiffres et des faits marquants les affaires arabes et internationales; notamment, la situation en Irak à la veille des élections prévues le 30 janvier prochain et tout ce qui touche la péninsule arabe. Cela dit que l'homme se trouve dans un environnement sûr, il n'est donc ni dans une grotte de Vizirstan, ni dans un trou. Et qu'il a tous les moyens nécessaires et modernes pour communiquer avec le monde. Le tournant qui inquiète les stratèges occidentaux et les responsables des pays du Golfe, c'est le changement de tactique adopté par Ben Laden. En se concentrant sur le pétrole et la demande à ses partisans et sympathisants d'attaquer les sites et les raffineries, plus particulièrement en Arabie saoudite et en Irak, pour empêcher les Américains de le “spolier à bas prix”, il a imposé un changement de la donne, d'une part; et, de l'autre, contraint ses “ennemis” à réviser leurs plans avec ce que cela comporte au niveau des efforts et des coûts. Oussama Ben Laden veut maintenant frapper les intérêts américains dans la région au lieu d'aller aux Etats-Unis, comme il l'a fait le 11 septembre 2001. Ce sera beaucoup plus coûteux pour ces derniers et leurs alliés du pays du Golfe. Reste à savoir pourquoi le chef d'Al Qaïda a maintenant décidé d'opter pour ce choix et pas avant ? A cette interrogation, un universitaire à Bahrein qui a côtoyé Ben Laden pendant deux ans en Afghanistan répond que ce dernier ne s'engage explicitement que s'il est certain de réaliser l'objectif qu'il a défini et annoncé. Pour cette raison, on assiste actuellement à un vent de panique sans précédent dans la majorité des pays du Golfe. Y compris l'Iran qui vient d'impliquer de nouvelles forces dans la sécurité de ses sites pétroliers et nucléaires. A Riyad où l'on tente de masquer les craintes, on s'accorde à dire, même dans les hautes sphères, que Ben laden a, contrairement à beaucoup d'autres terroristes, les moyens de ses politiques. Et puisqu'il a appelé à attaquer les sites pétroliers, c'est qu'il maîtrise déjà ses plans, d'autant qu'il a recruté et entraîné les éléments capables d'effectuer ce genre d'opérations. Ce qui perturbe le plus les services saoudiens concernés, c'est son appel à la destitution du régime en place. En d'autres termes, et pour la première fois, il a donné un feu vert pour viser la famille royale ou certains de ses membres. Ainsi, Ben Laden a franchi toutes les lignes dans l'objectif de se positionner comme un principal et incontournable joueur régional. En s'attaquant aux sites pétroliers, Ben Laden veut non seulement déstabiliser les régimes du Golfe, mais affaiblir leurs économies. Ce qui, selon lui, prépare mieux le terrain à des émeutes populaires que d'autres ramifications d'Al Qaïda se chargeront, le moment opportun, de mobiliser. En dépit de ces signaux de changement de tactique et même de stratégie, il reste à Ben Laden de prouver qu'il a véritablement les moyens de cette nouvelle politique. Une épreuve difficile et délicate, car les Etats-Unis et ses alliés occidentaux et arabes n'ont pas l'intention de se laisser faire.