Les autorités britanniques ont été sommées par Amnesty International de prendre au sérieux les accusations de mauvais traitements, formulées par des anciens détenus qui ont fait l'objet de torture à Guantanamo. Les responsables officiels du Royaume-Uni sont dans une mauvaise posture. Stephen Bowen, le directeur chargé des campagnes d'Amnesty International, met en garde les autorités britanniques contre une considération à la légère des accusations signées par d'anciens détenus de la base de Guantanamo. En effet, libérés en mars dernier du centre de détention de l'armée américaine, les cinq Britanniques ont de quoi bousculer les autorités de leur pays au cas où celles-ci ignoreraient leurs plaintes. Trois ex-détenus parmi le lot ont fait l'objet de mauvais traitements lors de leur détention dans la base américaine. L'affaire des trois Britanniques a fait l'objet d'un dossier consistant, s'étalant sur 115 pages, qui a été publié, hier par « The Guardian », en Angleterre et aux Etats-Unis. Mais par on ne sait quel miracle, le chef de la diplomatie britannique n'aurait pas eu vent de « quelconques accusations de mauvais traitements, durant leur détention ou après leur libération ». Shafiq Rasul, Asif Iqbal et Rhuhel Ahmed affirment avoir été battus, entre autres mauvais traitements. Leurs tortionnaires recouraient à tous les moyens, n'en épargnant aucun, pourvu qu'ils passent à table. Cela va des menaces par des armes à feu ou des chiens, rappelant étrangement les pratiques américaines dans la prison d'Abou Ghreïb en Irak, prouvées par les clichés pris durant les séances de torture. Chose qui illustre, si besoin est, que les «Guantanaméens» étaient les premiers à faire les frais d'une guerre contre le terrorisme qui a dérapé dès son déclenchement. Une guerre dont l'onde de choc n'a épargné aucun pays, donnant un véritable coup de fouet au terrorisme au lieu de le juguler. A Guantanamo, les détenus étaient également forcés à rester éveillés afin de leur extorquer n'importe quelle information. Chose qui ne donnait presque pas de résultats, car dans la majorité des cas, les prisonniers n'étaient pas en possession des informations sollicitées. Une vérité dont attesta Michael Dunlavey, premier commandant du camp de Guantanamo. Docteur en Droit et avocat dans le civil, Dunlavey avait craqué, au bout de quelques mois passés à la tête de Guantanamo. Les gens qu'il était censé interroger ne savaient même pas de quoi parlait leur interlocuteur. Il décida de se rendre illico en Afghanistan où il aurait lessivé les agents de la CIA. «Mais arrêtez donc de nous envoyer des Mickey Mouse ! Il n'y a pas un seul terroriste là-dedans !», aurait-il invectivé. Ce retour en arrière permet d'établir que sans informations à livrer, les torturés garderont leur statut sine die. Ils ne cracheront pas un morceau dont ils ne disposent pas et l'atrocité des tortures en pendra des galons. Le témoignage de Shafiq, Iqbal et Ahmed concorde avec celui de Mourad Benchellali et Nizar Sassi, les deux Français qui se sont extirpés du camp de concentration américain. En effet, ils avaient fait état de formes diverses de torture, notamment de menaces avec des chiens lors d'interrogatoires menés à l'aide de fusils à pompe. Les Français ont également souligné avoir subi des traitements identiques à ceux pratiqués dans la tristement célèbre prison d'Abou Ghreïb. Un autre rescapé de Guantanamo est atteint d'infirmité paraissant irréversible, suite à son passage par la base américaine. Surnommé le «Taliban espagnol», Hamed Abderrahman, qui portera, en vain, plainte contre George Walker Bush, portera à vie les souvenirs de son séjour à Guantanamo. Outre les séquelles psychologiques, le Taliban espagnol a partiellement perdu la vue. Rien d'étonnant. Au gré des années, ce qui se déroulait, en secret, dans les geôles de la base américaine devra, inévitablement, tomber dans le domaine public. Guantanamo et Abou Ghreïb, deux lieux éloignés, deux forteresses où se déroulent des scénarios identiques, deux endroits où la souffrance des uns est le gagne-pain des autres. Autant de similitudes, certes, mais une seule différence pourrait se dégager entre ces deux tristes hauts-lieux de torture : dans les couloirs de Guantanamo, les appareils photo ne circulent pas. Du moins, c'est ce que croient les maîtres des lieux…