Algérie Depuis août dernier, les réserves en devises de l'Algérie ont dépassé la barre de 35 millions $. Si les prix du baril de brut se maintiennent dans une fourchette de 40 à 42 $, d'ici fin décembre prochain, ce matelas atteindra facilement les 38 milliards $. En dépit de ces réserves cumulées et de ces rentrées exceptionnelles, la population continue à s'appauvrir. Tous nos responsables, sans exception, lient leur réussite aux réserves en devises enfermées dans les coffres de la Banque centrale. Cependant, aucun d'entre eux n'ose dire au peuple ce qu'il font réellement de cet argent ? Surtout que les sinistrés de la région de Boumerdès vivent depuis des mois sous les tentes ! Cette remarque a été faite par un éminent économiste algérien lors du déjeuner-débat, organisé à Bercy à l'occasion de la récente visite du ministre français de l'Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy, à Alger. Quoi qu'il en soit, force est de noter que les langues se délient partout et à tous les niveaux dans le pays du million de martyrs. Le gouvernement d'Ahmed Ouyehyia, qui ne cesse depuis les dernières élections présidentielles de montrer que l'objectif principal consiste aujourd'hui à s'attaquer aux problèmes sociaux, faisant des promesses dans ce sens, à gauche et à droite, n'arrive pas, en fin de compte, à avoir les fonds nécessaires pour démarrer certains des chantiers qu'il avait déjà annoncé. Ce, au moment où le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme (MHU), s'engage, tambour battant, à construire 1.300.000 logements d'ici 2009, sans pour autant évoquer les contraintes qui entravent ce programme trop ambitieux. A cet égard, l'entourage du Président Abdelaziz Bouteflika, dont le social doit devenir son cheval de bataille s'il a l'intention de terminer son deuxième mandat sans heurts et malheurs, affirme néanmoins que la priorité, à l'heure actuelle, consiste à mettre de l'ordre dans la maison. En d'autres termes, poursuivre le retour en force sur la scène internationale, et convaincre les Occidentaux, Américains comme Européens, que l'Algérie a changé, qu'elle est devenue incontournable dans son environnement. Pour cet entourage, c'est pour réaliser ces “grands objectifs” que l'Etat algérien devra dépenser une partie considérable de ses excédents financiers pour l'instant. Quant au reste, la relance de l'économie, les projets sociaux et d'infrastructures, cela viendra au fur et à mesure, et d'ajouter : comme l'a souvent dit le Président de la République, le secteur privé devra montrer plus d'engagement dans le processus de développement en cours. Mauvaise gestion des ressources Dans une de ses interventions, l'expert haïtien, Georges Michael, considère que l'Algérie, en tant que pays en voie de développement, souffre d'une mauvaise gestion de ses ressources financières. Ce dernier se basait sur les rapports des institutions internationales montrant la fragilité des équilibres dans ce domaine ainsi que la faiblesse au niveau de l'investissement de ses richesses. “Si le volume de l'endettement de l'Algérie, estimé fin juin 2004 à 23,2 milliards de $, ne constitue plus un facteur d'inquiétude, cependant, les énormes dépenses inexplicables et opaques, pourraient engendrer des secousses économiques dans un avenir prochain”, souligne l'expert. Dans ce même ordre de constatation, les économistes de la Banque mondiale attirent de plus en plus l'attention sur l'augmentation considérable par l'Etat algérien du budget de la Défense au détriment de celui du développement, critiquant, en même temps, le recours à l'emprunt extérieur pour financer certains projets de grande envergure telles que la construction d'un nouvel aéroport international et la réalisation du métro d'Alger. Par ailleurs, le programme coûteux de surarmement dans lequel s'est lancé le ministère de la Défense avec l'aval de la Présidence, depuis maintenant trois ans, suscite trop d'interrogations, notamment en raison du manque de transparence, auquel s'ajoute aussi le black-out total sur la gestion des revenus des hydrocarbures dont dépend l'économie nationale à hauteur de 96%. Les chancelleries occidentales n'hésitent pas à questionner les diplomates algériens en poste dans leurs capitales sur les informations et les rumeurs portant sur l'opacité des contrats d'armements signés, les pots-de-vin accordés. Cela, même si plusieurs pays européens se concurrencent pour faire profiter à leurs sociétés de la manne pétrolière algérienne actuelle. C'est le cas, par exemple, de la France, qui vient d'augmenter ses lignes de crédit et de transformer ses créances en investissements. Pourtant, les études établies par les services spécialisés auprès de l'Union européenne à Bruxelles ainsi que par les experts des banques d'affaires, s'accordent à s'interroger sur le sort du surplus des revenus et des réserves dégagés ces deux dernières années. En effet, ces services et experts se doutent des chiffres officiels avancés par le gouvernement, également, à l'égard des déclarations émanant des ministres algériens concernés par la gestion des ressources financières. De ce fait, un économiste européen, chargé du dossier algérien à Bruxelles, considère que les justifications de l'argentier, Abdellatif ben Achinhou, homme très proche du Président Bouteflika, d'ailleurs comme Chakib Khalil, ministre de l'Energie et des Mines- concernant l'utilisation des réserves de change, ne sont guère convaincantes. Ce dernier a indiqué que ces réserves d'environ 35 milliards $, réparties entre la Sonatrach, les investissements étrangers et le Fonds de régularisation du budget, sont très bien gérées par la Banque Centrale d'Algérie. Ce, au moment où cette institution aussi bien sa gestion que ses hommes sont sujets à des enquêtes juridiciaires, plus particulièrement, après la faillite d'Al Khalifa Bank et certains établissements privés dont, entre autres, l'Union Bank de l'homme d'affaires jadis proche de l'establishment Brahim Hadjaz. Face aux interrogations et des interpellations des économistes, des journalistes et des associations de la société civile, Ben Achinhou persiste et signe, campe sur ses positions, affirmant que les réserves de change ne peuvent, en aucun cas, être utilisées en dehors de la sauvegarde des équilibres monétaires, même si une partie provient des exportations des hydrocarbures ou de la vente des deux licences du GSM. Toutefois, le ministre s'abstient de répondre au cœur du sujet : où va l'argent des hydrocarbures ? La culture du flou L'Algérie possède, à l'heure actuelle, l'équivalent de 20 mois d'importations. Mais ce niveau pourrait reculer en raison de la hausse considérable enregistrée depuis le début de l'année sur le plan des importations estimée à 8,18 milliards $ pour le premier semestre de 2004. Si les équilibres financiers de par la Balance de paiements et de la liquidité sont corrects, cependant, le niveau de l'économie algérienne ne reflète généralement pas la réalité de l'aisance financière. Car cette situation demeure “artificielle” tant que les revenus des hydrocarbures représentent plus de 90% de la structure des réserves de change, contre moins de 10% des investissements directs étrangers, l'or et les DTS (Droits de tirage spéciaux). Sur ces points et sur les dépenses non déclarées, y compris commissions, détournements de fonds et escroqueries, comme cela a été le cas avec l'affaire Al-Khalifa, le flou reste de mise. Ce constat a été abordé indirectement par le dernier rapport de l'OCDE (l'organisation de coopération et de développement économique). Cette dernière est focalisée sur le secteur financier algérien qui reste inefficace alors que le programme de soutien à la relance économique (PSRE), destiné à relancer la croissance à un rythme annuel de 5 à 6%, et de créer près de 850.000 emplois, demeure loin d'être concrétisé, ce, malgré l'accroissement des revenus des hydrocarbures et des avoirs nets extérieurs du pays. La persistance de la part de l'Etat algérien à ne pas répondre aux interrogations à ce sujet, incite de plus en plus les différents milieux à se poser l'éternelle question : où va l'argent de l'Algérie ?