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Lavapiès un coin du Maroc à Madrid
Publié dans La Gazette du Maroc le 24 - 05 - 2004


L'après-11 mars
Lavapiès est un quartier cosmopolite d'une extrême hospitalité. On y rencontre de toutes les origines : Marocains, Algériens, Indous, Sénégalais, Guinéens, Chinois, Bangladais, Boliviens, Vénézuéliens… Un coin de terre où les cinq continents sont à peu près représentés à mesures inégales comme c'est le cas en dehors des quartiers ghettos très chers à l'Europe.
Les Marocains tiennent le haut de l'affiche depuis que le 11 mars a mis sous les feux de la rampe les noms de plus de vingt Marocains, considérés comme les auteurs matériels des attentats de Madrid ou des complices à différents niveaux. Plus rien n'est aujourd'hui comme hier.
Le voisinage a été ébranlé par de nombreuses arrestations spectaculaires qui ont touché dans un périmètre de 400 mètres au moins une bonne dizaine de suspects. Aujourd'hui entre Marocains et Espagnols, entre natifs du pays et les autres communautés, c'est un peu la méfiance et la peur qui régulent les atmosphères. Avec l'attente de “cette vérité” absente de l'innocence tant voulue par les jeunes de Lavapiès.
“Es una mierda”. Dans le jargon universel, on se passe bien de traduire une telle phrase non dite mais presque crachée au visage de tous ceux qui s'aventurent à Lavapiès pour s'enquérir des affaires des Marocains après le 11 mars 2004 et les macabres attentats de Madrid. “Tout le monde a eu ce qu'il voulait dans cette affaire. Les Marocains sont aujourd'hui les boucs émissaires. On les conduit aux abattoirs et on lâche les chiens fous pour leurs bouffer la chair. C'est cela qui arrive maintenant. Je ne veux défendre personne et ce Zougam n'est ni un ami ni un frère. Je ne le connaissais même pas, jusqu'au jour où on l'a sorti avec un sac poubelle sur la tête. C'est une grosse merde dans laquelle tout le monde patauge aujourd'hui et vous savez pourquoi ? C'est simple, les Espagnols nous avaient à l'œil, là ils nous tiennent et ce n'est que le début. C'est moi qui vous le dit. Entiendes ? ”
“La politique, c'est des conneries”
Lavapiès est un quartier-village où il fait bon vivre. Situé à quelques encablures du centre officiel de Madrid, il est à deux stations de métro de la Puerta del Sol. Quand on sort des sous-sols de la ville, on monte les escaliers avec cette enseigne Lavapiès ceinturée de rouge qui vous indique déjà que vous êtes au cœur du fameux quartier dont tout le monde en parle aujourd'hui. La bouche de métro donne sur un petit jardin, une espèce de place un peu étriquée, mais qui respire une vie sans bornes. On rencontre toute une panoplie de visages qui sont autant d'origines, autant d'identités stationnées dans les lieux pour affirmer leurs appartenances et surtout échapper à la morosité de la vie. Sur cette place, on occupe les bancs publics, on sort son litre de bière Mahou et on picole. On se parle, on pousse de la voix, on se raconte des blagues, les tourments de la vie et on tourne le dos à la politique : “La politique, c'est la plus grosse connerie de la vie. Déjà que je n'ai pas assez de temps pour vivre, croyez-vous vraiment que je vais le perdre à commenter la victoire de Zapatero ou la défaite de cet intégriste d'Aznar ? Non, j'ai mieux à faire, amigo. Ici je viens rompre le dos au destin, je bois un coup et je me marre, je me fous de la vie et du reste et surtout je fais un gros bras d'honneur aux politicards suceurs de sang ”.
Pour le reste du monde qui s'agglutine sur la place, la vie prend des allures de longue ballade pas si tranquille que cela, émaillée d'accros avec la routine, le besoin, la frustration et la colère. Oui, à Lavapiès, on renifle cette rage rongée de l'intérieur et qui ne sait plus quel chemin prendre pour éclater. Le magma a perdu le nord et les fissures de la vie ne permettent pas au dôme de se former pour le panache final. “Je rouspétais beaucoup au début parce qu'un connard de La Guardia Civil m'embête pour le plaisir ou pour me faire savoir qu'il est le chef. Mais là, je suis huilé, je laisse couler et si on vient me chercher je tourne le dos et j'en ris. Savez-vous pourquoi ? Parce que je suis un problème pour eux alors que pour moi, ils sont tous inexistants ”.
“Je ne vais pas rentrer au pays ”
Lavapiès est un carrefour. Un rond-point de toutes les races où l'on s'appuie sur ses frères du pays sans pour autant vivre ghettoïsés. “Je vis entre les Marocains, explique Abdelilah, un jeune homme natif de Kénitra qui tient une boutique de légumes et autres produits alimentaires. Normal, c'est le pays et son odeur, la langue, les comportements, la manière d'être, tout ce qui fait qu'un Marocain n'est pas un Chinois. Mais je ne suis pas fermé aux autres. Regardez, il y a des Africains noirs qui viennent parler un coup avec moi du Mondial 2010 et des Chinois qui adorent le pain marocain fait maison. Oui, c'est ma mère qui le fait. Nous sommes tous ici, les parents, les frères et sœurs. On a immigré depuis plus de vingt ans et la vie n'est pas plus mal. Il faut juste se sentir bien dans sa peau. Mais avec ce qui se passe aujourd'hui, c'est un peu difficile”.
Abdelilah est un garçon d'une très bonne éducation. Toujours affable, très souriant, serviable, il est là devant son magasin à partager un moment avec tel ou tel autre voisin, à parler de football, de la bérézina des Galactiques du Real de Madrid ou de l'hospitalisation de Diego, “le Dieu Si Maradona”. Ou encore des plages de Kénitra l'été : “où nous sommes les plus heureux du monde quand on passe une belle journée sous le soleil, les pieds dans l'eau et la tête loin des tracas de la vie en Espagne”. Pour Abdelilah, le quartier est devenu “très dur”. La mauvaise réputation ne sort pas de nulle part. Elle est justifiée, elle est réelle. Mais ce n'est pas plus mal ici qu'ailleurs. “On deale ici, on vole, on cambriole, on fait de sales coups, on se démerde, on tente de s'en tirer à moindre frais. C'est triste, mais c'est normal aussi. Les gens débarquent ici et se laissent vivre au gré des rencontres et des aventures. Les autorités espagnoles encouragent le crime et le trafic ici pour multiplier les coups de filets et le cassage de gueule. Au moins un jeune sur trois a déjà été tabassé devant chez lui par les policiers”. Ces histoires de castagne sont monnaie courante et tout le monde en parle et pas seulement les Marocains. Tout le monde y est passé un jour. On y reviendra plus tard. Pour l'heure Abdelilah détaille un peu ce qui se passe depuis le 11 mars : “c'est de la folie. La police nous encerclait avant. Mais après l'arrestation de Jamal et des autres, nous sommes assiégés tous les jours. Regardez, comptez le nombre de fois que la police va passer devant nous. C'est incalculable. Certains disent que leur souhait est de nous voir vider les lieux. Qu'ils comptent sans moi, car moi et les miens on reste. On travaille et on reste. Et si un jour, ils décident de nous déloger, ce sera une autre histoire ”.
Abdelilah nous montre la maison sur trois étages et nous explique que toute la famille vit ici, chacun dans un étage. “C'est le travail de toute une vie cette maison et ce magasin. Il est hors de question qu'on laisse cela à d'autres ”.
“Zougam s'est fait avoir comme un con”
Lavapiès affiche comble ce lundi. Devant le salon de coiffure Paparazzi mêlé aussi aux affaires de Jamal Zougam et consorts, c'est un jeune homme qui nous dit d'aller voir ailleurs sans trop de manières. “Non, ce n'est pas ici que cela s'est passé. C'est là-bas chez Abdou, l'autre salon de coiffure, plus loin encore”. Nous sommes dans la rue de Tribulete, là où Jamal Zougam et son demi-frère Mohamed Chaoui et leur ami Mohamed Bekkali avaient leur Locutorio de téléphonie mobile et autres affaires. Le coiffeur rasé de près est un tantinet en colère. Il ne veut pas qu'on l'associe à ce qui s'est passé près de chez lui. “Non, ils se sont trompés de magasin de coiffure. C'est l'autre, je vous dis”. C'est là que l'un des voisins vient nous raconter une histoire bizarre sur le magasin de Zougam qui a été cambriolé deux fois de suite en l'espace d'une semaine sous les yeux de la surveillance de la Guardia Civil qui patrouille devant chez le Marocain. “Imaginez que c'est le magasin le plus connu d'Espagne aujourd'hui. C'est l'endroit le plus protégé et le plus surveillé du monde. Pourtant malgré les caméras et tout le bazar, on a trouvé moyen de cambrioler le magasin de Zougam à deux reprises. Est-ce possible ? Est-ce normal ? Et demain on viendra nous parler d'une preuve supplémentaire ou d'une empreinte trouvée sur place. C'est tout de même bizarre cette histoire, vous ne croyez pas ? Comment alors croire que toutes les preuves que la police nous sort sur lui et ses amis sont vraies ? Avouez que c'est dur à avaler surtout que n'importe qui peut déposer n'importe quoi dans le magasin pour faire plonger le Marocain ou alors juste comme ça par connerie”.
Le magasin de Jamal Zougam est défoncé, forcé, cambriolé. Le rideau est éventré vers le bas, les serrures éclatées et l'on peut faire passer un bonhomme de 90 kilos sous la porte comme dans un gant. On a posé une espèce de barre de fer sur l'un des rideaux et l'autre, déchiqueté vers le bas, est aujourd'hui d'après de nombreux voisins un dortoir pour les clochards de la nuit : “je m'en fous de ce qui nous arrive. Si les Marocains sont vraiment derrière toute cette merde, ils méritent de payer. Mais ce qui arrive à la boutique de Jamal est pour moi insupportable. Je n'exagère pas si je vous dis que je soupçonne la police de l'avoir fait elle-même. Ce sont plus de 30 000 euros de marchandise volée. Et la mère de Zougam et ses soeurs, qui va les nourrir aujourd'hui, nous, la police, Zapatero, le gouvernement marocain ? Dites-moi qui va s'en occuper ?”. Ali, originaire de Sebta, qui a vécu toute sa vie en Espagne à Madrid, est très furieux. Il assène des coups sur tout ce qui bouge et n'épargne personne. Pour lui, tout le monde est coupable dans cette affaire de vol chez Zougam : “d'abord nous les Marocains, parce que personne ici ne va rater le matos qui est resté ici. Et puis les autres voleurs du coin, ces connards de Chinois et de Sénégalais. Ils sont tous connus de la police. Elle sait qui a volé mais aucune arrestation, comme pour nous dire, occupez-vous de vos salades entre vous. La police voudrait nous voir nous étriper ici comme des loups affamés”. Ali nous raconte comment il a tenté d'aider les familles des suspects, comment il s'est démené pour leur assurer un minimum de clarté dans cette affaire bizarre. “Je sais beaucoup de choses, mais je ne peux rien vous dire. J'ai peur qu'on me colle une merde sur le dos comme on l'a fait à d'autres qui ont crié au scandale après les premières arrestations. Non, il faut agir, mais dans l'ombre, il faut savoir contourner leur haine ”.
“Fais gaffe à toi,
ça craint ici”
Méfiance, crainte et agressivité. Roublardise. Louvoiement de loups traquant des proies faciles. A Lavapiès, on vous piste quand vous êtes du bled et que c'est la première fois que l'on voit votre visage rôder dans les parages. Tout le monde fait l'indic. Tout le monde moucharde. On vous localise et les téléphones portables font le reste. Vous êtes alors suivi là où vous êtes.
Hassan informe Ali qui lui informe Driss qui compose le numéro de Khalid qui va le dire à Aziz pour qu'enfin Mohamed vienne vous expliquer qu'il faut faire gaffe ici : “on vous a pris pour des flics en civil déguisés en journalistes pour moucharder, fouiner dans nos affaires. Ici on n'aime pas trop ça, vous voyez ce que je veux vous dire. Alors faites gaffe à vous, ça craint un peu par là. Et Marocain ou pas si c'est ton tour, tu raques, mon frère ”.
Pourquoi tant de méfiance et de paranoïa ? Pour les habitants de Lavapiès, les choses sont tellement simples qu'il ne faut pas aller chercher des raisons enfouies derrière de pseudos mystères: “Non, ici nous sommes tous observés. Pas seulement les Marocains, mais tout le monde. Ici, tout le monde sait que le trafic est argent comptant. Alors il y a des indics qui naissent comme par magie d'entre nous, alors on se méfie, on contrôle. On fait en quelque sorte notre propre police pour ne pas se laisser prendre”. Dans la ruelle où habite la famille Cheddadi dont le frère Saïd est emprisonné depuis novembre 2001 par le juge Baltasar Garzon, ce sont des Oujdis qui font la ronde.
On leur a donné le signalement de ce “type pas tout à fait Marocain qui parle la langue du pays et qui enquête sur nous”.
Les Oujdis font les durs et nous haranguent dans leur voiture dernier modèle sortie du garage pour la circonstance. Ils sont là depuis de longues années. Et le trafic de tout est leur gagne-pain. On les verra au café Al Hambra là où Jamal Zougam avait ses habitudes et là ou Imad Eddine Barakat Yarkas, dit Abou Dahdah venait manger un bon couscous de chez nous. On les verra plus loin autour du café libanais et du petit restaurant Kurde qui font l'angle en contrebas de la rue. “On n'aime pas qu'on vienne fouiner dans nos affaires. Rentrez chez vous au Maroc et n'oubliez pas de dire à tout le monde que nous sommes ici ni des Marocains ni des Espagnols. Juste des gens sans terre, sans patrie, des apatrides, des renégats, des trafiquants,.. dites ce que vous voulez mais surtout insistez sur une chose. Nous sommes oubliés de tous. On est jeté ici comme du mauvais bétail et un jour on passera tous au hachoir. D'ici là, bons baisers pour les autres, les frères qui sont restés là-bas et surtout bon retour ”.


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