Hommage Une grande figure des arts plastiques marocains s'est éteinte vendredi 3 avril 2004 à l'apogée de son art. Consacrée grande prêtresse du naïf, Châïbia était une femme au grand cœur, drôle et très charismatique. L'art chez elle était une offrande. C'était aussi une manière très particulière d'offrir le meilleur d'elle-même à ce Maroc qu'elle a aimé au-delà de tout. Son œuvre est restée comme un témoignage posthume de qui elle était et ce qu'elle incarnait. Son chemin, Châibia l'a placé sous le double signe du don et du partage. Une vie d'artiste foisonnante où les toiles se formaient comme par magie sur le cadran des jours. C'est que Châïbia avait cette faculté rare chez beaucoup d'artistes de marier sa sensibilité à une fougue presque surhumaine. Sa physionomie imposante était à la mesure de sa création : toute en rondeurs, en courbes et détours. Rien d'angulaire chez cette femme douce et aimante pour qui la peinture «était un don du ciel par une journée pluvieuse». Oui, Châïbia y a toujours cru à cette faveur d'en haut, à cette manne tombée du ciel, qui s'est logée dans le creux de sa main pour présider aux traits, aux formes qui ont peuplé son monde imaginaire. Et sa peinture était une rafraîchissante surprise qui distillait sa générosité en flots incessants. Aussi loin que puissent remonter mes souvenirs, cette femme aura toujours été associée dans mon cœur à l'image d'une forte pluie, d'une ondée ardente sur l'asphalte du jour. Une fine bruine des beaux jours. Une caresse qui repose, un sourire radieux et un visage où la pureté de la lune prenait tout son sens. Sans oublier cette magnifique expression de joie et de sérénité qui ouvrait son visage et lui donnait un aspect presque chamanique. Et Châïbia avait aussi ce don d'ubiquité qui tanguait entre des spiritualités très poussées et un prise de terre tout ce qu'il y a de plus ancré. Ce qu'elle considérait comme un don fait à elle, comme une offrande pour son être, elle tentait de le redistribuer, de lui trouver un lit chez les autres pour qu'il vive et grandisse. Un sacré coup de pinceau Châïbia quand elle peint est semblable à un magma qui fuse des entrailles de la terre et laisse couler sur les bords de la toile un florilège de situations et d'ambiances. Il n'y a qu'à voir comment ses toiles ont été composées, sans fioritures, avec cette sincérité qui était la sienne. Ses tableaux sont réellement un miroir de son être le plus profond : aussi riche, aussi bariolé, aussi fort et chargé de grands sentiments. Et sa philosophie de la vie était des plus simples. L'amour et le don de soi. Le reste, élucubrations pour intellos en mal de générosité. Toute une approche de l'être qui a toujours tenté de le saisir dans sa simplicité, dans son dénuement premier, dans sa souplesse d'humain. Et la créature, vous et moi, était le centre de ce qu'elle peignait. Son sujet favori, sa grande quête d'artiste. Un rire, un sourire, un saut dans le vide, une main qui se tend, une tête renversée, un œil qui oblique, une bouche entrebaillée et un pied fou, toutes ses ramifications qui font de l'Homme, l'épicentre de son intérêt de créateur. Et cette féria des êtres et des couleurs se laissaient approcher dans des formes peu habituelles, très loin de ce que l'on a voulu facilement qualifier de naïf. C'est aussi une furie des couleurs où la palette fait le tour de l'arc-en-ciel pour nous en révéler l'essence première. Le tout drapé de cette douceur et cette sérénité très présentes dans son travail. Aucune place n'est laissée à la laideur, cette mauvaise image que le peintre abhorrait par-dessus tout. Toute la place est pour la beauté que l'oeil de l'artiste pouvait dénicher dans le coin d'un autre regard, une poignée de main ou une silhouette amie qui se profilait à l'horizon. Chez Châïbia, le mot d'ordre a toujours été très proche de cette facilité à aborder les gens et la vie. Et c'est là, où la femme et la créatrice fusionnaient en une symbiose à la fois charnelle et spirituelle. Son corps apparaissait souvent comme un prolongement de son travail et vice-versa. Elle se projetait entièrement sur la surface plane de sa toile pour la meubler,lui donner vie et surtout lui insuffler cette chaleur dont elle avait le secret. «Une mère pour nous tous» On ne trouverait pas deux personnes qui ne seraient pas d'accord sur le caractère conciliant et amical de cette femme. Tous les artistes de ce pays le savent, Châïbia avait un cœur à la mesure de sa grandeur : noble et pur. Aucune ombre ne vient ternir cette clarté qui irradiait les alentours. «Ce qui m'a toujours marqué chez cette grande dame, c'est sa générosité et un amour profond du pays. Vous savez, l'amitié que j'ai pour Tallal, son fils, s'est vite transformée en un amour filiale pour Châïbia, notre maman à tous. Nous confie, très touché, le réalisateur Abdelhaï Laraki, qui l'a très bien connue. Ce qui marquait aussi, c'était sa grande disponibilité pour tous les artistes et le respect et l'estime qu'elle témoignait à l'égard de tous». Ces phrases arrachées dans un moment aussi douloureux se font l'écho de centaines d'autres qui rendent aujourd'hui hommage à une des figures les plus emblématiques de l'Art dans ce pays. Châïbia a aimé son pays au-delà de tout et cette terre lui a toujours témoigné un immense respect et une profonde admiration. Aujourd'hui, c'est cette postérité naissante qui rendra à cette femme toute la place qu'elle mérite au sein de la famille créatrice marocaine. Une place toute en émotions et en amour. Châïbia aura donné jusqu'au bout sans parcimonie, de son être, de sa santé, de son cœur pour que vive la gloire de ce pays. Aujourd'hui, c'est son étoile à elle qui porte déjà au firmament un pan entier de notre histoire commune. Les principales expositions de Châïbia 1966 Goethe Institut – Casablanca – Maroc. Galerie Solstice – Paris – France. Salon des Surindépendants – Musée d'Art Moderne Paris – France. 1969 Ecole marocaine – Copenhague Kunstkabinett, Francfort – RFA. 1970 Les Halles aux Idées, Paris – France. 1980 Galerie L'Œil de Bœuf, Paris – France. Galerie Ibtissam, Tunis – Tunisie. Galerie Engel, Rotterdam. Art 80, Paris- France. Fondation Juan Miro, Barcelone – Espagne. Exposition en Irak. 1981 Galerie L'Œil de Bœuf, Paris – France. 1982 Galerie Alif Ba, Casablanca – Maroc. Musée de Cagne-sur-Mer- France. 1983 Galerie Ibtissam, Tunis – Tunisie. Galerie L'Œil de Bœuf, Paris – France. 1984 Institut Français d'Athènes – Grèce. “La Femme et la Méditerranée” à la Galerie Municipale de Vitry-sur-Seine – France. 1985 Institut Français de Barcelone – Espagne. “La Femme et la Méditerranée” à la Galerie L'Œil de Bœuf, Paris – France. Salon de Mai au Grand Palais, Paris – France. “19 Peintres du Maroc” au Centre national d'Art contemporain, Grenoble – France. Galerie d'Art Llimoner – Espagne. Maison de la Culture, Grenoble – France. Galerie Nadar, Casablanca – Maroc. “19 Peintres du Maroc” au Musée des Arts Africains et Océaniens, Paris – France. 1986 Galerie “Le Carré Blanc” en Suisse. “Indomptés de l'Art” Besançon – France. Musée Granville – France. Galerie “Dawliz”, Casablanca – Maroc. Deuxième Biennale de La Havane – Cuba. “Salon d'Automne” au Grand Palais, Paris – France. “13 Peintres contemporains” à l'hôtel Mansour, Casablanca – Maroc. Musée Al Batha, Fès – Maroc. 1987 Raleigh Contemporary Galleries, Caroline du Nord – USA. 1989 Galerie L'Œil de Bœuf, Paris – France. Galerie “Carré Noir” – Suisse. 1990 “Neuve Invention” à l'Institut Suisse à New York (Collection Art Brut de Lausanne) – USA. Institut du Monde arabe, Paris – France. 1991 Galerie Frédéric Damgaard, Essaouira – Maroc. 1993 Musée de l'Ephèbe, Cap d'Agde – France. “Le Tondo Aujourd'hui” au Musée de Saint Ingert – Allemagne. “Les Créateurs de l'Art Brut de la Neuve Invention” au Musée de l'Elysée, Lausanne – Suisse. Musée national de Washington – USA. 1995 Centre culturel de Marrakech – Maroc. 1996 The National Museum of Women in the Art, Washington – USA. 1997 Centre culturel “Le Quartz”, Brest – France. 1998 Galerie “Fallet”, Genève – Suisse. 1999 Outsider Art Fair, New York – USA. Galerie “Les 4 Coins”, Lapalisse – France. Musée de l'Art en marche, Lapalisse – France. 2003 6ème Forum d'Arts plastiques en Ile-de-France.Arts Actuels, Musée Lapalisse – France.