Table ronde sur la plate-forme de l'USFP Le débat entre les courants de gauche est plus que jamais à l'ordre du jour. En venant débattre avec leurs représentants de la plate-forme de l'USFP, Mohamed Elyazghi a voulu donner du relief à cette exigence. La table ronde organisée par la revue “Nawafid” constitue ainsi une première qualifiée de prometteuse. Raviver le débat entre l'USFP et “l'archipel” des courants de gauche peut-il avoir sens et portée aujourd'hui ? En organisant une table ronde réunissant Mohamed Elyazghi, premier secrétaire du principal parti de gauche, des représentants des divers courants et sensibilités de la gauche dite “radicale” ainsi que de mouvements “islamistes-démocratiques”, la revue culturelle “Nawafid”, dirigée par Ahmed Al Hariti, a voulu tenir ce pari. La rencontre, loin d'être décevante et de tourner au dialogue de sourds, fut révélatrice du besoin, devenu très profond, chez tous ces participants de la “refondation” d'une pensée et d'une action sortant des impasses et de la sclérose où se sont enfermés nombre de discours et d'attitudes. La rencontre était centrée sur l'étude et la perception de la plate-forme adoptée par l'USFP après la démission de Abderrahman Youssoufi et l'élection d'Elyazghi à sa succession. Ce document constitue, d'une part une première évaluation de l'expérience d'alternance consensuelle, et d'autre part une mise au point critique sur le fonctionnement démocratique et “institutionnel” des instances et structures du parti. Les participants ont tenu à relever qu'il s'agissait là d'une première : qu'un parti en la personne de son premier responsable en vienne à discuter avec les autres tendances de la gauche un document tout “chaud” considéré comme le fruit d'une “crise” interne de l'USFP et d'une explication qui a secoué son bureau politique et sa base durant tout le mois de Ramadan n'est pas chose commune. L'originalité de cet exercice est en elle-même significative. Visiblement, Elyazghi a voulu montrer que la volonté proclamée dans la plate-forme en question d'“une ouverture sur les composantes de la gauche socialiste en vue d'élargir les rangs du pôle démocratique moderniste dans notre pays”, était bien réelle. Par ailleurs, il s'agissait aussi de légitimer ce débat en lui conférant une dimension plus large que celle interne au parti. C'est ainsi qu'est rappelé l'amarrage à gauche de l'USFP malgré toutes les divergences, en même temps que la question de la transition démocratique est placée au centre de toute réflexion d'ordre stratégique. La possibilité d'un tel débat consacre ainsi les convergences qui se sont lentement opérées entre “modérés” et “radicaux”. Evaluation critique L'épreuve du réel a conduit les uns, parmi les radicaux, à considérer que rien n'est réalisable en dehors de la voie, certes étroite, de la progressive réforme démocratique du régime politique. L'expérience du pouvoir, avec ses limites, a aussi conduit l'USFP à admettre qu'il faut rester vigilant et accepter la critique et l'évaluation d'un point de vue de gauche, c'est-à-dire mesurant les progrès réels en matière de démocratisation du pouvoir et en matière de réalisations sociales au profit des catégories les plus démunies. Pour les uns, il s'agit de ne pas se condamner à l'irréalisme et pour les autres de ne pas confondre compromis et marché de dupes. Trois thèmes ont polarisé les interventions au cours de cette table ronde : la transition démocratique, la référence socialiste et la lutte pour la modernité. En relevant que la plate-forme de l'USFP insiste sur l'évaluation de l'alternance qui sera un axe essentiel des travaux du VIIème congrès prévu au printemps 2004, les intervenants ont mis l'accent sur les limites de cette expérience. Pour Belabbas Mouchtari (Parti de la Gauche socialiste unifiée), “il n'y a pas eu un véritable choix d'aller dans le sens du changement démocratique, de même qu'il n'y a pas eu un véritable pacte entre Hassan II et Youssoufi”. On a seulement accepté de gouverner avec d'autres forces que celles de la seule Koutla, avec pour résultat une marginalisation de celle-ci. En l'absence d'une réforme constitutionnelle plus conséquente, le gouvernement lui-même a été de plus en plus marginalisé, les grandes questions étant toujours traitées par le Palais et ses conseillers. Ahmed Herzenni (du même parti) admet, cependant, que malgré toutes les réserves, il faut admettre que le Maroc “est entré dans une transition démocratique réelle”. Il y a, néanmoins, deux points sombres dans ce tableau : d'une part les résultats sont restés peu palpables pour les larges couches sociales défavorisées et d'autre part, les dernières consultations électorales ont enregistré les pires dérapages (marchandages, alliances contre-nature, etc). La critique de ces phénomènes et du rôle qu'a pu y jouer l'USFP s'avère nécessaire. Seul le pari d'une coalition démocratique renforcée pourrait, à l'avenir, éviter de tels échecs. Ce qui amène Mohamed Lamrini (ex-OADP, actuellement USFP) à conclure qu'à l'avenir “on ne devrait pas accepter n'importe quelle participation au gouvernement” et que “le retour à l'opposition n'est pas à exclure”. Selon lui, le scrutin de liste à la proportionnelle à un tour a faussé le jeu démocratique et créé de graves problèmes aux partis (pour le choix des têtes de liste et pour la mobilisation des militants). Il faudrait à nouveau envisager comme cela a été le cas lors du VIème congrès de l'USFP, un scrutin à la proportionnelle pour les élections communales et un scrutin majoritaire à deux tours pour les législatives. Socialisme et modernité La question de la démocratie interne dans le parti a été longuement évoquée. La plate-forme constitue, pour la plupart des intervenants, un renouveau très prometteur. Le leadership personnalisé autour de personnages charismatiques, autoritaires et n'acceptant nul débat est, enfin, remis en cause dans un document essentiel du parti. Tous les mouvements de la gauche ont souffert de ce phénomène archaïque et saluent la volonté de passer à un fonctionnement plus institutionnel, sur des bases et des procédures claires. Cependant la question de la reconnaissance de courants distincts au sein du parti suscite des interrogations. Si pour Herzenni, il faut admettre les courants et s'en remettre à la règle démocratique de la majorité pour les décisions, pour Lamrini, il ne faut pas que les courants soient organisés en structures distinctes et figées ; il doit s'agir davantage de courants d'idées où chacun peut être libre d'adopter telle ou telle perception selon les sujets débattus. La référence au socialisme a été vivement rappelée par Abdelfattah Fakihani (ex-Ila al Amam) qui, à propos d'un article de Fathallah Oualalou sur “le socialisme de production” et “le socialisme des opportunités”, s'est interrogé sur l'effort qui doit être fourni en matière de pensée et de propositions théoriques. Lyazid al Baraka (PADS) a aussi souligné les carences en matière idéologique qui ont laissé place aux divagations des “derviches obscurantistes”. La réflexion doit tenir davantage compte des réalités et des attentes complexes de la société. La plate-forme de l'USFP, selon le professeur Mohamed Sabila, consacre le passage d'un socialisme dogmatique à un socialisme démocratique plus ouvert, même si l'USFP représente “une conscience avant-gardiste avec tous ses déchirements et ses contradictions”. Répondant aux interrogations sur l'identité du parti, Mohamed Elyazghi a réaffirmé qu'elle était sans ambiguïté “social-démocrate”. Il est normal, admet-il, que le parti et la gauche connaissent des crises car ils traversent des phases historiques aux enjeux évolutifs et des changements sociaux complexes ; l'essentiel est d'apporter les ajustements nécessaires et l'optique social-démocrate permet cela. Il a appelé les intellectuels, au sein et hors du parti, à approfondir leur réflexion “sur toutes les questions, sans tabous”. Au cœur de ce débat, la question de la modernité est centrale. Sabila souligne que l'évolution vers la modernité s'opère plus en matière politique que dans les autres domaines. La relation à l'islamisme politique est, de ce fait, des plus préoccupantes. Belkziz invite à examiner ce phénomène au-delà de la seule actualité du terrorisme. Pour Mostafa al Moattassim, dirigeant de “Al Badil Hadari” (islamiste démocrate), le clivage n'est pas entre religieux et laïques mais entre démocrates et non-démocrates dans les deux camps. Le débat, affirma Elyazghi, n'est pas exclu sur tous ces aspects, mais l'expérience des régimes islamistes (en Iran, en Afghanistan etc) et des idéologies passéistes doit être examinée sans concession dans une optique démocratique et progressiste. Loin des cynismes et des nihilismes, faut-il croire que la gauche peut régénérer le débat idéologique et politique ? La question de la démocratie interne dans le parti a été longuement évoquée. La plate-forme constitue, pour la plupart des intervenants, un renouveau très prometteur.