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Sur la route des passeurs de haschich
Publié dans La Gazette du Maroc le 22 - 12 - 2003


Reportage
A Ketama chaque récolte apporte son lot de petits trafiquants, de touristes convertis en véritables passeurs de drogue entre le Maroc et l'Europe. Entre barons de la drogue et commis de service qui assurent la bonne circulation de l'herbe, Ketama fait sa recette annuelle en dépit des coups de filet et des grosses prises. Virée entre Bab Bered et Bab Taza.
Pour réussir un bon séjour à Ketama, il faut immanquablement passer par ces maisons d'hôtes ou fumoirs improvisés dans des cabanes pour permettre aux gros acheteurs et même aux petits habitués de goûter le cru de l'année. Comme pour les vignobles, il y a le Beaujolais et ses séances de “dégustation” qui annoncent l'ouverture de l'année agricole ketamienne. Grâce à un guide du terroir, une randonnée dans les montagnes à travers champs et vallons, bercée par le fumet du cannabis, avec pour impératif l'escale chez l'habitant, la visite guidée dans les profondeurs de la capitale africaine et presque mondiale du haschich devient une réelle occasion de prendre contact avec quelques pontes locaux qui rythment selon les saisons la vie du grand nord marocain. Entre Bab Taza et Bab Bered en passant par Ouazzane, Chefchaouen, Tétouan et d'autres villages haut perchés, la vie prend la couleur de l'air, se teinte de l'odeur du kif et les autochtones affichent des mines affables comme bercés par les effluves éthérés de la bonne herbe, made in Morocco. Selon un habitué du coin qui assure depuis plus de quinze ans le voyage entre le Nord et le Sud comme un facteur des moments gais qui apportent dans sa besace à la fois la nonchalance du cannabis, la bonne humeur et beaucoup d'oseille, la semaine a été très bonne à Bab Bered, à quelques encablures de Chefchaouen, la capitale nationale et mondiale des passionnés de l'herbe marocaine. L'homme porte bien ses quarante- huit printemps dont la moitié aura été consommée et consumée au rythme du feu, des soirées dansantes avec quelques joints qui pétaradent dans la tête, des récoltes et de bonnes affaires. Assis devant un brasero, sirotant un thé jebli avec un brin d'absinthe fraîche dans un verre ébréché, son ami de toujours, un propriétaire terrien qui répond au nom de Thami est d'humeur à s'épancher devant une assemblée qui ne comptait pas moins d'une bonne quinzaine d'amis, connaissances et amis des amis : “cette année la récolte est très bonne. Il y a de quoi satisfaire tout le monde et surtout les clients étrangers. L'année prochaine, il faudra miser sur d'autres lopins de terre pour planter du kif.”. On risque alors une remarque pour le moins déplacée dans ce contexte : “est-ce que vous savez qu'au Pays-Bas certains champs de tulipes ont cédé la place au cannabis ?” Notre hôte coupe court sans appel : “non, je ne le sais pas, mais ce que je sais pour sûr c'est que les Hollandais préfèrent l'herbe marocaine”. Fin de la rumeur. Décidément, la réputation de l'herbe du pays est intacte et les tribulations des défenseurs et des détracteurs du cannabis ne sont que littérature de ce côté-ci du globe.
A flanc de montagne
Ce voyage dans les montagnes du Nord aux alentours de Tétouan est en train de prendre vite une tournure d'expérience socio-économique mâtinée de programmes d'échange culturel sur les rapports entre les hommes, les codes du métier et les projets grandiloquents de l'avenir de la région. Sans oublier toutes les variantes sur le thème du trafic que l'on “voudrait sous d'autres auspices” pour que “tout le monde, l'Etat, les propriétaires terriens et le reste en profitent”. Bab Taza et Bab Bered sont deux passages obligatoires dans tout périple qui vise à faire le tour du cœur palpitant de la culture du kif. C'est ici que les affaires se concluent, c'est ici aussi que les magouilles sont monnaie courante. Tout le monde le sait, en parle et quand ça va mal, tout le monde sait que c'est aussi par ces deux portes qu'on trouvera une issue de secours. Du temps des Espagnols, les deux portes marquaient une frontière entre le Nord et le reste du pays. Maintenant, c'est l'un des points de passage d'une variante de haschich qui compte avec sa sœur afghane parmi les plus prisées dans le monde. Le paysage est phénoménal : des montagnes luxuriantes qui offrent au visiteur un échantillonnage éloquent des mille et une facettes du Maroc. Des kilomètres à perte de vue de champs de kif d'un vert poussiéreux où des hommes travaillent plus de dix heures par jour. L'endroit est paisible, ressemble à n'importe quel champ sauf que juste le fait de se savoir au milieu de 100 kilomètres carrés de kif, la tête vous en tourne et l'aspect des lieux prend alors une teinte un peu magique, presque incroyable. Ici, dans les flancs de Ketama, nous sommes de plain-pied dans le domaine de l'incroyable, là où les affaires humaines vont à une allure autre que celle que nous avons l'habitude de vivre. Les gens sont réglés sur une autre horloge qui égrène les minutes à une cadence plus lente que la normale. Ici presque tous les travailleurs des champs ont un gros joint au bec, même les gamins. Pas de tabac, juste de l'herbe que l'on fume presque sèche : “comme un grand scotch sans glaçons ni aucun autre additif qui en altérerait le goût”.
D'abord le respect
Ketama est un carrefour mondial où l'on peut rencontrer de toutes les nationalités. La plupart des dealers marocains qui viennent des grandes villes y affluent à longueur d'année pour faire le plein de marchandises sans jamais rencontrer que des petits rabatteurs qui font le guet et assurent la discrétion de leurs patrons : “le patron est occupé, il n'a pas de temps, c'est moi qui assure à sa place ” lance un gaillard basané qui affiche une bonne centaine de kilos et une dégaine très bizarre. Il joue au chef en essayant d'en mettre plein la vue à ses compagnons qui attestent d'un hochement de tête approbateur ce qu'il vient de nous débiter. On l'aura vite saisi, les gros pontes restent en dehors des petits trafics. Ils ont leurs hommes de main, leurs seconds et leurs tiers, leurs rabatteurs, leurs commis et leurs fidèles parmi les fidèles. Ce qu'il faut savoir ici, c'est que les libertés très décontractées de la ville ne sont pas de mise sur la montagne. Ici, on se fait petit, on parle avec beaucoup de respect aux gens, on leur témoigne la déférence digne de leur rang de trafiquants et on ne cherche pas à faire le malin. Tout ce que l'on croit savoir sur les affaires des hommes est simplement nul et non avenu. Ici on s'adresse aux gens avec beaucoup de retenue et si on a le malheur de les prendre de haut ou que ce qui vient de dépasser la muraille de nos lèvres est pris pour tel, on s'arrangera très vite pour nous remettre à notre place dare-dare. Les sentiers à l'abri des gendarmes sont nombreux dans la région et les autochtones passent pour des as de la débrouille. Ils ont leurs chemins, leurs caches, leurs pisteurs, leurs indics. Bref, ils font eux-mêmes le boulot des policiers et patrouillent aussi pour anticiper, devancer ou carrément déjouer les embuscades des services de l'ordre. On raconte que dans le temps (chaque région à sa légende), il y avait un certain Lahcen qui pouvait traverser les montagnes du Rif à pied des semaines durant avec des charges dépassant les 50 kilos sur le dos sans jamais se plaindre. On raconte aussi que le bonhomme a vécu centenaire et qu'il a clamsé un beau matin après un bon joint pur jus. “Les temps sont autres, mon fils et les Mercedes et autres 4X4 sont là. Et elles forcent le respect” lance le fils de notre hôte qui, selon les dires de certains, lui-même roule en 4x4 et mène la belle vie au grand dam de son père qui veut à tout prix garder les choses plus discrètes.
Etape chez l'habitant
Si l'on veut connaître la culture de ces autochtones aux aguets et la vie quotidienne qui grouille dans ces montagnes, cela vaut largement la peine de faire une randonnée guidée par l'un des pisteurs du coin avec, bien entendu, escale chez l'habitant pour goûter aux joies de la terre et aux délices de la vie à l'ombre du cannabis sans fleurs. Notre guide sera appelé Steve, un Anglais quadragénaire qui fréquente la région depuis plus de vingt ans : “au début, il m'arrivait de passer jusqu'à deux semaines à Chaouen pour fumer, passer du bon temps. C'était l'époque de Cashmere, Robert Plant, Jimmy Page, les Rolling Stones et la génération Beatnick. Mais depuis six ans, je passe jusqu'à trois mois dans la région de Ksar El Kébir jusqu'à Tétouan”. Steve sillonne le Nord, il est connu de beaucoup de gens qui ont déjà travaillé avec lui et qui savent qu'il est “réglo”. Il effectue “au moins dix voyages par an entre le Maroc et l'Europe” où il charge et décharge ses cargaisons de haschich qu'il fait passer d'une rive à l'autre sans jamais se faire prendre. Steve parle le dialecte de la région sans difficulté. Il aligne de simples phrases mais très correctes, se fait comprendre quand le vocabulaire passe à un niveau supérieur et se voit parfois contraint de recourir à la voie des gestes qui restera en définitive le meilleur langage entre les hommes. Steve a surtout la capacité inestimable de combler sans efforts le gouffre culturel qui sépare ses amis occidentaux et les peuplades rencontrées en chemin lors des visites qu'il effectue avec des amis du pays : “tous fans du Maroc mais qui n'ont jamais osé aller au-delà de Chaouen.” C'est là, dans ce joyau du Nord, cette ville à flanc de montagne aux charmes surannés qui sortent droit d'un récit jointé de William Burroughs. Steve nous emmène chez un ami qui répond au nom de Saïd, un artisan du coin, très futé, aux aguets et qui a un drôle de regard qui finit par s'adoucir au fur et à mesure qu'il sirote son thé à la menthe. Saïd est originaire de Ouazzane. Cela peut être vrai, mais il y a de fortes chances que cela ne soit qu'un bobard servi à l'occasion car, dans ces montagnes, les gens sont très réticents et ne divulguent presque rien sur leurs origines véritables. Il a fait les beaux jours dans le domaine du tapis et autres variantes sur le thème du tissage dans le Nord, mais depuis quelques temps il a trouvé sa vocation : confectionner des suppositoires pour les remplir de haschich !
Les suppositoires de Saïd
Saïd est l'acolyte de Stève sans lequel il est incapable de fourguer sa marchandise ni de l'acheminer loin des frontières marocaines. Chez Saïd, le tout se résume à une chambre-atelier qui relève plus du cagibi que d'une quelconque habitation proprement dite. L'endroit ne paye pas de mine, mais le travail ne s'y arrête jamais : des sachets blancs partout, du fil, des aiguilles de différents calibrages posées sur la table couverte d'une toile cirée qui a vécu posée au centre de la pièce comme une harangue à l'étroitesse des lieux. Saïd travaille à même le sol. Il est plus près de la terre et sait garder par conséquent la tête froide. Les invités ou ceux qui en tiennent lieu comprennent très vite que ceci n'est pas un endroit pour faire un brin de causette ni pour passer une heure à siroter le thé. L'exiguïté fait ici office de chasse-intrus. “Je coupe le plastique en petits rectangles que je couds en forme de suppositoires. Je peux en faire jusqu'à 1000 par jour. Ce n'est que quand je reçois la marchandise que Steve m'envoie que je remplis les suppositoires avant de les fermer définitivement”. Saïd ne fait pas que ça. A longueur de journée, il trace, découpe et coud. Les suppositoires en question ne dépassent pas les trois centimètres à vue de nez. Tendres au toucher, ils sont pourtant résistants. A y voir de plus près, on ne distingue aucune couture apparente. C'est que Saïd, selon les dires de son ami Steve, est un orfèvre des suppositoires. Mais à quoi servent toutes ces poches en plastiques une fois remplies de haschich ? “Ceci est le genre de marchandise que je fais passer par les filles, confie Steve un brin moqueur. Il suffit d'avaler les suppositoires remplis de haschich avec du yoghourt pour faire le voyage pendant deux heures vers l'Espagne ou la France. J'ai des filles qui bossent pour moi qui ont avalé jusqu'à un kilo sans avoir mal. C'est une question d'habitude, l'estomac humain peut prendre jusqu'à cinq kilos, vous savez ?”.
La navette des filles
On saura plus tard que les 12 filles qui travaillent pour Steve, le chef d'entreprise des suppositoires entre autres, avalent au moins dix fois par an de la came sous cellophane confectionné par Saïd. Les filles voyagent en bateau jusqu'en Espagne. Sur place, d'autres convoyeurs les font “recracher” la march-andise qui sera ensuite acheminée vers la France, la Belgique, l'Italie, la Hollande, selon les commandes. Steve peut faire passer jusqu'à 50 kilos à travers les boyaux des filles .
Une marchandise qu'il paye 5 dirhams le gramme. Ce n'est pas le prix de tout le monde, mais la faveur faite à un client de longue date qui a toujours su rester clean et réglo. Les véritables tarifs fluctuent entre 6 et 8 dirhams le gramme pour d'autres clients. Le kilo refourgué en Europe “peut rapporter jusqu'à trente fois son prix d'achat au Maroc”.
Steve nous dira par la suite que c'est un travail juteux, mais ne s'étendra pas sur son réseau en Europe ni sur ce qu'il gagne par an.
Ce qui est sûr c'est qu'il ne travaille jamais avec des Marocains ni en Espagne ni ailleurs. “D'abord les fournisseurs ici ne veulent pas dealer avec des Marocains de l'Etranger et je les comprends. Est-ce que vous savez que souvent ces dealers en Italie ou en France ont été à l'origine de grande descente à Ketama parce qu'ils avaient mouchardé ou juste trop ouvert leurs gueules.” Steve fera vite l'impasse sur ses antécédents et les mauvais souvenirs accumulés au cours de vingt ans de travail.
Par contre, il est très disert sur le trafic assuré par des dizaines d'Européens qui “font la navette entre l'Europe et le Nord pour livrer de la bonne drogue marocaine. Les habitués de la région vous le diront. Il y a aujourd'hui des visages qui font désormais partie du décor. Tous les deux mois, ils sont là pour une semaine ou deux, puis ils disparaissent et ensuite ils reviennent. Tout le monde sait ce qu'ils font et tout le monde fait avec. La région est comme ça”.
Les autres voies de la drogue
Saïd n'est pas seulement l'expert pharmacien qui fait juste dans les suppositoires. Il est aussi le maître en cellophane, cette membrane en plastique qui sert à envelopper toutes sortes de nourritures. L'artiste, comme aime à l'appeler Steve, peut toucher jusqu'à dix mille dirhams de salaire net par mois rien qu'en découpant du plastique. Il faut d'abord couper le haschich en petits rectangles large d'un centimètre qu'il fait rouler dans le cellophane en forme de cylindre. Ce type de façonnage sert à faire passer la drogue par voie anale : «je l'ai fait des dizaines de fois à mes débuts, confie Steve. C'est pratique pour les voyages rapides en avion. Je pouvais passer jusqu'à 500 grammes par voyage. Aujourd'hui, c'est ce qu'il y a de plus répandu en matière de trafic de drogue en Europe. C'est très discret, si personne ne vous a déjà vendu aux douaniers». On demande alors à Steve s'il avait déjà plongé pour trafic de drogue ? La réponse est cinglante : “jusque-là non”. Mais Steve connaît les rouages du trafic, il connaît les bonnes saisons, sait quand les contrôles sont durs, quand les choses peuvent bien se passer et quand il faut se mettre au placard pour un moment. Au besoin, il se fait aider par les spécialistes locaux qui lui conseillent de ne pas prendre de risques à tel ou tel moment de l'année : “Nous sommes ici comme une famille. Si tu ne triches pas, tu es presque sûr de faire de bonnes affaires sans trop de bruit autour. Si quelqu'un de nous venait à se faire prendre, cela compromettrait les affaires des autres. Alors on se serre les coudes, on fait gaffe et on essaye de couler son train-train sans trop attirer l'attention sur soi. Finalement, c'est simple : si tu passes à la trappe, tu n'as plus de boulot et tes anciens fournisseurs ne se rappelleront même pas de toi à ta sortie du trou, si vous voyez ce que je veux dire”. On saura après que Steve ne reste pas les bras croisés alors que les filles avalent les suppositoires au yoghourt et enfilent des cellophanes calibrées. Le British s'est réservé le plus dur : le gros de la marchandise. Steve a une caravane : l'homme aime jouer les touristes Peace and Love qui dorment à la belle étoile. A chaque arrivée au Maroc, le véhicule est pesé à la douane, mais une fois dans les pâturages du Nord, Steve travaille à remplir les cases vides laissées par tant de bois et d'acier qu'il fera enlever de sa voiture. Il remplira ensuite le reste avec du haschich et repassera la douane avec le même poids de véhicule qu'à l'entrée. Ni vu ni connu, comme une lettre à la poste : “on ne sait jamais. Un kilo de plus quand le véhicule est pesé chez les douaniers et je suis bon pour une fouille de fond en comble. Alors je m'assure du poids et j'affiche mon sourire de touriste si vous voyez ce que je veux dire”. L'Anglais ne fait que deux livraisons de ce type par an pour “ne pas éveiller les soupçons des services de la douane qui pensent que je suis un fou du Maroc et je le suis, faut pas croire !”.
Retour à Bab Bered
Après trois jours passés avec Steve, nous sommes de retour à Bab Bered. Nous passons notre première nuit chez l'habitant. Thami fait dans le style grand seigneur : il sait recevoir et mettre à l'aise ses hôtes. Il a toujours été dans le kif. Toute la famille participe à la fortune. Ils ont toujours cultivé du cannabis et rien d'autre. Ils ne pourront pas faire autre chose, même s'ils le voulaient. C'est comme ça et on ne s'attardera pas là-dessus, comme dirait notre hôte d'un soir. Le kif est donc une affaire d'héritage, un bien ancestral qu'il faudra faire fructifier et c'est ce que la famille, femmes et enfants, s'emploient à réussir. Et si on venait à interdire le kif ? laisse-t-on échapper comme s'il s'agissait d'une éventualité à prendre au sérieux. Les voix ont fusé de toutes parts pour nous faire sentir le poids de la bêtise : “tu rêves ou quoi ? cela n'arrivera jamais”, coupe-t-on d'un ton sec. L'homme savait de quoi il parlait. Le lendemain, il nous emmène dans les parages, dans les champs pour voir de plus près de quoi il s'agissait. Nous empruntons des sentiers qui longeaient de splendides champs de kif qui offraient au regard des feuilles d'un vert poudré. A un moment donné, nous entrons dans une grande bâtisse sans portes : une dizaine d'employés y travaillaient. Ils étaient presque tous munis de bâtons qui servaient à “frapper” l'herbe pour ramasser cette poudre ocre tant convoitée. C'est cela que l'on appelle “la première cuvée”, le must du haschich, celle qui parfois coûte jusqu'à dix dirhams le gramme. On frappe une première cuvée, puis une deuxième, une troisième et une quatrième. Les catégories récoltées ont chacune une destination : “la première est destinée à l'export”, explique Steve qui est un habitué des lieux. Les consommateurs locaux devront se contenter d'un deuxième choix qui reste aussi très bon et très prisé dans le pays. Thami nous explique alors qu'un quintal de kif peut donner jusqu'à trois kilos de haschich vendables à plus de 25 000 dhs et certains champs de kif peuvent donner des centaines de quintaux pur jus : “Il y a un moment où des propriétaires terriens ont changé de culture. Ils se sont très vite aperçus que cela ne valait pas la peine”. Thami nous présente alors des voisins qui ont acheté d'autres lopins de terre dans d'autres régions. Ils sont tous aussi optimistes quant à l'avenir de la région:“ça marche ici et à l'Etranger. Qui voudra changer le kif pour des melons ? ”. Steve dira : “pas moi” et tire sur un bon joint huileux qu'il a emprunté à un adolescent du coin.


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