Hamed Abderrahmane Ahmed Hamed Abderrahmane Ahmed s'estime sauvé aujourd'hui. Il a échappé à la folie, à la mort certaine. Il se dit lui-même un miraculé et affirme revenir de l'enfer. Un voyage qui l'a mené à travers les geôles inhumaines d'Afghanistan en passant par Guantanamo et ses tortures avant d'atterrir, à son grand soulagement, à la prison d'Alcala-Meco à Madrid. La Gazette revient sur les 16 mois qu'il a vécus entre Kandahar et Guantanamo. Il ne faut pas compter sur Hamed pour entrer dans les détails en ce moment. A peine libéré, il est toujours éprouvé, sous le choc, traumatisé. Sa vie ne ressemble en rien à celle d'un être humain normal. Il a subi des “choses” qu'il ne peut “pas raconter” et tente de réaliser sa chance d'être enfin parmi les siens. Les souvenirs de cette incarcération illégale à Guantanamo et avant cela en Afghanistan sont ce qu'il a vécu de pire dans sa vie. Il ne pensait pas qu'un jour son chemin allait croiser ces bourreaux américains qui l'ont enchaîné et jeté dans un trou à rat quelque part dans ce No man's land qu'est l'Afghanistan avant de lui mettre une cagoule sur la tête de l'écarteler dans un avion cargo militaire en partance vers nulle part. Il n'avait pas senti le temps passé, roué de coups, à bout de force. Il aura passé des heures interminables dans cet avion attaché comme une bête de somme sans manger, ni boire avec de temps à autre une claque, un coup de poing dans les tripes, un crachat ou une injure pour lui rappeler que le temps ne s'était pas encore arrêté. Au bout du chemin, ce sont des soldats surarmés, qui l'arrachent des limbes de cet avion. Il descend, se fait harponner comme un poisson mort par des soldats surentraînés qui l'accueillent avec quelques insultes, lui et les autres membres de son convoi qu'il n'aura jamais vu avant de passer dans sa cellule individuelle où on l'a habillé en orange, rasé la tête, coupé la barbe malgré lui. C'était une entrée en matière pour le moins inattendu. Hamed qui se dit “innocent” et qui refuse qu'on lui colle l'étiquette d'un Taliban forcené aurait même pensé qu'une fois dans les mains des Américains “il sera mieux traité et surtout il y aura des gens pour l'écouter”. La désillusion est immense quand il se rend compte que cet enfer clinquant était pire que celui de la poussière et de la fumée âcre de Kandahar. La folie rôde dans les parages Tenir sans devenir fou, sans perdre la tête, c'était ce qu'il se disait en lui-même pour combattre les idées noires qui venaient ronger son esprit : “le plus dur est de garder son calme, de se dire que tout cela pourrait un jour finir, mais quand on ne sait rien sur rien, et que le sentiment de la mort est de plus en plus pressant, c'est la fin qui te guette à chaque instant. C'est ce sentiment qui est pire que tout le reste.” Hamed fléchit comme tous les autres Marocains et co-détenus qui ne pouvaient ni se voir ni se parler. Jetés dans les cellules métalliques, ils sont harcelés par des techniques de torture du dernier cru américain. Sans s'étaler sur tout cela, on saura que ce sont par exemple les tentatives de suicides qui ont le plus marqué ce séjour de deux ans à Guantanamo. Un nombre important de détenus a tenté le suicide. En une semaine, il a été enregistré 31 tentatives de suicide, commises par 21 détenus, dont certains à plusieurs reprises. Aucun détenu n'en est mort, mais l'un d'eux en a gardé des séquelles médicales graves. Dans le tas, il y aurait trois Marocains qui voulaient en finir “parce qu'ils avaient craqué et touché le chemin de non-retour”. Ces Marocains de Guantanamo ainsi que tous les autres détenus sont considérés comme des “criminels” “des assassins”. On les appelle aussi avec des noms d'oiseaux que les gardiens de Guantanamo affectionnent particulièrement pour se moquer des prisonniers. La version américaine, elle, voudrait que les soldats chargés de garder les détenus reçoivent une formation pour apprendre à “travailler avec des détenus musulmans” et les “commentaires raciaux ne sont pas tolérés”. Ceci dit il n'en reste pas moins que ces qualificatifs “sont des termes notoirement racistes et islamophobes” dénoncé par toutes les organisations de droits de l'homme dans le monde mais Washington fait la sourde oreille et construit dans la foulée un tribunal pour juger les détenus sur place. Ce qui fait que Hamed a eu une chance inouïe de s'en tirer sans passer dans des tribunaux qui n'obéissent à aucun droit international. La torture et les cris dans la nuit On le sait pour l'avoir entendu à maintes reprises, les soldats de Guantanamo comme ceux d'Abou Ghrib ne font pas dans la dentelle. Jusque-là Hamed ne veut pas s'étaler sur la torture, mais quand il vous dit qu'il revient de l'enfer, il vous laisse imaginer le pire qu'un être humain a pu vivre sous les coups d'un autre qui, lui, se croit supérieur. Des centaines de blessés qui font le va-et-vient entre les centres médicaux et leurs cellules, des navettes sur brancard après des séances très électriques d'interrogatoires, des coups de poings quand on perd son clame, de la nourriture forcée quand les détenus refusent de manger, des piqûres de “je ne sais quoi”, des chiens qui viennent vous menacer les parties génitales après que les soldats vous aient mis à poil, la lumière qui ne s'éteint pas, des bruits assourdissants pour user les nerfs, et d'autres technicités dont les prisonniers ont été les cobayes. Pour pousser les détenus à bout, certains soldats en sont venus à fouler aux pieds les Corans remis aux prisonniers avec leurs tuniques oranges et leurs sandales. Certains ont même uriné sur le Coran, ont affirmé plusieurs détenus relâchés depuis, et qui ont relaté leur torture avec détails et minutie. Et quand un prisonnier se rebiffe, sort de ses gonds, fait le dur, il est tabassé, écrasé, lavé et essoré. On ne le revoit pas pendant quelques jours le temps de faire un passage par le centre médical pour cacher ses plaies. Guantanamo “est ce qu'on n'oublie jamais” pour des raisons évidentes. C'était comme si tu avais quitté le monde des humains pour faire un passage par un autre monde que personne ne peut décrire. Au retour “c'est comme sortir de l'enfer”. Et l'enfer avait un visage d'homme parfois quand on venait vous mettre les chaînes aux pieds pour marcher un peu, histoire de se dégourdir les jambes, de faire un tour et d'apprécier le paysage de centaines de blouses oranges enchaînés comme du bétail dans un marché à barbelés. La suite se résume en un rituel immuable, entre torture, mauvais traitements, nourriture identique et forcée, passage à tabac et usure des capacités psychologiques de tous les détenus en vue des interrogatoires. Hamed porte aujourd'hui, lui aussi, les séquelles de cet enfer qu'il a traversé et son souhait est de tourner cette page difficile et d'entamer une nouvelle vie comme un nouveau né parce que sa libération est une nouvelle naissance.