Il y a quelques jours l'Union européenne s'agrandissait, passant de 15 à 25 pays membres. Les observateurs notaient que cette union rassemblait désormais 450 millions d'habitants, les décideurs économiques, eux, plus près de la réalité, soulignaient que c'était un espace de 450 millions de consommateurs. C'est bien vrai qu'il s'agit de l'union du patronat européen. Ce qui frappe à première vue c'est la date qui a été choisie pour officialiser cette union. Le 1er mai. La fête du travail. Il est exclu que les chefs d'Etat et de gouvernement ne l'aient pas fait en connaissance de cause. Ce choix est d'un cynisme confondant. On officialise ce que tout le monde savait, que les salariés comptaient de moins en moins, et que les places financières orientaient seules les pays. Le slogan, “votre argent travaille pour vous” n'est plus qu'une trouvaille de publicitaire. Il est évident que le 1er mai deviendra une date anniversaire pour l'Union européenne. Le patronat étant le fer de lance de cet ensemble, et chaque pays ayant un syndicat patronal il sera légitime que celui-ci veuille défiler. Le rêve des gaullistes de gauche sera enfin concrétisé. L'association capital-travail. Pour toucher du doigt cette réalité, on peut imaginer comment cela se traduirait au Maroc, bien que notre pays ne soit pas européen. Nous avons quatre syndicats importants dont le dernier arrivé est un syndicat patronal, la CGEM. Nos liens avec l'Europe sont multiples pour qu'à l'avenir le 1er mai soit la fête du travail et du capital. Jusque-là, il n'y a rien d'anormal, c'est l'évolution mondialiste des choses. Cependant, on peut prévoir les frictions que cela entraînera. Un point futile d'abord. Les patrons défileront peut-être en limousine. Ou probablement à pied. Ils seront alors en training et le défilé sera le jogging de la semaine. Cela risquera d'apparaître comme une provocation, d'autant plus que leurs revendications, non seulement rédigées sur des pancartes réalisées par les meilleures agences de la place, mais porteront en outre sur la baisse des impôts, la réduction des charges sociales, les subventions de l'Etat, la flexibilité de l'emploi, etc… Tout cela montrera d'ailleurs que le Maroc est dans la course sinon à l'avant-garde. Par ailleurs, comme le veut la tradition, il faudra organiser les itinéraires. Pour deux syndicats, il n'y aura pas de problème. Les deux organisations qui risqueront la confrontation c'est la CGEM et le plus important syndicat ouvrier et historiquement le premier. A Casablanca, par exemple, celui-ci achève son défilé légitimement près de la Bourse du travail, symbole du monde du travail.Or, presque en face est logée la Bourse des valeurs, symbole du capital. Il est évidemment exclu qu'ils défilent sur la même avenue. A ce sujet, on peut s'étonner de l'emplacement choisi pour la Bourse des valeurs, alors que la ville ne manque pas de terrains nus. Cela dit, qui aurait cru que l'OMC verrait lejour à Marrakech, et le Maroc officialiser la mondialisation ? Les choses vont toujours vite, pas toujours dans le sens du progrès, mais qu'importe. Les Etats-Unis redeviennent sur le tard une puissance coloniale, l'Union européenne intègre des pays à la limite de la clochardisation mais repeints à neuf. L'essentiel est de les éloigner des ambitions impériales russes, toujours vivaces -à l'exception de Chypre et de Malte- et de damer les pions aux USA. Le brave Poutine, occupé à massacrer les Tchétchènes en toute impunité, n'a pas le temps de voir que l'Union européenne et l'OTAN sont aux portes du Kremlin, et que si la guerre froide est terminée, la stratégie de l'endiguement est toujours à l'ordre du jour. Mais cela nous éloigne de notre sujet, la conciliation entre le patronat et le monde du travail. La CGEM a des atouts, nés de contradictions passées inaperçues. Lors de privatisations de grandes entreprises, un pourcentage d'actions est toujours réservé aux salariés. De fait, chaque fois que l'occasion s'était présentée, des salariés puisaient dans leurs économies ou contractaient des prêts pour devenir actionnaire dans l'entreprise qui les emploie. Ils deviennent effectivement des actionnaires et font partie, même lointainement, du patronat sans qu'ils soient décideurs. Ils sont donc de petits porteurs -mais actionnaires quand même- représentés par la CGEM et, par ailleurs, sont syndiqués en tant que salariés. Si ce syndicat est celui qui est voisin du symbole du capital, on peut imaginer leur déchirement. Mais l'ambition matérielle est toujours la plus forte. Ils réclameront, eux aussi, la flexibilité de l'emploi. On se demande quelle sera leur réaction, après la fête, lorsqu'ils trouveront sur leur bureau une lettre de licenciement, pour compression du personnel. Ils se consoleront sans doute avec l'augmentation des dividendes. Les Etats-Unis redeviennent sur le tard une puissance coloniale, l'Union européenne intègre des pays à la limite de la clochardisation mais repeints à neuf